Après avoir longtemps laissé courir les rumeurs, avec leur lot d'intox, cette fois-ci le gouvernement a inauguré une nouvelle manière de communiquer. Le souci est que cela intervient tellement tardivement dans la logique de la santé du Président que cette transparence est accueillie bizarrement avec méfiance. Le président Bouteflika a fait un accident ischémique transitoire sans séquelles (AIT). En d'autres termes, il a eu un accident cardiovasculaire cérébral qui pouvait être grave et qui ne le serait pas, selon le gouvernement. Au-delà du choc qu'a provoqué la nouvelle sur l'opinion publique algérienne, c'est le fait de le rendre public qui inquiète, paradoxalement, les Algériens. Car rien n'est simple avec l'état de santé du président de la République. Officiellement, le président Bouteflika n'est plus malade, et ce, depuis des années, et précisément sa sortie de l'hôpital Val-de-Grâce à Paris en 2005. Toute allusion à son état de santé était vécue par le pouvoir politique comme étant autant de tentatives d'affaiblir les capacités de gouverner du président Bouteflika. Du moment que Bouteflika n'est pas malade, tout ce qui pouvait être dit ou fait équivaut à de la rumeur, et seulement de la rumeur. Mais revenons sur cette journée du 27 avril. Si l'on croit l'APS, “le président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, a fait samedi à 12h30 un accident ischémique transitoire sans séquelles, a annoncé le directeur du Centre national de la médecine sportive, le professeur Rachid Bougherbal". Ce qui implique un caillot de sang qui a été traité avec célérité. Malgré une effervescence inhabituelle autour du domicile familial du président, chemin El-Ibrahimi (ex-Poirson), et un ballet peu discret d'ambulances, ce n'est qu'à 19h50 que le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, en déplacement à Béjaïa, officialise l'attaque dont a été victime le président de la République. Alors qu'il tenait son discours lors d'une réunion avec les représentants de la société civile, le Premier ministre a soudainement lancé : “Ya j'maâ, je dois vous annoncer que le président de la République a eu un malaise aujourd'hui et qu'il a été admis à l'hôpital. Mais, normalement, il n'a rien de grave. Seulement, je dois rentrer à Alger, j'espère arriver d'ici 20h30. Je vous fais cette annonce, car nous n'avons rien à cacher à ce propos et nous savons qu'il y aura beaucoup de spéculation autour de ce sujet. Je vous dis qu'il n'a rien de grave et nous souhaitons qu'il n'y aura que du bien." L'annonce a surpris plus d'un dans la salle. Réflexe de journaliste oblige, les confrères ont promptement quitté la salle pour refiler l'info à leurs rédactions respectives. Dans la salle, les présents, naturellement ébahis d'apprendre la nouvelle de la bouche du Premier ministre et en présence de huit ministres, ont aussitôt engagé les commentaires, ne prêtant presque plus attention à la suite du discours de M. Sellal. Mais lui a poursuivi son discours pendant une bonne dizaine de minutes, avant de lever la séance vers 20h15. Ceci pour les faits. Reste maintenant les questions que tout le monde se pose. D'abord, pourquoi Sellal, tout en se montrant rassurant, a-t-il annoncé la nouvelle 7 heures après l'accident médical ? Le Premier ministre devait certainement être un des premiers personnages de l'état à être mis au courant de la situation, mais a préféré mener sa visite à Béjaïa comme si de rien n'était. Selon certains journalistes, Sellal a appris la nouvelle dans la salle et l'a communiquée presque immédiatement à l'auditoire. Et puisque le Premier ministre n'est pas habilité à évoquer l'état de santé du Président sans avoir été prévenu que la nouvelle allait être rendue officielle (APS et médias lourds), il est impensable qu'il ait pris l'initiative de son propre chef. Surtout que le gouvernement Sellal, autant que le précédent, n'était pas connu pour s'épancher sur les aléas médicaux du premier responsable du pays. Ensuite, l'idée même de rendre publique cette information est en soi un autre choc médiatique. Peu habitué à la transparence médicale, ayant toujours combattu l'idée que le président Bouteflika pouvait faire des séjours à l'étranger pour faire des bilans de santé (la tradition veut même qu'un président rende public son check-up annuel en toute transparence et même le peu loquace Zeroual avait fait état d'une intervention à une jambe en Suisse), la présidence de la République a jugé, pour cette fois, que l'incident était assez sérieux pour ne pas le cacher aux Algériens. Après avoir longtemps laissé courir les rumeurs, avec leur lot d'intox, cette fois-ci le gouvernement a inauguré une nouvelle manière de communiquer. Le souci est que cela intervient tellement tardivement dans la logique de la santé du Président que cette transparence est accueillie bizarrement avec méfiance. Alors que la télévision d'état l'annonce en soins à l'hôpital militaire d'Aïn Naâdja, d'autres spéculent sur une évacuation d'urgence à Genève, tandis que certains rassurent en disant qu'il a regagné dans la soirée d'hier la résidence de Zéralda. Enfin, et c'est le plus important, que va-t-il se passer par la suite ? L'accident en question n'étant pas grave selon les autorités, n'empêche que le laps de repos que doit s'accorder le président, obligé par ses médecins, n'est pas mentionné. L'AIT, selon les spécialistes, peut falloir un temps de récupération et de convalescence de 24 heures à plusieurs semaines, ce qui laissera le champ ouvert à tout un tas de questions, surtout que l'état de santé de Bouteflika n'est plus un tabou. Depuis hier soir. Ce qui est certain, c'est qu'il ne remettra pas la coupe au MCA ou à l'USMA et qu'il serait maladroit de brandir une nouvelle fois des banderoles appelant au 4e mandat. Car c'est de cela qu'il s'agit en filigrane pour nombre d'observateurs politiques qui vont s'ériger en médecins pour savoir si le Président sera durablement affecté par son attaque ou est-ce qu'il sera remis sur pied rapidement. Dans tous les cas de figure, son agenda, qui était déjà allégé sans conseils des ministres, avec très peu de déplacements et encore moins d'audiences, va considérablement diminuer. Et spéculer sur l'avenir politique de l'homme ou de la nation serait malvenu en ce temps de choc et encore plus avec un Président aussi coriace que Bouteflika qui a trompé les rumeurs depuis huit ans. M. B./F. A. Nom Adresse email