Cinquante années après l'indépendance, tout le monde s'accorde à dire que l'économie algérienne a besoin d'un nouveau modèle (ou régime) de croissance, qui définit clairement le rôle devant être joué par l'Etat et la place du marché. Nous savons tous que l'Etat restera encore un acteur économique du premier plan pour les années à venir et tant que la fiscalité pétrolière reste aussi importante. Par ailleurs, le même Etat est appelé à affiner ses règles de gouvernance des services publics, de redéploiement de l'activité économique (et sociale) et de régulation des secteurs économiques pour libérer l'investissement et ouvrir les marchés aux acteurs professionnels. Programme de soutien et de consolidation de la croissance Le programme de dépense publique réalisé à ce jour par les pouvoirs publics a permis l'amélioration de l'environnement de l'entreprise et l'amélioration du cadre de vie du citoyen grâce à la mise en œuvre de mesures à caractère économique et social. Les axes d'amélioration du mode et cadre de vie en Algérie sont perceptibles principalement au niveau des services et secteurs suivants : Le développement humain et local (éducation, santé, culture...). Le renforcement des services publics et amélioration du cadre de vie du citoyen (administration, justice, banque, sécurité sociale...). L'amélioration de l'infrastructure économique (routes, ports, rail, logements, barrages, dessalement d'eau, énergie, communication, internet). Ouverture et soutien aux activités économiques et productives (mise à niveau, amélioration de la gouvernance, partenariat, investissement direct étranger, assainissement financier...). L'appui aux réformes (accompagnement et soutien aux secteurs public et privé marchands). Cependant, il y a lieu de reconnaître que cet important programme d'investissement public en infrastructures porte au moins trois caractéristiques fondamentales Ce programme est financé complètement par des ressources volatiles tirées du produit de la fiscalité pétrolière. En plus, ces mêmes ressources pétrolières volatiles couvrent plus de 50% des dépenses courantes du budget de fonctionnement (hors provisions). Les principales activités en Algérie qui dégagent 81% de valeurs ajoutées (VA) en 2012 sont l'énergie, le BTPH et les services Ce qui confirme l'idée que les activités de l'industrie, des services productifs et de l'agriculture ne contribuent pas beaucoup à la croissance des ressources intérieures (PIB) sur les dernières décennies. Ce programme d'investissement public en infrastructures ne semble pas avoir contribué réellement à l'accroissement du PIB. Ce qui veut dire que l'amélioration de la productivité n'a pas joué et que le rendement attendu de ces investissements d'infrastructure n'est pas perceptible par le citoyen et l'entreprise. À notre humble avis, il est difficile d'appréhender les effets de ces facteurs de croissance qualitative sur l'évolution du PIB avec la même méthode de calcul des VA au niveau de chaque secteur (et non agrégé). Nouveau régime de croissance Il est donc prudent de réorganiser et restructurer l'économie nationale afin de développer l'industrie, l'agriculture et les services productifs pour d'une part créer de l'emploi et de la richesse, augmenter l'offre des biens et des services et d'autre part accroître les ressources de l'Etat à travers la fiscalité ordinaire. Cette problématique est bien structurelle et appelle une stratégie globale dans laquelle nous devrons mettre en cohérence toutes les solutions, les actions, les mesures, les programmes et les plans qui concourent à la réalisation des principaux objectifs à terme au niveau sectoriel et régional. Ce qui nécessite un cap stratégique qui agrège d'une manière cohérente tous ces importants potentiels. L'objectif visé est bien sûr une croissance durable et viable avec la réduction de la dépendance à l'égard des hydrocarbures et corrélativement à l'égard de la dépense publique A ce stade, force est de reconnaître que tous les différents programmes successifs de soutien et de consolidation de la croissance depuis 2000 ont créé aujourd'hui de nouvelles conditions de fonctionnement et d'organisation qui vont favoriser fortement le potentiel de croissance hors hydrocarbures de notre économie à moyen terme. Mais malheureusement, l'expansion des dépenses de fonctionnement ces dernières données constitue un facteur d'insoutenabilité des équilibres budgétaires qui dépendent fortement des produits de la fiscalité pétrolière La ressource non pétrolière tirée de la fiscalité ordinaire ne couvre donc que 46% en 2012 contre 62% en 2009 des dépenses de fonctionnement de l'Etat. Proposition de pistes de réflexion Le potentiel de croissance hors hydrocarbures à moyen terme est favorisé aujourd'hui par les nouvelles conditions de fonctionnement et d'organisation de l'économie créées suites aux différents programmes successifs de soutien et de consolidation de la croissance engagés à ce jour. Il convient donc de rentabiliser ces importants investissements d'infrastructures sur le territoire national (ci-dessus présenté) et des avancées enregistrées dans l'organisation des services (administration, justice, banque, sécurité sociale, éducation et autres) à travers les pistes de réflexion suivantes : 1. Un dosage judicieux plan-marché Les nouveaux mécanismes de planification doivent permettre de définir clairement l'espace d'ouverture laissée à l'entreprise surtout privée et étrangère, en tant qu'acteur économique complémentaire de l'action de l'Etat il s'agit de trouver un dosage "plan – marché" à travers les mécanismes de planification s'appuyant sur les nouveaux instruments de veille, sur les schémas d'aménagement du territoire et surtout sur un système d'informations fiables et continues.En fait, l'enjeu à ce niveau est de favoriser la dimension marché pour accompagner les entreprises dans le cadre d'une vision stratégique à moyen et long termes sur la base d'un consensus de projet de société. Tout ceci doit être inscrit dans une feuille de route consensuelle portant sur les options stratégiques suivantes : Définir les domaines d'activités de l'Etat, les activités prioritaires à réaliser en partenariat public–privé et enfin les activités à favoriser du domaine de l'entreprise privée (national et étranger). Renforcer et encourager les services aux entreprises, aux administrations, aux banques et aux ménages, favoriser la coproduction à la place de la sous-traitance avec des partenaires professionnels afin de mobiliser la connaissance au service de la production (économie de savoir basée sur l'information et les connaissances), intégrer l'approche sectorielle et régionale dans le cadre d'un schéma d'aménagement du territoire (créer un tissu industriel organisé autour d'un potentiel local et sur décision locale), stabiliser le cadre juridique d'investissement et de l'entreprise portant sur les aspects de foncier, du financement, de la fiscalité et du travail (ordre économique et sécurité juridique entre les sujets de droit). 2. Réconciliation des politiques monétaires, économiques et sociales Dans le modèle de prospective, il faut mettre à côté du secteur réel, le secteur monétaire et financier. Même si ça constitue un défi important par rapport aux données statistiques, cette prévision doit porter sur la détention des différents actifs financiers et sur l'équilibre des différents marchés.Ces données doivent être exprimées en termes de stock et de flux (détenteurs des pièces de monnaie, créanciers de l'Etat, marché secondaire des bons du Trésor). Autrement dit, il ne faut pas se suffire du modèle purement macroéconomique qui détermine à l'aide d'une équation quantitative de la monnaie. Le niveau général des prix qui est supposé n'avoir aucun effet réel. 3. Modernisation des finances publiques : cadre de dépenses à moyen terme (cdmt) La modernisation des dépenses publiques vise principalement à : Lier la performance budgétaire aux objectifs des politiques publiques. Assurer la transparence. Rendre des comptes. Il s'agit de faire mieux avec les ressources disponibles en renforçant la discipline budgétaire, l'efficacité de l'allocation intra et intersectorielles en liant les stratégies au budget annuel et enfin améliorer la performance opérationnelle. La préparation d'un cadre de dépenses à moyen terme (CDMT) peut aider fortement à réaliser cet objectif.Pour cela, il faut réaliser une projection des opérations financières de l'Etat dans un cadrage macroéconomique à moyen terme et de l'équilibre entre les ressources et les emplois, la situation financière et la balance des paiements. Malheureusement, la préparation du CDMT, même sur trois années, est un exercice délicat qui tient compte des prévisions de l'évolution de la conjoncture nationale et internationale (évolution des taux d'intérêt, des cours de matière première et de première nécessité) Quant à l'Algérie, cet exercice est encore plus délicat puisque le budget dépend fortement de la fiscalité pétrolière tirée de l'exploitation des ressources épuisables des hydrocarbures. Malgré cela,notre économie ne peut plus se passer d'une base prévisionnelle durable pour les finances publiques à l'abri des fluctuations des cours sur les marchés mondiaux sur une période visible (3 à 5 ans). 4. Amélioration du financement bancaire Pour mobiliser le potentiel de croissance hors hydrocarbures à moyen terme, le rôle des banques devient décisif dans le financement des investissements productifs et des activités hors hydrocarbures et créatrices d'emplois. La réforme bancaire a déjà permis de moderniser les systèmes de paiement, la mise en place d'un système de garantie des crédits, le lancement de produits financiers nouveaux (leasing, capital risque...). La consolidation de ces résultats appelle une amélioration de la qualité des services bancaires afin d'entraîner une meilleure allocation des ressources disponibles à travers deux principaux objectifs de développement financier : prenant en compte l'inclusion financière et une forte croissance hors hydrocarbures. 5. Modernisation du marché financier La modernisation du marché financier en Algérie fait partie des priorités affichées dans le programme du gouvernement afin de renforcer la visibilité du processus de développement national et améliorer l'environnement de l'investissement national à travers la mobilisation de l'épargne publique. Pour cela, il convient de revoir le mode et le schéma de fonctionnement et d'organisation du marché financier afin de répondre à des nouveaux besoins de financement direct par le marché plus complexes et plus importants. I. N. (*) Expert judiciaire en économie Ancien président de la Cosob Nom Adresse email