En déclarant que la cité a tant besoin que les disciplines artistiques et culturelles la réinvestissent à l'effet de contribuer à l'épanouissement pluriel du citoyen, Redouane Mohammedi, alors directeur de l'Etablissement Art et Culture, n'avait pas cru si bien dire. Et ce n'est pas la somptueuse séance de clôture, au Palais de la Culture, de l'hommage à Abderrezak Fakhardji, l'un des plus prestigieux maîtres de la musique classique algéroise, qui le démentira. Un concert pathétique exécuté par 90 musiciens issus tous des huit associations qui s'inscrivent dans le prolongement du travail de sauvegarde et de propagation initié par le grand maître au sein de l'Association Al Fakhardjia. Des moments forts, particulièrement rédempteurs avec, à la clé, un concert qui nous réconcilie avec l'école d'Alger dont le niveau a considérablement baissé depuis le décès de Abderrezak Fakhardji et les crises successives vécues par la société musicale Al Fakhardjia. Les milliers de personnes présentes tout au long de l'hommage ont accueilli favorablement la manière avec laquelle le comité d'organisation a su sortir le mouvement associatif présent de sa paresse musicale. En privilégiant le chant à l'unisson des voix, les organisateurs ont mis l'accent sur la nécessité d'opérer une complète rupture avec une manière de célébrer le patrimoine sous le signe d'une simple évocation d'un passé, fut-il auréolé de toutes les gloires. Ce fut surtout pour les organisateurs l'occasion d'inviter le mouvement associatif à être conscient des enjeux pour rétablir dans ses droits historiques la citadinité, inhibée qu'elle est par un flou artistique des plus castrateurs. Que dire alors des soirées musicales inégalement portées par Al Fakhardjia, El Andaloussia, Es Soundoussia, Al Djazira, Al Inshirah et Mezghana d'Alger, sans oublier Al Amraouia de Tizi Ouzou et Al Djenadia de Boufarik ? Sinon que toutes ces sociétés musicales ont comblé d'aise une assistance des grands jours, particulièrement émue par ses retrouvailles même si, de mon point de vue, le niveau fut inégal et la restitution du champ musical quelque peu altérée. Mais l'association qui a été au diapason des espoirs commandés par un telle initiative, c'est incontestablement Al Amraouia de Tizi Ouzou. Par sa rigueur musicale et la qualité exceptionnelle de ses solistes elle a honoré le grand maître qui a toujours soutenu que la musique qui lui tenait à cœur était une œuvre achevée, inaltérable et parfaite. C'est ce qui a certainement poussé l'ensemble mixte de Tizi Ouzou, auquel incombait la lourde, exaltante et non moins merveilleuse responsabilité de tendre vers la perfection, de briller de mille feux à la surprise de nombreux mélomanes. En d'autres termes, s'il m'est permis de paraphraser mon ami Omar Dib, l'artiste est celui qui persévère dans l'effort, peine et souffre ; c'est dans cette quête perpétuelle qu'il accède à la vérité, triomphe de lui-même en délivrant aux autres son message de joie et de sérénité. Et le messager kabyle en la circonstance n'est tout autre que Amar Driss, un ancien élève de Abderrezak Fakhardji. Recevant le mobile du grand maître au Conservatoire d'Alger, il a su dans sa Kabylie natale perpétuer ce voyage de presque huit siècles entrepris, comme une course de relais, par des hommes admirables qui, recevant le mobile, en l'occurrence la musique classique algérienne d'un maître, préparaient de jeunes disciples qui, à leur tour, continuaient la ronde du temps. à l'image de Yahia Hammouche, Amazigh Kebbous et Ahmed Adjaz qui ne ménagent aucun effort pour que la rigueur dans l'exécution instrumentale ne soit pas une vue de l'esprit. L'éclatante prestation de la société musicale Al Amraouia au Palais de la Culture se décline donc comme un somptueux hommage à Abderrezak Fakhardji qui a toujours œuvré pour que les couches populaires de ce pays investissent à jamais un patrimoine que d'aucuns, certainement par ignorance, ont catalogué de bourgeois. Alors qu'il fut irrigué et porté par les artisans, les tisserands, et diffusé par les cafés chantants et les salons de coiffure des quartiers populaires... (À suivre) A. M. [email protected]