En vacances à Béjaïa, l'auteur-compositeur revient sur sa carrière, ses textes engagés et son combat dans la musique. Liberté : Es-tu en vacances à Béjaïa ou alors es-tu venu pour te produire sur la scène bougiote ? Magyd Cherfi : Non, je viens chaque année en vacances à Béjaïa, j'ai toute ma famille dans cette ville. Je considère ce voyage comme un pèlerinage intérieur, et puis je prends chaque année des cours de conjugaison et grammaire kabyles de mon cousin Seddik et j'adore ! C'est vrai que trois membres du groupe, toi, les frères Amokrane (Mus et Hakim), êtes kabyles de deuxième génération, comme on dit ? Oui, nous sommes ce qu'on appelle de “deuxième génération". Mais l'important pour nous, c'est de nous sentir appartenir aux deux côtés de la Méditerranée. Dans quelles conditions est né le groupe Zebda, alors que le travail de tous ses membres s'accomplissait plutôt sur le terrain social. Peux-tu rappeler comment vous vous êtes retrouvés autour de ce projet musical ? Au départ, nous étions effectivement des militants associatifs. Mais c'est la lassitude du militantisme politique, sa tristesse et son dogmatisme qui nous ont amenés à inventer un militantisme festif, et la musique nous a permis d'être engagés dans un combat de droit à l'égalité pour tous et toutes en ayant la joie au cœur. Cette joie nous a permis de combattre dans la durée et d'atténuer une forme de lassitude. Cependant, après près de 20 ans de “vie commune", cinq albums studio et plus d'un millier de concerts, les membres de Zebda, dont tu es l'auteur-compositeur, avez décidé de mettre le groupe entre parenthèses. Cette “pause" était-elle indispensable ou du moins nécessaire ? Oui, cette pause était plus que nécessaire. Car nous avions déjà quinze ans d'histoire, et l'envie de projets solo s'est révélée incontournable, moi-même j'ai pu ainsi écrire deux livres, deux albums solo, sans compter une collaboration avec des artistes, tels que Mathieu Chédid, Rachid Taha et Tiken Jah Fakoli. Une mise en parenthèses qui ne signifie pas pour autant séparation, Zebda a sorti un nouvel album Second tour en 2012... Ce n'était pas une séparation, car nous sommes liés dans une alchimie absolument extraordinaire qui a créé un trio absolument unique. Nous sommes conscients de cette force à trois à laquelle nous tenons beaucoup. Le groupe Zebda est connu pour son travail sur la mélodie, les mots, de mener parallèlement un combat politique, les titres de vos albums en témoignent : “Le Bruit et l'odeur", allusion à la phrase du candidat Jacques Chirac ; “Motivés", “Essence ordinaire", “Je crois que ça va être possible". Qu'est-ce qui fait qu'une chanson soit vécue comme “politique" ? Et avez-vous le sentiment d'être entendus par les jeunes d'aujourd'hui ? Oui, nous sommes convaincus d'être écoutés par une partie de la jeunesse. Mais une chanson ne fait pas forcément la révolution, elle accompagne des combats, c'est du baume au cœur, elle distribue des énergies, comme une vitamine, qui vont droit au cœur. Votre discours est loin de celui qu'expriment certains beurs du type “La France est un pays raciste", “La France est une dictature colonialiste"... C'est vrai que nous n'avons pas un public dit “beur", peut-être parce qu'on ne peut pas être à la fois exclu et citoyen, c'est des jeunes qui ont besoin d'une posture radicale qui n'est pas la nôtre. Nous avons opté pour un discours plus nuancé, nous aimons l'idée qu'il y ait une complexité des choses, tant pis si cette complexité n'atteint pas les banlieues de France. Cette formation a son public aussi de ce côté de la Méditerranée ; il a d'ailleurs assisté pour la première fois au concert du groupe devant la Grande Poste d'Alger. Comptez-vous renouveler l'expérience ? Oui, notre souhait serait d'avoir un rendez-vous régulier avec la jeunesse algérienne, pour partager ses craintes, ses espoirs de voir des ponts se bâtir entre l'Orient et l'Occident, j'ai envie de dire entre Alger et Paris. Tu es connu pour être l'âme poétique de Zebda, tu es à la fois chanteur et auteur principal des textes. Tu penses poursuivre ta carrière solo ou tu dois la mettre entre parenthèses pour te consacrer entièrement au groupe ? C'est vrai que je n'ai pas l'énergie pour mener tous ces combats de front, pour ces deux prochaines années, je suis Zebda et rien d'autre. Tu es aussi nouvelliste et romancier. Tu es actuellement sur un projet de roman, je crois ? Comment tu arrives à concilier l'engagement politique, la chanson avec les concerts et l'écriture ? Je n'ai pas de recettes particulières, d'ailleurs je ne pose pas particulièrement de questions sur mon travail, j'utilise toute mon énergie comme elle vient sans la canaliser, je laisse aller la plume sans la retenir, peut-être ai-je peur de la page blanche ?