Il aura tergiversé pour rien, ironisent ses détracteurs au Caire. Mohamed Morsi, le nouveau raïs islamiste égyptien a finalement désigné son Premier ministre. Son choix ne s'est pas porté loin de l'establishment légué par le système Moubarak, renversé par une révolte populaire en février 2011 et dont il avait juré de se débarrasser. Pour les Egyptiens, le visage de leur premier ministre n'est pas nouveau. Hicham Qandil, chargé de former le nouveau gouvernement égyptien, faisait partie du cabinet sortant du premier ministre Kamal el-Ganzouri, nommé l'an dernier par les militaires et chargé pour le moment d'expédier les affaires courantes. C'est donc un proche de la haute hiérarchie militaire et, d'ailleurs, il n'aurait jamais accédé à ce nouveau poste sans l'onction du Conseil supérieur des forces armées (CSFA). Ce club de 19 généraux qui dirige le pays depuis la chute de Moubarak, sous la coordination du maréchal Tantaoui. Sa désignation exprime, pour ceux qui ne l'ont pas encore suffisamment compris, l'emprise des militaires dans la gestion politique de l'Egypte, leur volonté de ne pas se voir bouter hors des centres de décisions et, donc, toute l'étroitesse de la marge de manœuvre du président Morsi, dont les prérogatives ne sont toujours ni déterminées ni fixées. Après la destitution de Moubarak, le CSFA ne s'est pas contenté d'abroger la Constitution de type présidentialiste. Les militaires devaient, la veille de l'investiture de Morsi, faire dissoudre par la Haute cour constitutionnelle la nouvelle Assemblée constituante aux trois quarts islamiste entre Frères musulmans et salafistes, élue fin décembre-début janvier dernier. Durant leurs cinq mois d'activité, les députes islamistes avaient cherché à se doter dune constitution sur mesure au service exclusif de leur ambition, qui reste l'instauration d'un régime islamiste. Ils n'avaient dans la tête que cet objectif au point qu'ils ont perdu une bonne part de leur électorat lors de la présidentielle. Le Premier ministre désigné, ingénieur diplômé de l'université du Caire et détenteur d'un doctorat de l'université de Caroline du Nord, qui a assumé de hautes fonctions au sein de l'administration égyptienne, notamment au sein du ministère de l'Irrigation, un secteur hautement stratégique en Egypte où “qui tient le Nil tient le reste", avant d'en prendre la tête, est présenté par le président Morsi comme “une personnalité indépendante n'ayant aucune affiliation politique avant ou après la révolution" ayant provoqué le départ de Moubarak ! Les islamistes eux ne l'ont sûrement pas entendu de cette oreille. Qandil a coupé court à leur rêve d'accéder à la gestion des affaires du pays en assurant que son gouvernement serait composé de technocrates et que le choix de ses ministres ne sera pas basé sur des orientations politiques, mais sur la compétence. Et comme pour enfoncer le clou, le Premier ministre a également affirmé que le président Morsi était “en pourparlers" avec le CSFA. Et ce n'est pas la barbe que Qandil dit avoir “fait pousser par devoir religieux" qui va accréditer des suppositions sur sa proximité avec les islamistes, d'autant qu'il n'a de cesse, depuis sa désignation, de nier appartenir à une quelconque organisation. Le nouveau Premier ministre ne figurait pas sur la liste des premiers ministrables établie par différents les observateurs et médias égyptiens depuis l'investiture de Mohammad Morsi, le 30 juin. Ils prévoyaient plutôt l'investiture d'un économiste, citant les noms d'anciens directeurs de la Banque centrale. Le gouvernement Qandil doit faire face, rien que sur le plan socioéconomique, à la plus sévère crise de l'Egypte, marquée par une baisse du tourisme, un effondrement des investissements étrangers, une fonte de ses réserves en devises et une aggravation du déficit budgétaire. Pour le moment, militaires et islamistes se regardent en chiens de faïence, jaugeant jusqu'où ils peuvent aller. À ce jeu, le CSFA a, apparemment, une bonne longueur d'avance. Le Parti de la liberté et de la justice, dénomination de la confrérie des Frères musulmans, qui comptait contrôler une dizaine des 30 portefeuilles dans le gouvernement de Morsi, leur leader, accepteront-ils d'être de nouveau sur la touche ? D. B