Outre un groupe d'experts, l'UGTA et les patronats public et privé ont participé à l'élaboration du projet portant sur la nouvelle stratégie industrielle, indique, dans cet entretien, l'économiste spécialisé, en particulier dans les questions liées aux réformes économiques. Liberté : En tant qu'animateur du groupe de travail sur le redressement industriel et technologique mis en place il y a un peu moins de trois mois par Chérif Rahmani, ministre en charge de l'Industrie, en quoi cette démarche vous paraît novatrice et plus efficace, par rapport à la mouture précédente ? M. Mékidèche : Vous devez savoir que ce type de rapports appartient à celui qui l'a commandé. Ce dernier peut lui apporter tout amendement qu'il juge utile et peut même lui donner les prolongations institutionnelles, réglementaires et opérationnelles qui lui paraissent les plus appropriées. Ceci dit, puisque vous m'avez posé la question, j'essayerai de répondre dans les limites fixées par le respect de la déontologie. Pour avoir participé, avec notamment mes amis les professeurs Hocine Benissad et Rafik Bouklia aux deux exercices auxquels vous faites allusion, la démarche actuelle me paraît différente sur plusieurs aspects et à vrai dire plus opérationnelle. D‘abord, la première différence réside dans le fait que l'exercice est soutenu explicitement par l'ensemble du gouvernement, à sa tête le Premier ministre. La seconde renvoie au format inédit adopté. Il ne s'agit plus d'un exercice réservé aux seuls experts portant sur l'état de la science en manière de doctrines industrielles et accessoirement sur celui de l'industrie nationale mais d'une réflexion collective, partagée et consensuelle sur ce qu'il a lieu de faire maintenant pour arrêter un processus de dévitalisation de l'industrie algérienne qui a commencé depuis plus de deux décennies. D'où me semble-t-il le choix de la composante de la commission établie en trois volets : le volet académique et universitaire, la représentation des partenaires sociaux dans ses déclinaisons salariale, patronale et professionnelle et enfin le volet institutionnel, sectoriel et transversal. La difficulté réside dans le fait que les angles d'analyse et les recommandations qui en découlent sont forcément différentes. Le tout est de les rendre compatibles ou au moins convergentes. Malgré ces difficultés, nous n'avons pas perdu beaucoup de troupes car au fur et à mesure du déroulement de l'exercice, la capacité d'écoute collective a été privilégiée. Vous savez, on apprend toujours des autres d'autant que s'il y avait une solution toute faite portée par une personne ou par une partie des acteurs seulement, cela se saurait. On doit aussi à la vérité de dire que les orientations de ne pas “cliver" entre secteur privé et secteur public ou bien entre le point de vue des banques et celui des opérateurs a été utile pour sauvegarder la cohésion du groupe et même construire une culture commune qui s'est traduite au bout du compte par l'élaboration du rapport portant sur “les préconisations pour le redressement industriel et technologique de l'Algérie". Ce qui a facilité également le travail, c'est l'état avancé de la maturation de la réflexion collective des partenaires sociaux. Il faut se rappeler que l'UGTA avait engagé lors de l'été 2012 un chantier sur les questions de pouvoir d'achat et d'information, le FCE avait mobilisé son expertise pour produire un document portant sur une cinquantaine de propositions pour soutenir la croissance. L'association des jeunes entrepreneurs Care avait également initié un exercice identique à l'occasion du cinquantenaire. Les contributions écrites de la Cipa et de l'Unep ont été également d'un grand apport. D'un autre côté, on a pu se rendre compte, lors du cycle des auditions, de l'amélioration de la qualité des contributions de l'échelon institutionnel (Banque d'Algérie, ONS, Cnis, Andi, Aniref, Abef, SGP) à la fois au niveau qualitatif et statistiques. Tout cela a contribué à créer des conditions favorables de travail pour le groupe. Enfin dernier point, il faut rendre à César ce qui lui appartient, les rapports précédents sur la stratégie industrielle mais aussi les productions des grands cabinets internationaux et des institutions internationales ont constitué des éléments bibliographiques de référence de première qualité. Sur le fond, quelles sont finalement, d'après vous, les caractéristiques essentielles du rapport livré ? Le rapport est structuré en deux parties. La première rapporte un état des lieux spécifié, documenté et partagé sur la nature du déclin industriel de l'Algérie dans ses composantes publique et privée : absence de compétitivité du secteur public industriel et faiblesse du secteur privé. La seconde partie est dédiée aux préconisations de redressement et de relance industrielles appuyées sur des visions industrielles rénovées et affichées. Car éviter les débats idéologiques, pour ne pas cliver, ne veut pas dire pour autant évacuer toute question de doctrine économique. De ce point de vue-là, un certain nombre d'éléments de consensus ont émergé comme par exemple l'obligation de reconquête de parts de marché intérieurs par des entreprises. Ces parts de marché ont été perdues au profit d'une importation massive et débridée qui a de plus en plus du mal à être acceptée économiquement et socialement. Deux chiffres devront bouger significativement à court terme à la faveur de cette nouvelle approche industrielle : la faible contribution de 4% au PIB du secteur et la croissance négligeable de ce dernier avec 0,8%.C'est ce que les économistes appellent la substitution aux importations. Autre exemple de consensus : l'investissement public, y compris dans les industries stratégiques n'est pas historiquement achevé et devra se poursuivre, quitte à en ouvrir ultérieurement le capital en Bourse et aux investisseurs privés comme l'Unep l'a explicitement évoqué dans sa déclaration. Mais cela sous réserve d'un allégement significatif du risque de gestion que seront amenés à prendre les managers publics. Autre élément de consensus : celui de politiques publiques de soutien ciblé à la fois en direction de la PME algérienne de faible taille et de capacité technologique insuffisante et en direction de champions potentiels privés et publics. La préférence nationale traduite dans une sorte de “Small Busines Act" ne veut pas dire absence de compétition entre les entreprises nationales car c'est la compétition qui en dernière analyse va augmenter la compétitivité et qui préparera ces dernières à l'exportation. La substitution aux importations ne signifie pas pour autant un refus d'intégration à l'économie globale en termes de diversification des exportations, à partir des ressources naturelles et des avantages compétitifs, mais pas seulement, et de la promotion des investissements directs étrangers (IDE). Comment cette démarche va être mise en œuvre ? C'est précisément là que réside un des nouveautés sur laquelle il faut insister. La démarche générale, vous l'aurez compris, est de concevoir une vision industrielle partagée donc plus consensuelle en la mettant d'abord en œuvre pour stopper l'hémorragie qui touche le tissu industriel dans sa totalité. Ce qui se traduira par une mise en œuvre plus rapide et plus efficace des mesures de redressement dans la production industrielle et l'investissement. Pour illustrer cela, c'est ce qui fait par exemple la différence entre les types de management occidentaux et le management japonais qui semble perdre du temps pour construire des consensus laborieux mais qui en réalité en gagne par une mise en œuvre immédiate et décisive car appropriée dans la phase même d'élaboration de la démarche. En accompagnement parallèle du processus institutionnel de mise en œuvre de cette nouvelle démarche, une dizaine de rencontres régionales seront consacrées à la dynamisation des capacités industrielles des territoires, essentiellement sur le mode de l'écoute. Ces dernières seront clôturées par des Assises nationales de la production industrielle déclinée par filière. J'ajouterai que la formalisation d'une telle procédure de mise en œuvre opérationnelle pourrait même trouver sa traduction dans des contrats de performance entre l'Etat et les acteurs des différentes filières industrielles fixant de façon quantifiée et volontaire les droits et devoirs des parties prenantes. C'est pour ma part la lecture que je fais de cette nouvelle politique industrielle des pouvoirs publics. Il n'y a aucune raison qu'elle échoue cette fois-ci. R. E.