Le conte détient sa magie inimaginable. Il a sa logique illogique. Par sa langue qui ne ressemble à aucune autre langue, il nous fascine. Mes excuses feu De Saussure ! Par sa musique, tantôt psalmodique tantôt diabolique, le conte nous donne le vertige. Nous procure l'extase. J'ai lu, depuis mon enfance et je continue à le faire, des centaines de contes populaires venant des quatre vents. Traduits en arabe littéraire ou français. Mais aucun conte n'a égalé celui dit et conté sur la langue de ma mère ou ma grand-mère. Le conte est vivant, ardent par et dans son oralité fragile. Il est solide et ancestral dans son état oral que dans sa prison alphabétique éternelle. L'oralité est la patrie dans laquelle le conte trouve la liberté. Liberté de mentir-vrai, de détourner, de retourner, de glisser dans l'interdit, de monter la tour de Babel, de la démonter. Le génie d'un conte ne demeure pas dans le sens dégagé par sa philosophie populaire, dans la leçon donnée par des personnages, mais le génie demeure dans ce que j'appelle : le sur-sens. Le conte appartient au royaume édénique, celui installé sur la planète de la langue maternelle. Il est l'autre lait maternel. Généreuse, la maman nous offre la jouissance dans ses mamelles et nous offre l'évasion dans sa langue qui nous conte. Le conte nous suit dans nos jours. Il est réveillé en nous sur le long du chemin de la vie. Il est capable de garder et sauvegarder l'enfance vivante en nous. Même, détraqué par ce temps technologiquement virtuel, je sens une voix dans ma tête. Venant d'un air de l'oralité. Je suis le fils de sa mère. Une mère conteuse. Le neveu d'une tante conteuse. Je suis le petit frère d'une sœur aînée conteuse. Mon père était un bon liseur de Coran. Une belle voix. Une sacrée lecture sur le ton berbéro-andalou. Entre la belle lecture du Coran d'un père qui adorait le Livre d'Allah et les chevaux et une mère qui maniait la langue du conte, je suis tombé d'un ciel fait de sons et de rythmes. Loin de cette ambiance familiale, où jadis le conte embaumait les soirées, dès que je me mets à table pour écrire, la table ce n'est pas le bureau bureaucratique, elle est le rien, un escalier, un café, dans une voiture, un train, dans le fil d'attente, attendre je ne sais pas qui, je ne sais pas quoi.... je sens que je suis hanté par la voix de ma mère, la conteuse. Les beaux romans sont ceux nés de la matrice d'un conte. Celui qui n'arrive pas à écouter, à entendre la voix de sa mère au moment de l'écriture est un traître. Un écrivailleur ! Ce sont les contes dits par ma mère, par ma tante, par ma sœur aînée, qui m'ont ouvert le ciel du rêve. Le conte est une tour de Babel en mouvement. Le conte est le chemin de l'élévation. Le sentier vers le haut, vers le roman. Mes romans sont les autres enfants de ma mère ! Ses autres créatures. Plongé dans une écriture narrative, comme toutes les autres fois, je me trouve face à ma mère, hanté par sa belle voix, me guidant vers des univers romanesques. Et je ne suis que le ré-écrivain du conte de ma mère ! Et j'adore ! La littérature, moderne qu'elle soit, n'est qu'un conte, en fin de compte. A. Z. [email protected] Nom Adresse email