La meilleure manière de changer les choses est de commencer par un secteur, rendre les décisions de justice crédibles pour que l'exemple fasse tache d'huile, a suggéré le spécialiste sur un ton optimiste. Dans une conférence organisée par le think tank de Liberté “Défendre l'entreprise" sur la thématique : “Que peut attendre la communauté économique algérienne de la révision de la Constitution ?" donnée par le Pr Mahiou, une sommité mondiale en matière de droit constitutionnel, l'orateur a, en disséquant le mode de gouvernance du pays, montré comment le système politique algérien est générateur de corruption. “On a transformé le pouvoir bureaucratique en source de rente et de corruption. En d'autres termes, on a une superposition d'organes bureaucratiques ayant le pouvoir de décision qui sont autant de sources de rentes et de corruption." Selon lui, la meilleure manière de lutter contre ce phénomène est de disposer d'une justice indépendante, a-t-il ajouté. Il faudra commencer par un secteur, rendre des décisions de justice crédibles dans une affaire ou dans des affaires de corruption pour que l'exemple fasse tache d'huile. L'Etat recouvre ainsi sa crédibilité auprès des citoyens. Et l'effet de dissuasion se diffuse à la source de corruption. “L'exemple doit venir d'en haut", a-t-il ajouté. “Le 51/49 est une aberration" L'essentiel de sa communication a porté également sur ses quatre suggestions au législateur pour améliorer le texte portant révision de la Constitution. L'Algérie se dotera bientôt de ce document qui aura certainement un impact sur la liberté d'entreprendre. En ce sens, il convient de réinsérer l'entrepreneur dans la Constitution en vue d'assurer dans les faits la liberté d'initiative et le développement du pays. Dans l'alinéa 6 du préambule, il propose d'élargir la participation à la gestion des affaires publiques aux entreprises : la participation des citoyens et des entreprises (ajout) à la gestion des affaires publiques et le développement national. Concernant l'article 37, la suggestion concerne l'initiative privée. Au lieu de “l'Etat œuvre à la promotion de l'entreprise nationale", le conférencier propose cette précision : “L'Etat œuvre à la promotion de l'entreprise publique et privée." L'orateur suggère d'amender l'article 53 (le droit à l'enseignement est garanti). On pourrait ajouter : “Le droit à l'enseignement public et privé est garanti. L'Etat organise l'enseignement public et privé et prévoit le régime régissant l'enseignement privé." Il propose également que le Conseil économique et social soit constitutionnalisé. Le Cnes devient, en d'autres termes, un organe constitutionnalisé. La Constitution devrait consacrer notamment le pouvoir économique et social au sein du Sénat à travers la représentation de représentants des chefs d'entreprise, de syndicats et d'associations. Par la suite, le conférencier a abordé la question de la gouvernance des entreprises. Il a souligné d'emblée que l'Etat n'a pas permis à l'entreprise publique d'être efficace. Le professeur Mahiou pointe du doigt l'instabilité juridique du cadre régissant la gouvernance de l'entreprise publique. Jamais l'Etat n'a défini sa relation de façon cohérente avec ses entreprises publiques. On devrait prononcer la faillite d'une entreprise publique déficitaire, quitte à prévoir un filet social pour les licenciés, a-t-il suggéré. Car, on ne peut indéfiniment soutenir des entreprises insolvables avec les recettes tirées des hydrocarbures. Par ailleurs, il soutient qu'on a hérité d'un système administratif français qualifié de bureaucratique. À la différence que le système bureaucratique français fonctionne. “Napoléon est le véritable créateur de la bureaucratie, mais la légion d'honneur de la bureaucratie devrait être attribuée à l'Algérie." “On se retrouve devant une approche bureaucratique et dogmatique du système économique en Algérie", a-t-il observé. Il citera dans la foulée deux aberrations. Primo : l'Etat algérien est le seul pays au monde à n'avoir pas de banques privées (à capitaux locaux). Ce n'est pas parce qu'“une banque a failli (banque Khalifa) qu'on condamne tout un secteur d'activité". Autre aberration : le 51/49. “On comprend que l'Etat conserve la majorité des parts dans les secteurs stratégiques : hydrocarbures, télécommunications, services publics comme l'électricité, mais en quoi disposer de 0% ou 30% dans la production de chaussures gêne les intérêts de l'Etat. A fortiori quand on sait qu'avec 5% du capital, l'Etat peut contrôler l'entreprise concernée", a-t-il argué. “La justice algérienne n'est pas crédible" Il observe également que la justice algérienne n'est pas crédible. Le juge n'est pas indépendant. “Dans certaines affaires, il ne délibère pas sans avoir reçu un coup de téléphone (verdict par téléphone)", a-t-il ajouté. Au cours du débat, un intervenant a proposé de constitutionnaliser la non-discrimination entre entreprise publique et privée. Mme Arkoun, spécialiste en droit, a évoqué, elle, le problème de l'insécurité juridique à travers la non-effectivité des lois, c'est-à-dire leur non-application sur le terrain. Quant au Pr Bouzidi, membre du think tank “Défendre l'entreprise", il a tenté de recadrer le débat en proposant sa grille de lecture. “Ce ne sont pas des incompétents au sommet. Ils ne sont pas débiles. Ils ne veulent pas tout simplement céder le pouvoir économique. Supposez que les opérateurs privés ne sont pas freinés dans leur expansion, ils seront en position de menacer le pouvoir de nos gouvernants", a-t-il argué. En conclusion, le Pr Mahiou a émis l'espoir que les Algériens “de tubes digestifs se transforment en muscles productifs (à l'avenir)". K. R