Pouvons-nous convenir que les amendements substantiels, contenus dans le dernier décret présidentiel n°13-03 du 13 janvier 2013 modifiant le code des marchés publics (CMP), reflètent une volonté réelle de faire de la commande publique un instrument de soutien à la croissance ? Le problème est posé. Les gestionnaires des entreprises publiques économiques (EPE) le pensent, mais les entrepreneurs privés n'en sont pas tout à fait convaincus. Examen du dossier et évaluation d'ensemble. Nous démarrerons cet exercice par l'analyse des changements considérés comme positifs par les premiers acteurs cités. Les transactions commerciales des EPE ne sont plus soumises aux dispositions du CMP. Leur champ d'application a été restreint aux administrations centrales et territoriales, les établissements publics administratifs (EPA) et les institutions nationales. Toutefois, les EPE sont tenues de concevoir et de faire approuver par leurs organes sociaux les procédures de passation des marchés, “selon leur spécificité, fondées sur les principes de liberté d'accès à la commande, d'égalité de traitement des candidats et de transparence". Cette latitude présente cependant une contrepartie : celle la soumission des EPE à trois contrôles externes a posteriori : celui du commissaire aux comptes et, le cas échéant, ceux de l'Inspection générale des finances (IGF) et de la Cour des comptes. Par ailleurs, la procédure de “gré à gré" est rendue possible “en cas d'urgence". Encore que cette notion d'urgence devrait être clarifiée juridiquement, comme le notait le juriste Abdelhamid Berchiche dans une conférence à Bouira. En vérité, il s'agit là, avec la dépénalisation du risque de gestion, de revendications récurrentes des gestionnaires publics qui sont satisfaites. Cela permettra aux EPE de retrouver la flexibilité et la réactivité nécessaire en économie concurrentielle. Dans le registre de ces nouvelles dispositions positives, il y a quelques-unes qui auront des effets positifs sur une partie du secteur privé local. Citons par exemple la nouvelle disposition introduite au profit des investisseurs et entrepreneurs jeunes et moins jeunes des différents territoires. Elle porte sur la suppression de la caution de soumission (1% au moins du montant du marché) pour les marchés publics des wilayas. à l'inverse, pour des raisons évidentes de professionnalisation des entreprises et d'élévation de leurs standards opérationnels, la caution de bonne exécution (5 à 10% du marché) reste exigible. Citons aussi l'augmentation du taux de “préférence nationale" de 15% à 25% et qui est élargie d'ailleurs aux partenariats, dont le pourcentage de participation algérien tous secteurs confondus est supérieur à 51%. Espérons seulement que nos négociateurs pour l'adhésion à l'OMC ne céderont pas sur ce point. Mais, malgré cela, certains segments du secteur privé perçoivent ces nouvelles dispositions comme profitables uniquement aux EPE. Essayons de comprendre la nature de leurs réserves à l'égard de cette nouvelle version du CMP. Pour ma part, il me semble qu'il ne sert plus à rien de reproduire les discours faciles et stéréotypés sur la “marginalisation du secteur privé". Il est plus productif de se focaliser sur les causes de la faiblesse de ses parts de marché dans la commande publique, ressentie comme une forme d'éviction et d'avancer ensuite des propositions correctives. La plupart des propositions émises sont, à ma connaissance, des solutions par le haut ne traitant que de la partie institutionnelle. Certaines d'entre elles me paraissent même être de fausses pistes, car peu susceptibles d'aboutir. Il y a celle qui consiste à faire passer le CMP par un processus législatif d'approbation. L'expérience de la modification d'une des lois de finances pour autoriser l'importation à grande échelle de la friperie au moment où le secteur du textile faisait l'objet d'un programme de redynamisation me fait craindre l'influence des lobbies dans cette démarche. La deuxième fausse piste que j'ai relevée va plus loin. Elle propose de “constitutionnaliser" l'égalité de traitement entre les entreprises publiques et les entreprises privées. Tout le monde sait que la “liberté de commerce" au sens large est déjà inscrite dans la Constitution. Le reste, c'est-à-dire la définition des conditions d'exercice de cette “liberté de commerce" et de la liberté d'entreprendre, relève tout simplement du champ de loi (code civil, code du commerce, code des marchés publics, lois et textes réglementaires sur la gestion de capitaux marchands de l'Etat, etc.). Pour ma part, j'estime qu'il faut choisir une approche par le bas, plus pragmatique et plus concrète. Elle pourrait faire bouger plus rapidement les lignes au profit de l'entreprise. Ainsi, la voie qu'il me paraît la plus indiquée consisterait plutôt à construire des passerelles entre secteur public économique et secteur privé, au lieu de s'en tenir à des clivages qui ne peuvent que limiter les capacités d'intervention nationale. Ces passerelles peuvent prendre la forme de création de groupements publics/privés dont les effets de synergie, de taille et de croisements de compétences et de culture, permettront à l'outil national de prendre des parts de plus en plus importantes dans la commande publique. Le cadre et les instruments existent déjà. Ainsi, le code du commerce consacre “la liberté à deux ou plusieurs personnes morales, la possibilité de constituer entre elles par écrit, pour un temps déterminé, un groupement d'entreprises en vue de mettre en œuvre tous les moyens propres à faciliter ou à développer l'activité économique de ses membres, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité" (article 796). On ne peut pas être plus clair sur la latitude qui est donnée. Quant aux instruments, on peut en citer le plus récent. La Caisse nationale d'équipement pour le développement (Cned) met en place un “pôle" chargé du partenariat public/privé pour encourager les montages d'intervention mixtes et l'accès à d'autres sources de financement. Parmi les propositions du Forum des chefs d'entreprises (FCE), celles qui consiste, pour la commande publique, “à impliquer le privé avec le public et le privé international", me paraît aller dans le même sens. De façon plus factuelle, le redémarrage et l'extension du complexe agroalimentaire Eriad de Corso, en partenariat avec le groupe privé Benamor, en sont une illustration. Avec ce type d'alliances, il y a encore de la place pour d'autres opérations, tant la palette des actifs industriels dormants est large. Il y a aussi d'autres types d'opportunités non explorées dans la réalisation des marchés publics et l'exploitation des infrastructures. Qu'on se rassure, il y a de la place pour tout le monde. C'est malheureusement la situation inverse qui continue de prévaloir. M.M. Nom Adresse email