Zaouïas, baraka et karkabou

Bouteflika entame une grande tournée nationale à partir d’Adrar

Le chef de l’État a entamé, depuis jeudi, à partir d’Adrar, une grande tournée nationale qui va le mener dans une douzaine de wilayas.
À quelques jours de la convocation officielle du corps électoral, ce “marathon présidentiel� a, à l’évidence, un fort accent électoraliste.
“Oûhda thania ! Oûhda thania !� (deuxième mandat). C’est par ce slogan scandé à l’unisson sur un air de Fatma, Fatma !, un tube raï détourné pour la circonstance que le président de la République a été accueilli à Adrar ce week-end. Bouteflika l’entendra partout. Baroud, karkabou, danses folkloriques et couleurs vives sont, en gros, les éléments du décor planté tout au long des escales du chef de l’État par ses comités de soutien et la population “consentante�.
Tout le monde le fera remarquer : Bouteflika est “accro� du Sud, et tout particulièrement Adrar. Au niveau officiel, c’est la deuxième visite de Bouteflika à Adrar — faut-il le souligner — après celle de juin 2001, et la troisième si l’on compte celle, très courte, où il était venu assister aux funérailles du très vénéré Sidi Mohamed Belkbir. C’était en septembre 2000.
Comme d’autres croient aux “gris-gris�, Bouteflika, à croire son proche entourage, ne prend jamais de grandes résolutions et ne s’engage jamais dans une grande entreprise sans avoir la “baraka� des saints patrons d’Adrar dans son escarcelle. Et sa campagne pour la présidentielle de 1999 le corrobore tout à fait. Ceux qui sont au fait du passé du Président dans la Guerre de libération nous rappelleront, à juste titre, ici, à Adrar, que Bouteflika a des attaches pour ainsi dire “historiques� avec la capitale du Touat. En tant qu’officier du Malg (Ministère de l’armement et des liaisons générales, ancêtre de la sécurité militaire, se plaît-on communément à dire), Bouteflika fut affecté, à un moment donné, au front du Mali. Période durant laquelle il aura à sillonner le Tanezrouft. “À chacune de ses allées et venues clandestines, il faisait escale à Adrar où il était hébergé par les chefs des zaouïas à l’instar de cheikh Hammi�, confie un cadre de la ville.
En parlant de zaouïas, inutile de souligner qu’elles seront au centre d’une attention tout à fait spéciale de la part du cortège présidentiel.
Bouteflika, laissant le meilleur pour la fin comme dit l’adage, accablera ses collaborateurs et autres personnels chargés de le suivre d’un vrai marathon de “tadchninate�. Ce n’est certes par nouveau, mais les observateurs ont senti dans cette cadence effrénée une sorte d’empressement au regard des délais électoraux qui l’acculent. Même si les visites de terrain du Président se veulent une concrétisation et une actualisation de son programme de relance économique — programme dont la matrice a pour nom le développement local — nul n’est naïf pour croire que cette prodigalité ne revêt aucun caractère électoraliste. Ce serait même faire offense à l’“homme politique� Bouteflika, que de le nier.
Une rallonge de 500 milliards
501 milliards de centimes. C’est le montant global de l’enveloppe dégagée par “Boutef� pour cette wilaya qu’il affectionne tant. Vu la vocation hautement religieuse de la région, les haltes devant les mausolées et autres lieux de culte ponctuent de bout en bout la “ziara� de Bouteflika. Dès l’abord, il lance un projet pionnier de réalisation d’un centre de reproduction des manuscrits fort de 7 000 documents recensés (ils étaient 29 000 en 1908) qui seront répartis sur 28 bibliothèques. Autre moment important de la matinée de jeudi : le lancement d’un projet de construction d’un raffinerie d’une capacité de traitement de 600 000 tonnes/an de pétrole brut. Il s’agit d’un gisement découvert dans le bassin de Sbaâ (60 km d’Adrar) dans les années 1980, et qui renferme quelque 600 millions de barils de pétrole et plus de 100 milliards de m3 de gaz. Cette raffinerie est destinée à produire de l’essence, du kérosène, du gasoil et du gaz butane et propane. Le projet, qui a été confié à la société chinoise de pétrole, devrait être opérationnel dans un délai de 36 mois et va desservir les wilayas du Grand-Sud. Le chef de l’état termine sa matinée par l’inauguration de l’Université africaine, un campus de 3 000 places pédagogiques censé être ouvert aux pays subsahariens.
Après la pause-déjeuner, destination Reggane. 150 km au sud du chef-lieu de wilaya. Amassés par milliers derrière des barrières renforcées par un imposant cordon de sécurité, des foules caporalisées répercutaient là encore le même mot d’ordre : “Oûhda thania�. Dans la salle omnisports qui allait être inaugurée sous peu, un animateur des comités de soutien passe dans les gradins en exhortant des ados et autres “majorettes� voilées à accueillir leur hôte de marque avec la même formule faisant peu cas des multiples conventions relatives à la protection des enfants. Sous l’hystérie générale de ces ambiances carnavalesques suscitées par chaque visite du Président, l’exploitation “politique� des enfants prend décidément les allures d’un devoir patriotique. Sans parler des flagrants partis pris de l’administration.
L’incontournable cheikh Hammi
Nous le disions peu avant, Bouteflika laisse le meilleur pour la fin. Il était presque 20h lorsque le cortège présidentiel, de retour de Reggane, s’arrête à mi-chemin à hauteur de la zaouïa de cheikh Hammi, dans la commune de fameuse zaouïat Kourta, à quelques 60 km au sud d’Adrar.
Le cheikh Hammi, bien que fort fatigué, sort de sa zaouïa saluer la presse. Il nous dira sans ambages : “Inchallah yeddiha� (inchallah il l’aura !) Le charismatique patron de la zaouïa est un ami de longue date du Président et lui apporte son soutien total. Bouteflika s’attardera d’ailleurs chez lui.
Ce n’est qu’aux coups de 22h que le Président rentre enfin à Adrar, après douze heures de marathon. Et il continuait encore à distribuer sourires et bousboussettes au milieu de ses bains de foule. Fanions, banderoles et chèches multicolores fusent de partout. Adrar, ville clean et tranquille, où l’on savourait la veille cette rare quiétude, qui nous fait tant défaut dans notre boucan algérois, prend des airs d’une Rio endiablée en réveillant ses vieux démons aux percussions du karkabou. Les ministres qui étaient du voyage, eux aussi, étaient décontractés ou, à tout le moins, semblaient grisés par cet air si gai, si grivois, si revigorant et si apaisant d’Adrar. Il y avait Zerhouni, Saïd Barkat, Abdelmalek Sellal, Mohamed-Nadir Hamimid et Rachid Harraoubia. Sans compter les ombres gardiennes (ou les hommes de l’ombre, c’est selon) : Saïd Bouteflika, El-Hachemi Djiar (très copain avec la presse) ou encore le chargé du protocole Rachid Maârif et qui, le regard vif, avait l’œil à tout.
Bouteflika termine donc sa fastidieuse tournée du jour dans la “hadra� de sa zaouïa fétiche : celle de Sidi Mohammed Belkbir, qui doit son nom à l’immense maître Belkbri (né en 1911, mort le 15 septembre 2000).
C’est un lieu de pèlerinage obligé pour Boutef. Il a eu, à l’occasion, à rencontrer les notables de la ville et les cheikhs de la zaouïa, dont le fils du cheikh Belkbir Abdallah.
La journée d’hier, Bouteflika la consacre à la visite de l’Oasis rouge, Timimoun. Dans un établissement qu’il venait inaugurer, des potaches scandent : “Oûhda thania, arfaâ rassek ya bba !�.
De petites filles toutes frêles grelottaient, les pauvres, de froid. Elles poireautaient de froid depuis tôt le matin. L’ambiance excitante de la visite a dû toutefois atténuer le froid des débuts de journée sahariens. Il est évident que les 500 milliards que le chef de l’État vient d’injecter pour relancer la machine économique locale va “booster� nombre de projets. Cependant, la misère dans notre Grand-Sud est encore loin d’être éradiquée.
Des citoyens de la région ont tenu, en l’occurrence, à attirer notre attention sur toutes les choses qui manquent dans l’extrême sud du pays, à l’instar de la daïra de Bordj Badji Mokhtar qui se trouve 650 km plus bas et où il n’y a ni lycée, ni infrastructures sanitaires, et où l’immense désert du Tanezrouft isole complètement cette localité. Il est vrai qu’Air Algérie vient de relancer les vols Adrar-B.B.M., mais les prix des billets demeurent chers et les vols trop rares. Pour la liaison routière, Bouteflika vient de débloquer 80 milliards de cts pour réhabiliter, entre autres, un tronçon de 130 km sur la route de Tanezrouft. Celle-ci demeure encore pour une bonne partie impraticable.
En ce qui concerne le volet agricole, notons que le PNDA avait accordé plus de 500 milliards de DA à la wilaya pour plus de 7 000 dossiers agréés. Seule la moitié de ces fonds a été consommée (entre autres pour la réhabilitation des foggaras dont 551 ont été restaurées). Les agriculteurs de la région se plaignent surtout de la cherté de la facture d’électricité.
Signalons pour finir que Bouteflika va visiter au début de cette semaine la wilaya de Ghardaïa puis celle de Mostaganem avant de revenir au Grand-Sud par Tam.
12 wilayas au total sont au programme du “marathon présidentiel� qui va s’étaler jusqu'au 26 février, et dont le moment fort sera bien sûr, l’annonce au milieu de cette semaine (à croire certaines indiscrétions) par Bouteflika de sa candidature officielle à la magistrature suprême.
M. B.