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« C'est une véritable énigme que cette impunité des responsables » Commandant Hammoud Ahcène. Secrétaire général du Syndicat des pilotes de ligne algériens à Air Algérie
Le crash d'un avion-cargo d'Air Algérie dans le nord de l'Italie a suscité la réaction du personnel d'Air Algérie et du Syndicat des pilotes de ligne algériens (SPLA). Hammoud Ahcène, secrétaire général du SPLA, affirme qu'après l'annonce de ce drame, « un mouvement spontané de protestation s'est déclenché et la situation a failli dégénérer et aller vers la casse si ce n'est l'intervention du syndicat qui a calmé les esprits, ce qui a permis une reprise des vols vers 20h ». Il précise d'emblée qu'il ne s'agit pas « d'une grève », car cette forme d'arrêt de travail nécessite de passer par des procédures réglementaires. Le deuxième jour, les pilotes ont décidé d'un arrêt de travail de 14h à 16h « à cause de l'humiliation et du comportement du PDG qui ne s'est pas adressé à la corporation ». Cette attitude n'a pas été appréciée et elle a même failli mettre le feu aux poudres. Face à une probable escalade, Mohamed Maghlaoui, ministre des Transports, a dû intervenir en personne. Selon M. Hammoud, il a prêté attention aux problèmes posés par les pilotes. Ce geste a eu un premier effet immédiat : le travail a repris vers 15h 20. « Le message semble être bien perçu par les hautes autorités. Nous avons été touchés par ce geste qui marque une certaine présence de l'Etat. Il a eu de l'écho et c'est positif », relève le syndicaliste. Mais pour lui, le combat continue. Une AG, a-t-il dit, sera convoquée pour définir la démarche à suivre. « On est étonné. Air Algérie est la seule entreprise où les catastrophes se suivent. Ailleurs, il y a eu des sanctions. Nous n'avons jamais été destinataires des résultats des enquêtes », ajoute M. Hammoud. Il faut dire que la majorité des rapports d'accidents d'avions est gardée sous le boisseau. Entretien. C'est le troisième crash après celui de Tamanrasset en mars 2003, et la série noire continue malgré la sonnette d'alarme que vous avez tirées... D'abord, je tiens, au nom de toute la corporation des pilotes de ligne et au nom du syndicat, à présenter mes condoléances aux familles de Abdou Mohammed, Tayeb Bederina et Mustapha Kadid, comme je tiens à remercier Sidi Saïd, responsable de l'UGTA, ainsi que notre ministre venus en personne présenter leurs condoléances à toute la famille d'Air Algérie. Pour répondre à votre question, je pense qu'il y a eu un crash qui est passé sous silence, c'est le troisième crash en trois années. Depuis le fameux crash de Tamanrasset du 6 mars 2003, qui marqué à jamais les Algériens, juste après celui-là, je ne me rappelle plus de la date exacte, il y a eu un autre crash à Ghardaïa et cette fois-ci il y a eu une victime. Il s'agit d'un avion de petite capacité de 19 places, un avion Beechcraft 1900, commandé par deux pilotes dont l'un est malheureusement décédé. Avec celui de Séville du 737-600 au mois de mars 2006 et cette dernière catastrophe en Italie de l'Hercule, il y a eu donc quatre crashs et la liste est encore ouverte. Il y a plus d'une année, à l'occasion de la commémoration du drame de Tamanrasset qui a fait 103 morts, j'avais lancé un appel pour une prise en charge de ce problème sérieux qu'est la sécurité aéronautique. J'avais demandé à ce que chacun prenne ses responsabilités et agisse là où il doit pour sauvegarder cette compagnie, sécuriser nos vols et nos passagers qu'ils soient algériens ou autres. Malheureusement, depuis ces événements majeurs, la courbe est toujours ascendante, surtout ces dernières années où on remarque que le temps entre un crash et un autre ne cesse de rétrécir. On espère ne pas arriver à compter les accidents en jours ou en heures. Au-delà des facteurs classiques du crash, vous montrez du doigt le mode gestion de la compagnie... Je tiens à préciser d'abord que ce n'est pas la gestion financière d'Air Algérie qui intéresse le syndicat ici, pour cela il y a un Etat et des structures qui en sont responsables. En ce qui nous concerne, c'est la gestion de la corporation des pilotes qui importe. Il est de mon devoir de défendre cette corporation selon les lois de la République. Le pilote n'a jamais été géré convenablement à Air Algérie, il a été utilisé comme une machine sans prendre en compte son côté psychologique, il n'a jamais eu le repos qu'il faut, il n'a jamais bénéficié de bonnes conditions de travail qu'elles soient matérielles ou morales ou de soutien quelconque de la part de son employeur. Cela commence dès le ramassage à son domicile du pilote dans des navettes qui sont très sales et démunies des conditions minimums de sécurité. Au niveau des opérations où le pilote prépare son vol, c'est une catastrophe. Les lieux sont sales, exigus et inadaptés à cette fonction de pilote qui doit préparer son vol dans le calme et sans oublier le moindre détail avant qu'il prenne en charge son avion, ses passagers et accomplisse sa mission en sécurité. Donc, la sécurité est affectée déjà sur le sol avec la navette et les moyens d'accueil au niveau des aéroports. Je parle des structures d'Air Algérie qui accueillent le pilote et lui fournissent le dossier du vol. Une fois à bord, rien n'est préparé, c'est le pilote qui doit courir derrière tous les services et doit faire attention à ne pas oublier le moindre détail et faire le travail de tout le monde. Le pilote commence normalement son travail une fois les passagers à bord, mais à l'arrivée des passagers on est déjà usé et chaque vol est entamé avec un état de stress, fatigue et incertitude. Cette fatigue est accumulée depuis des années puisqu'on accumule des siècles de congés qu'Air Algérie doit à son personnel, à ses pilotes, et ceci est illégal vis-à-vis de la loi. Pour cela, l'inspection du travail n'a jamais joué son rôle et n'a jamais répondu aux correspondances des pilotes et il y a peut-être même complicité. En quoi ce mode de gestion influe-t-il sur la sécurité aéronautique ? La programmation du pilote est anarchique. Il y en a qui dépassent largement leur amplitude journalière. Ce sont des vols effectués au détriment de la sécurité et ce sont des pilotes qui ont été exploités avec la complicité de la direction et en connaissance de la tutelle parce que quand le syndicat est intervenu pour mettre un terme à ces pratiques illégales et dangereuses qui vont à l'encontre de la sécurité du passager, de l'avion et du pilote lui-même, le syndicat a été traité de bouchkara. Les correspondances sont au niveau des autorités, précisément au niveau de la direction générale de l'aviation civile où on a cité nominativement les gens qui ont dépassé de loin l'amplitude journalière interdite par les lois du travail. Selon vous, ceci conduit-il à l'accident ? C'est une cause directe du crash. Avec la fatigue, les repos non pris, les mauvaises conditions d'accueil, la pression psychologique, parfois les menaces, parce qu'on subit des intimidations et des arrêts de vols abusifs. On enlève à un pilote ses vols pendant 10 à 15 jours sans lui notifier cela par écrit juste pour le harceler moralement et ensuite on le remet en vol sans laisser de traces. Air Algérie ne manque pas d'argent et pourtant vous dénoncez l'absence de moyens... Hormis quelques fausses solutions, il n'y a jamais eu de véritable investissement dans l'équipement ni aucune stratégie et perspective, leur seul souci et de mettre les équipages sous tension pour assurer les vols et souvent embarquer les passagers sans l'avis même de l'équipage. Pour un seul accident de bateau, le directeur général de la Cnan et plusieurs de ses responsables ont été condamnés par la justice ; pourquoi, selon vous, ceux d'Air Algérie échappent-ils à toute sanction ? C'est une véritable énigme que cette impunité des responsables de la compagnie. On s'interroge nous aussi comment après tous ces crashs et toutes ces victimes aucun responsable n'a été inquiété, par quel miracle personne n'a été relevé de ses fonctions et comment peuvent-ils continuer à travailler normalement sans avoir l'idée de démissionner. C'est le pilote qui paye à chaque fois et il leur reste juste de le poursuivre dans sa tombe pour le sanctionner. M. Maghlaoui vous a rassurés lors de son déplacement de mardi ; espérez-vous quelque chose de la part de l'Etat ? Notre espoir a commencé au mois de février 2005, si mes souvenirs sont bons, lors de l'intervention de notre chef d'Etat à l'occasion du sommet des pays africains producteurs de pétrole, où il a fait un rapport accablant concernant Air Algérie, alors que cela ne figurait pas à l'ordre du jour. Juste après, le SG du syndicat UGTA d'Air Algérie a dévoilé, sur les colonnes de votre journal, beaucoup de vérités concernant les pratiques de gestion. Cela nous a donné l'espoir pour qu'il y ait des actions pour le redressement de cette compagnie, malheureusement il n'y a pas eu d'actions qui ont suivi. Cela ne veut pas dire qu'on a perdu espoir, l'espoir est revenu mardi avec l'intervention du ministre, surtout qu'il a déclaré qu'il était venu au nom de l'Etat algérien et qu'il a donné ses promesses et s'est engagé à régler les problèmes du pilote algérien. Nous avons confiance, et la preuve est que juste après l'intervention du ministre dès qu'il a demandé la reprise des vols, cela a été fait immédiatement, la balle est maintenant dans le camp de nos responsables et on leur fait confiance. Le syndicat compte-t-il lancer des actions pour faire pression ? Je pense qu'en ce moment dramatique le syndicat n'exercera pas de pressions sur Air Algérie et surtout sur le passager algérien parce que ce sont tous les Algériens qui ont été touchés dans leur chair après ce crash dans lequel on a perdu trois Algériens avant qu'ils ne soient pilotes. Heureusement que c'était un vol cargo. Il y a avait seulement trois Algériens et pas deux cents. Les pilotes, dans une réaction spontanée et coléreuse, avaient décidé au lendemain du crash de l'arrêt temporaire du travail sans fixer un objectif ni une tactique ; pour cela on s'excuse auprès de toute la clientèle d'Air Algérie qui a été dérangée. Je pense qu'à travers cette action le pilote voulait montrer sa colère pour que ces accidents ne se reproduisent plus jamais. Les actions du syndicat viendront, quant à elles, après l'enterrement des trois corps, éventuellement avec une assemblée générale.