-Est-il logique que l'Etat décide d'augmenter ses dépenses budgétaires au moment où ses ressources sont en baisse? On pourrait effectivement marquer un point d'interrogation. Le programme de développement quinquennal 2010/2014 est doté d'une enveloppe financière globale de l'ordre de 286 milliards de dollars, ce qui est considérable et sans précédent dans l'histoire économique du pays. Concernant l'état des ressources dont dispose le pays, elles sont effectivement en baisse si l'on se fie aux données de la Banque d'Algérie. Selon ces données, le niveau de recettes budgétaires est passé de 5190,2 milliards de dinars en 2008 à 3685,5 milliards de dinars en 2009, soit une contraction de 29%. Cette baisse est due principalement à la diminution des recettes de la fiscalité pétrolière (- 41,86 %), quasi équivalente à la contraction des recettes d'exportations d'hydrocarbures, en contexte de hausse de la fiscalité ordinaire (19,79%). La forte baisse des recettes des hydrocarbures est inhérente principalement à la baisse des prix des hydrocarbures sur le marché international, mais aussi à la baisse des quantités des hydrocarbures exportées. En conséquence, les recettes du budget au titre des hydrocarbures (fiscalité pétrolière et redevance) ne représentent plus que 65,45% du total des recettes budgétaires contre 78,77% en 2008. Les recettes des hydrocarbures sont passées en effet de 4088,6 milliards de dinars en 2008 à 1238,7 milliards de dinars à fin juin 2009 et puis à une estimation de 2412,7 milliards de dinars pour toute l'année 2009, alors que les recettes hors hydrocarbures sont passées de 1101,6 milliards de dinars en 2008 à 723,9 milliards de dinars à fin juin 2009 et à 1272,8 milliards de dinars en 2009, soit une hausse de 15,54% pour toute l'année 2009. Donc la question mérite effectivement d'être posée. Comment répondre à cette apparente contradiction ? En théorie, les sciences économiques nous enseignent que dans la logique néoclassique, les dépenses publiques doivent être corrélées à l'état des ressources disponibles en perspectives, autrement dit la dépense publique est fonction de l'état des ressources disponibles. En dehors de ce paradigme, nous avons l'approche keynésienne qui préconise la relance économique à travers la dépense publique même en état de déséquilibre (la croissance de l'activité économique qui sera suscitée permettra d'accroître les ressources de la nation et par conséquent de retrouver à terme un état d'équilibre augmenté des comptes nationaux). Ceci pour dire qu'en théorie, rien n'interdit d'opter pour un accroissement de la dépense publique toute chose égale par ailleurs, si l'objectif est une relance économique réelle … or c'est la ou réside tout le problème. On sait cependant que cette approche ne peut être féconde dans des contextes comme celui de l'Algérie totalement réfractaire au jeu des multiplicateurs sur le lequel se fonde toute cette construction théorique. L'économie algérienne demeure «insensible» au plan du développement des capacités endogènes de production en réponse a l'accroissement de la demande suscitée par la dépense publique qui, au demeurant, est considérable. Un vieux problème lié aux conditions permissives du jeu des multiplicateurs en l'occurrence le multiplicateur d'investissement. Et on continue a injecter de l'argent dans le circuit économique sans s'interroger sur les impacts en termes de développement des capacités endogènes de développement. On ne semble pas avoir tiré les leçons inhérentes a la réalisation des deux plans de relance économiques précédents, dans la mesure ou la croissance de la dépense publique n'a pas suscité un développement de l'offre domestique en matière d'engineering, de capacité de réalisation et de production au niveau des entreprises nationales publiques et privées, et on perpétue le recours à l'étranger pour tout importer et l'appel aux entreprises étrangères pour tout réaliser (études, réalisation et contrôle technique…) et par conséquent beaucoup de dépenses en devises . Il nous semble que la problématique des programmes publics d'investissement et ceux concernant les infrastructures en particulier doit être posée en terme d'efficacité de l'investissement public et de gouvernance économique plutôt qu'en terme de financement même si a terme cette question devrait certainement surgir compte tenu des tendances en cours. -Comment pourrait-on financer un plan quinquennal aussi colossal avec un déficit chronique et des ressources limitées? Il faudrait sans doute relativiser la question. Certes on observe un certain déséquilibre budgétaire qui peut susciter des inquiétudes mais les ressources dont dispose présentement le pays ne sont guère limitées même si elles sont en baisse comme nous l'avons déjà relevé. C'est leur mode d'allocation qui pose encore une fois problème. Il devient de ce fait impératif d'éviter toute démarche conduisant à une mauvaise allocation des ressources (en dinars et en devises). Ceci étant, le ministre des Finances a expliqué que le déficit publique de 2010 sera couvert «uniquement sur des financements qui sont disponibles dans les circuits du Trésor et par l'utilisation du différentiel entre le prix du baril de pétrole inscrit dans la loi de finances et celui établi sur le marché durant l'année 2010». Il a également rappelé que la loi de finances a été calculée sur «un baril de pétrole à 37 dollars et nous sommes à une moyenne de 77 dollars le baril», estimant, par ailleurs, que la situation économique est marquée par «un marché pétrolier plutôt satisfaisant accompagné d'une hausse (+38%) du chiffre d'affaires des hydrocarbures à l'exportation et d'une hausse de 21% des produits de fiscalité pétrolière recouvrés en juin 2010». D'un autre côté, «la fiscalité hors hydrocarbures recouvrée pendant la même période est en hausse de 9,4%», accompagnée d'une «baisse de 5,8% du flux des importations, ce qui a permis de réaliser un excédant de 8,7%». -La croissance par la dépense publique comme modèle économique n'a-t-elle pas montré ses limites? La dépense publique est et demeure nécessaire, compte tenu de la faiblesse des investissements du secteur privé qui au demeurant ne pourrait guère suppléer l'Etat dans le domaine du développement des infrastructures indispensables pour la création d'économies externes et qui nécessitent des investissements coûteux qui ne sont guère éligibles au financement privé. Dans le domaine de la mise en place d'infrastructures modernes dont le pays a accusé un énorme retard, la dépense publique s'impose lorsque la capacité de financement existe comme cela est encore le cas. On peut cependant se demander pour combien de temps encore ? Ceci étant, là aussi, les théories modernes de la croissance ont parfaitement établi le rôle des dépenses publiques comme facteur de croissance économique. En particulier, l'investissement public dans les infrastructures serait à l'origine d'une amélioration des performances en termes de croissance et de stimulation de l'investissement du secteur privé et de la productivité totale des facteurs. Encore une fois ce ne sont pas les dépenses publiques en elles-mêmes qui posent problème, mais c'est l'amélioration de la capacité d'absorption de ces investissements, de leur efficacité. Ce qui relève de la problématique du choix des projets et leur encadrement administratif, du climat des affaires. L'investissement en tant qu'élément de la demande globale influence à la hausse le PIB tant que son flux reste continu. Rappelons là aussi que la rentabilité de l'investissement public renvoie au mode de prise de décision et à sa gestion. Or, on ne retrouve nulle part de telles données. Le plan de développement 2010/2014 comme ceux qui l'ont précédé ne semble pas s'inscrire dans une stratégie nationale de développement. Le document de présentation de ce plan de développement n'est pratiquement qu'une «simple liste de projets accompagnés d'affectations budgétaires. Il n' y a absolument rien qui permet de se rendre compte du comment du choix des investissements, des interactions et synergies entre les projets envisagés, les projets et activités existants», pour reprendre les termes d'un économiste du CREAD (Youssef Benabdellah). Par conséquent, dans l'état actuel de l'économie algérienne, on ne peut comprendre «comment un montant d'investissement, revu sans cesse à la hausse suite à des réévaluations ou d'adjonctions de nouveaux projets, de près de 180 milliards de dollars, pourrait être absorbé efficacement». Il faut relever qu'à notre connaissance, il n'existe aucun document rendu public qui explicite le pourquoi des réévaluations. Ceci étant, au -delà des problèmes de financement qui risquent de se poser à terme, d'autres problèmes plus structurels sont posés par ce programme. Les difficultés d'absorption des investissements colossaux sur une période aussi courte ne sont pas résolues. En recourant aux entreprises étrangères, on a recherché à contourner ce genre de difficulté. Mais d'autres difficultés se poseront pour l'exploitation et l'entretien des grandes infrastructures qui seront réceptionnées durant la décennie courante. Il s'agit de la capacité de maintenance de ces infrastructures, laquelle capacité est fonction d'un complexe savoir-faire technologique et managérial que le pays est loin d'avoir accumulé. Doit-on et peut-on confier à des entreprises étrangères la gestion et la maintenance des ces infrastructures, à quel coût ? et peut-on le supporter indéfiniment surtout qu'en l'occurrence nous avons affaire à des transferts de devises dont la seule source est constituée présentement par la vente de ce capital non-reproductible que sont les hydrocarbures.