En quelques mots, dit avec, dans la voix, de l'émotion et imprégnant un rythme lent comme pour y montrer toute la conviction, Pierre Bergé a conquis les présents dans une des salles de l'Hôtel Méridien d'Oran, où il donnait une conférence sur le parcours d'Yves Saint Laurent. C'était mercredi soir au terme d'une première visite à Oran, ville natale du couturier Yves Saint Laurent, que Pierre Bergé évoquera durant une heure et de faire cet aveu : “C'est la première fois que je fais cela, de parler ainsi d'YSL dans une conférence et je l'ai fait uniquement parce que c'est ici à Oran. Je ne pouvais pas procéder autrement en commençant par sa naissance et jusqu'à sa mort !" Les applaudissements lui répondent comme pour un merci. Une heure, le temps qu'il faudra, même un peu plus, à Pierre Bergé pour un retour en arrière dans l'histoire du petit garçon Yves Mathieu Saint Laurent de son vrai nom, né en 1936 à Oran, et qui dès les 14-15 ans, chez lui dans l'appartement de ses parents, laisse paraître son goût, son attrait pour la mode en remplissant des pages de dessins, de silhouettes de mannequins découpées dans des magasines et qu'il habille déjà de ses vêtements de ses créations. La voie est définitivement révélée, affirmée un soir lors d'une représentation au Théâtre régional d'Oran de la pièce “l'Ecole des femmes" de Molière avec Louis Jouvet. Yves Saint Laurent, le créateur, le couturier qui bousculera les normes de la haute couture, allait ainsi s'épanouir quelques années plus tard à Paris, laissant alors éclore tout son art. Pierre Bergé promènera et mènera ainsi son auditoire, inhabituel pour lui, dans l'univers d'Yves Saint Laurent, faisant encore découvrir au travers des diapos, projetées sur un grand fond blanc, les premiers pas du couturier chez Christian Dior, et puis la création en 1962 de leur maison de haute couture Yves Saint Laurent dont il est le cofondateur. Pierre Bergé sera ainsi, 50 ans durant, aux côtés du couturier, dans ses recherches, ses angoisses, ses succès. Il expliquera ainsi pourquoi aujourd'hui encore et de par le monde, ces trois lettres YSL provoquent autant d'admiration pour avoir su “révolutionner la haute couture" en libérant la femme qui devenait ainsi plus libre de s'habiller sans le “diktat des couturiers". Naissaient ainsi les grandes collections 12 ans durant avec cet éternel souci et ambition d'utiliser l'habit masculin, signe de pouvoir, pour en habiller la femme, tout en mettant en valeur sa féminité, sa séduction. Et de citer quelques-uns des modèles ayant composé le vestiaire de la femme moderne, active, selon YSL : le caban, le trench-coat, le tailleur pantalon, le smoking, la saharienne, etc. “Zara", cet esprit d'YSL Durant ses 12 années de création, YSL sera influencé par différents pays, cultures et ethnies comme l'Inde, la Chine, la Russie, le Maroc, l'Espagne, etc. Il y aura aussi les hommages aux artistes, comme la célèbre robe Mondrian en 1965, puis Picasso, Van Gogh, Cocteau. Yves Saint Laurent sera aussi le premier à faire défiler des mannequins noires ; il sera aussi le premier à ouvrir des boutiques en son nom sur la rive gauche à Paris, accessibles à toutes les femmes. Une révolution sociale. Naissait ainsi le prêt-à-porter. Mais déjà YSL se démarque des tendances, ne se retrouve plus dans le nouveau monde de la haute couture. “En 2002, il décide d'abandonner son métier comme je le pressentais, la tournure que prenais la mode ne lui convenait plus, il ne se sentait plus en phase et il ne touchera jamais plus à un crayon jusqu'à sa mort en 2008", confiera Pierre Bergé, qui rappellera encore avec émotion toutes ses années et son dernier grand défilé de 2002, une rétrospective de 300 modèles considérée comme une œuvre de l'histoire du XXe siècle. Aujourd'hui, la mode et la haute couture n'inspire guère plus d'admiration à Pierre Bergé, qui lui aussi marque le temps par l'avant-YSL et l'après-YSL. “La haute couture est totalement morte, cette façon de travailler ne veut plus rien dire, on ne peut pas qu'habiller que des femmes riches", lâche-t-il. A ses yeux, aujourd'hui, “seule une marque, une griffe, correspond à l'esprit d'YSL, c'est Zara", dira-t-il, et cela dans la mise en place de circuit court, le rapport qualité/prix et parce que “ce n'est pas réservé à une élite. Arrêtons de déguiser les gens, la mode doit être faite pour servir les femmes et non se servir d'elles", martèlera-t-il. Aujourd'hui dans la maison de couture Yves Saint Laurent, Pierre Bergé affiche un certain satisfecit pour l'actuel créateur et directeur artistique, Hedi Slimane, en disant de lui : “J'aime ce qu'il fait." Un héritier, peut-être d'YSL, qui verrait ainsi son esprit perpétué. En retour de ce passage dans la ville qui a vu naître YSL, Pierre Bergé recevra en cadeau une copie encadrée de l'acte de naissance du couturier qui, à maintes reprises, confiera à Pierre Bergé toute sa nostalgie pour sa ville natale dont les souvenirs étaient faits de couleurs, de lumières et d'odeurs. Cet acte de naissance trouvera peut-être un jour sa place dans l'exposition de la fondation Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, créée pour perpétuer et son souvenir et son œuvre à travers le monde entier. D. L Nom Adresse email