C'est une France profondément divisée qui décide aujourd'hui qui, du sortant Nicolas Sarkozy, créerait un miracle, ou de son rival François Hollande donné gagnant par tous les sondages, la guidera pendant les cinq années à venir dans une période de fortes turbulences. La campagne qui vient de s'achever a été d'une violence inouïe. Elle va laisser des traces qui vont être plus marquées encore si le président sortant est reconduit, après avoir diffusé la haine dans la société. Elles seront difficiles à effacer s'il cède la place au socialiste qui n'a pas cessé d'appeler au rassemblement. Nicolas Sarkozy, dont le désir de garder le pouvoir n'a jamais fait mystère, s'est lancé à la conquête d'un second quinquennat, alors que sa cote de popularité chutait à un plancher jamais situé aussi bas pour tous ses prédécesseurs. Au point que son élimination dès le premier tour était envisagée, en raison d'un bilan contrastant fortement avec ses promesses de 2007. Pour conjurer ce risque, il a alors entrepris d'éliminer l'un après l'autre les potentiels candidats du même camp que lui. Le pari réussi, un gourou issu de l'extrême droite s'est mis à lui suggérer des idées que l'on n'osait même pas chuchoter il y a quelque temps. Auprès du président, le conseiller Patrick Buisson a pris une place que les républicains de droite ne parviennent toujours pas à s'expliquer. En réalité, c'est depuis l'été 2010 qu'il a commencé à ensemencer ses idées dans une France apeurée par la crise. Rien de plus simple alors que de présenter l'immigré comme la source des problèmes, une menace pour la cohésion nationale et pour les “racines chrétiennes” d'un pays où les musulmans sont insidieusement désignés comme étant imperméables aux valeurs de la démocratie et de la laïcité. Il invente le concept de “musulman d'apparence” dans un pays où le délit de faciès est puni. Convention sur l'islam, salles de prières, voile intégral : tout ce qui est susceptible de susciter la peur est agité pour provoquer un vote en faveur de celui qui se présente comme le protecteur d'une France fantasmée, pourtant issu lui-même de l'immigration et qui s'est dit “de sang mêlé”. Mais, clame-t-il avec aplomb, “il y a trop d'étrangers” en France. Conscient de la fracture qu'il a créée, il s'est installé sans gêne dans les terres de Marine Le Pen, espérant préserver son électorat qu'il avait pu siphonner en 2007. Le premier tour, le 22 avril, a contrarié ses calculs puisqu'il arrive derrière le candidat socialiste. Mais en braconnant dans les terres de Marine Le Pen, il a validé ses idées et les a rendues solubles dans les valeurs de la République. Les partisans de l'extrême droite ont été six millions et demi à donner leurs suffrages à leur candidate, portée au record de 17,9% des voix. Pour disqualifier son adversaire, Nicolas Sarkozy n'a pas hésité à manier le mensonge pour faire apparaître François Hollande comme le candidat des musulmans. Il lui a inventé un faux soutien de 700 imams et du sulfureux Tariq Ramadan. Pourtant, c'est bien Sarkozy qui a reçu un soutien du recteur de la Grande mosquée de Paris. Dans une interview au quotidien Chourouk, Dalil Boubakeur a appelé les Algériens de France à voter pour le président sortant. Mais sa voix est loin de s'élever aussi haut que celle de n'importe quel muezzin... C'est aussi Nicolas Sarkozy qui a reçu l'appui sans fard de la communauté juive de France. Le président du Crif craint qu'une victoire de François Hollande, soutenue par le Front de Gauche, se traduise par un regain de manifestations pro-palestiniennes. Ironie de l'histoire, M. Sarkozy se pose comme le pourfendeur d'un communautarisme qu'il a tout fait pour favoriser. Le débat du 2 mai aura été le révélateur de sa pensée profonde, acculé dans ses retranchements par le candidat socialiste. Quand Sarkozy parle d'étrangers, ce sont les musulmans, les “musulmans d'apparence” qui sont désignés. C'est pour cela qu'il refuse que le droit de vote leur soit accordé aux élections municipales. Ce droit que le socialiste veut donner à des personnes qui, pour certaines, sont là depuis des décennies, payant des impôts locaux dans leur commune de résidence où ils contribuent aussi à sa croissance économique puisqu'ils y consomment. Il a évoqué les étrangers venus du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne. Pas les Américains, pas les Asiatiques. Affirmant en plus qu'ils étaient des radicaux, enfermant les femmes dans leurs maisons, demandant des horaires de piscine différenciés pour femmes et hommes et des repas halal dans les cantines. Toujours cultiver la peur. Jusqu'au dernier instant de la campagne close vendredi soir, il n'a pas varié. “Qui sont-ils, quels sont leurs titres de gloire ceux qui veulent m'empêcher de parler aux 6,5 millions d'électeurs de Marine Le Pen ?”, a-t-il demandé. Et de répondre : “Ce n'est rien d'autre qu'une forme de racisme et d'intolérance.” “Le peuple de France ne s'est jamais senti, comme ces dernières semaines, autant injurié, acculé, manipulé”, a-t-il enfoncé. En face, François Hollande, qui a obtenu le ralliement du centriste François Bayrou après celui de toute la gauche, a continué de plaider le rassemblement. “Je ne veux pas d'une France qui se divise entre les quartiers, d'une France qui se sépare entre telle ou telle religion, d'une France qui se méfie d'une autre.” Y S.