Dans l'art de faire partir en fumée des ressources rares et non renouvelables, notre pays est très bien classé. Une étude internationale récente confirme que l'Algérie est dans le peloton de tête des pays où les carburants sont le moins chers. Avec une moyenne de 0,26 dollar le litre, l'Algérie devance ainsi des pays comme l'Iran avec 0,33 dollar le litre. Elle fait pratiquement jeu égal avec le Qatar et la Libye où l'essence est vendue 0,24 dollar le litre et n'est vraiment devancée que par l'Arabie Saoudite avec 0,16 dollar le litre, tandis que le Venezuela occupe la première place avec les prix d'essence les plus bas du monde à 0,13 dollar le litre. Notons que l'étude ne dit pas à quelle place se situe l'Algérie pour le gasoil qui est vendu chez nous, il s'agit quasiment d'une exception mondiale, à la moitié du prix de l'essence. Gageons que, pour ce dernier produit, elle ne doit pas être très loin de disputer la première place au pays du défunt Commandante Chavez. Le problème c'est, comme on peut le noter, que l'Algérie boxe ici dans une catégorie de pays dont les réserves pétrolières sont sans comparaison avec les nôtres... On relèvera surtout que les prix des carburants en Algérie sont environ dix fois inférieurs à la moyenne des prix européens, y compris ceux pratiqués dans un pays comme la Norvège qui possède au moins autant de réserves d'hydrocarbures que nous. L'écart avec les prix pratiqués par les pays voisins, Maroc et Tunisie notamment, est également considérable. Un coût financier considérable et méconnu Curieusement, le coût financier de cette politique de subvention du prix des carburants mise en œuvre depuis des décennies était jusqu'à une date récente quasiment passé sous silence aussi bien par les pouvoirs publics que par les médias nationaux. Et pour cause, si le coût du soutien des prix des produits alimentaires est relativement bien connu (environ 300 milliards de dinars par an selon le dernière loi de finances), le coût de la subvention des produits énergétiques n'était jusqu'ici pas mesurée avec précision du fait qu'il s'opère par d'autres moyens que le budget de l'Etat ; essentiellement sous forme de rachat des dettes des entreprises concernées par le Trésor public. C'est seulement au cours des dernières semaines qu'on a commencé à évoquer une récente étude du Pnud selon laquelle l'Algérie figure parmi les pays arabes qui subventionnent le plus les produits énergétiques avec près de 11 milliards de dollars (quelque 800 milliards de DA) consacrés à la subvention des prix de l'énergie en 2010. Cette étude précise que l'électricité a profité de 2,1 milliards dollars (quelque150 milliards DA) de subventions, tandis que les carburants ont coûté 8,5 milliards de dollars (environ 650 milliards de DA). Ces subventions représentaient, selon l'organisme onusien, 6,6% du PIB algérien en 2010. Dans la foulée, c'est le ministre des Finances, M. Karim Djoudi, qui annonçait la semaine dernière que les deux chambres du Parlement seront informées par le gouvernement, dès la présentation de la prochaine loi de finances, du coût annuel des subventions accordées aux produits énergétiques. “Nous sommes en train de travailler actuellement au ministère des Finances pour quantifier ces subventions pour que la prochaine loi de finances permette au Parlement de prendre connaissance du montant des subventions non budgétisées. Ces montants ne vont donc pas être budgétisés mais affichés sur le budget à titre indicatif", a précisé le ministre qui a expliqué en outre que les prix actuels “ne couvrent pas les charges d'exploitation ou l'amortissement de la dette des entreprises ni leur développement économique". Il n'est donc pour l'instant apparemment pas question de relever les prix de l'énergie et des carburants, mais on saura au moins ce que leur subvention coûte à la collectivité nationale. Il en était temps et c'est sans doute la moindre des choses. Le soutien des prix ou comment en sortir ? Comme de nombreux Etats de la région, l'Algérie tente d'endiguer les contestations sociales et politiques en agissant sur le levier des prix des produits de base. Une recette qui a, dans notre pays, la particularité remarquable de s'étendre également et de façon massive et coûteuse aux produits énergétiques et aux carburants. Le gel des prix des produits subventionnés sur une très longue période, suivi d'un ajustement brutal et douloureux en période de raréfaction des ressources financières, est une expérience que l'Algérie a déjà connue au début des années 1990. Comment éviter de se retrouver dans la même situation dans quelques années ? La plupart des observateurs commencent par établir une distinction très nette entre les subventions de produits comme l'électricité et encore plus les carburants qui seraient carrément “irrationnels" et celle des produits alimentaires de base. Un point de vue exprimé notamment et résumé par un ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, M. Hadj Nacer, qui estimait dans une interview récente : “Je ne dis pas qu'on ne doit subventionner aucun produit. Nous pouvons limiter, par la régulation, l'impact des fluctuations des marchés internationaux sur le panier de la ménagère. Ce qui signifie qu'un taux de subvention raisonnable est nécessaire. Mais pour le reste, il faut rétablir l'équilibre de tous les prix selon des règles de liberté assez claires. Le système actuel de gestion des prix ne peut qu'entraîner une augmentation des importations et une baisse de la valeur du dinar." De son côté, c'est un ancien ministre des Finances, M. Abdelatif Benachenhou, qui proposait voici quelques jours que “les exonérations fiscales profitant aux prix des produits énergétiques soient soumises au débat des parlementaires pour arriver à responsabiliser les sociétés nationales produisant ces produits". M. Benachenhou plaide également pour une “nouvelle forme de subventions des prix en Algérie, ciblant la personne démunie et non pas le produit lui-même, en appelant les autorités à procéder à une évaluation des résultats de la politique de subvention pour en tirer les conclusions". Pour l'instant, le réquisitoire le plus complet contre la subvention des prix des carburants est à mettre à l'actif des experts du think tank Nabni (voir article ci-dessous) qui estime notamment dans son rapport publié en janvier que “ces subventions généralisées et non ciblées représentent une redistribution inégale et inefficace de la rente des hydrocarbures dont les classes défavorisées profitent le moins". Pour Nabni, “l'absence de maîtrise de la demande énergétique et les gaspillages provoqués par ces prix subventionnés occasionnent en outre des besoins d'investissement dans des capacités de production supplémentaires et la dilapidation des ressources énergétiques qui pourraient soit être valorisées sur le marché international, soit être préservées pour garantir la sécurité énergétique future". Ainsi qu'on peut le constater, le consensus sur le caractère globalement néfaste de la politique de gel des prix des produits énergétiques semble aujourd'hui s'élargir très rapidement. Sa remise en cause devra néanmoins probablement attendre des jours meilleurs et un calendrier politique plus favorable. On peut sans doute pronostiquer qu'elle pourrait être sérieusement à l'ordre du jour une fois passées les échéances de 2014. H. H.