D'un ton qui se veut rassurant, le Président ou, à l'occasion, le ministre s'engage. Immédiatement, après la catastrophe, il promet : “Les familles des victimes seront indemnisées.” Cette récurrente réaction que nous délivrent les hautes autorités du pays, à chaque malheur, a quelque chose d'effronté. À Bab El-Oued, à Boumerdès, à Skikda et probablement ailleurs, nous avons entendu cette proclamation faite sur le ton solennel de ceux qui prétendent avoir le pouvoir de rassurer : “Les familles des victimes seront indemnisées”. Comme si l'argent avait la faculté d'accomplir le deuil des citoyens affligés par la détresse. Inondations, séismes et explosions se succèdent et la rengaine alterne avec le désastre : “Les familles des victimes seront indemnisées.” Si la société a pour devoir d'assister ceux de ses membres accablés par la fatalité ou comme c'est souvent le cas, par l'impéritie de ses dirigeants, elle n'attend pas que cela de ceux qui sont là pour anticiper sur ces épreuves. Elle attend que, faute de prévenir, ils lui expliquent ce qui, dans son malheur, tient de la malédiction et ce qui tient de l'inconscience des hommes. C'est là la seule manière de contribuer à alléger la souffrance et le chagrin des ces familles éprouvées. Qu'elles soient de Bab El-Oued, de Boumerdès, de Skikda ou d'ailleurs, que la catastrophe n'est pas totalement inévitable, que ce n'est pas parce qu'elle est naturelle ou industrielle qu'il n'y pas de culpabilité humaine. À Bab El-Oued, à Boumerdès et à Skikda aujourd'hui, la responsabilité humaine est évoquée. Mais sitôt passé le temps de la douleur que la tragédie est classée. En attendant la prochaine. Quelques voix, jamais celles qui sont en position d'agir, toujours celles qui sont en situation excusable, s'élèvent, parmi les clameurs de la tourmente, pour dénoncer la part d'irresponsabilité dans la nouvelle tragédie. Puis, quelques jours passent et tout rentre dans l'ordre. Entre-temps, “les familles des victimes auront été indemnisées”. Le lot de consolation tient lieu de réparation. Et l'Etat s'en tire à bon compte. Au sens littéral du terme. On sait maintenant ce que coûte la tranquillité du pouvoir quand il y a mort d'hommes : de l'argent. Sept cent mille dinars par personne décédée. Un avion s'écrase en Egypte avec cent trente-cinq Français à bord et la France en fait une affaire d'Etat. Des investigations sous-marines avec des moyens techniques inédits et un travail de deuil auprès des proches sont entrepris par les plus hautes institutions. La nation entière s'investit dans l'œuvre d'apaisement qui ne comprend pas que le dédommagement des parents. Celui-ci va de soi. Comprendre : voilà ce que revendiquent les damnés des catastrophes, qu'elles surviennent à New York ou à Charm El-Cheikh. Pourquoi n'en serait-il pas de même quand elles se produisent à Alger, Boumerdès ou Skikda ? Pourquoi n'aurait-on pas le droit de connaître ce qui revient à la nature, à l'urbaniste, à l'architecte, au gestionnaire, à l'ingénieur et aux institutions publiques dans les mille morts de Bab El-Oued, les deux mille deux cents de Boumerdès et les trente de Skikda ? Pourquoi ne connaît-on que le prix de la victime et pas la raison de son sacrifice ? M. H. [email protected]