Connu jusque-là pour être le compagnon de route de Recep Tayyip Erdogan, Abdullah Gül change de cap et affiche clairement ses différences avec lui, au point d'apparaître comme son principal rival à quelques mois de l'élection présidentielle. Que ce passe-t-il entre Recep Tayyip Erdogan et Abdullah Gül que d'aucuns considéraient jusque-là comme inséparables ? En effet, à la surprise générale, le président turc profite du scandale politico-financier, qui affaiblit le gouvernement pour étaler sur la place publique ses différences avec le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Alors qu'Erdogan déverse à longueur de discours des torrents d'invectives contre ses ennemis de tous poils, qu'il accuse de vouloir sa peau et de déstabiliser le pays, Abdullah Gül semble prendre systématiquement le contrepied du Premier ministre, en assurant que la corruption "ne sera et ne pourra pas être étouffée". Voilà un discours qui va à contre-courant de celui d'Erdogan. "Nous devons nous abstenir de toutes positions et comportements pouvant nuire à notre Etat de droit démocratique", a ensuite lancé le 1er janvier le président, en pleine vague de purges massives dans la police et la magistrature. Longtemps inséparables, Gül et Erdogan ont, pour rappel, fondé ensemble le Parti de la justice et du développement (AKP) en 2001. Mais avec l'élection du premier à la magistrature suprême en 2007, leurs routes ont commencé à lentement s'écarter. D'abord minimes, sur l'Europe ou le système constitutionnel, leurs différences ont éclaté au grand jour lors de la fronde antigouvernementale de juin dernier. "Les dirigeants (du pays) doivent déployer plus d'efforts pour prêter une oreille attentive aux différentes opinions et inquiétudes", avait plaidé le président, pendant que le Chef du gouvernement traitait les manifestants de "vandales" ou de "pillards". Même si les deux personnages ont jusque-là évité toute confrontation directe, la crise politique actuelle a encore creusé le fossé qui les sépare, jugent nombre de commentateurs. Autant le chef de l'Etat est réputé proche de la confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen, le Premier ministre la juge responsable des ennuis judiciaires qui éclaboussent le premier cercle de son pouvoir. Leur relation a "touché le fond lorsque Gül a mis son veto, dit-on, à sept des dix ministres proposés par Erdogan", lors du récent remaniement précipité par le scandale, a souligné le professeur Yuksel Sezgin, de l'université américaine de Syracuse. Certains les décrivent même comme rivaux directs pour l'élection présidentielle d'août prochain, qui sera disputée pour la première fois au suffrage universel direct. À ce jour, aucun des deux hommes n'a encore dévoilé ses intentions. "Toutes les options sont ouvertes", a dit la semaine dernière Abdullah Gül. Contraint par une règle interne de son parti à quitter son poste au terme de son troisième mandat en 2015, Recep Tayyip Erdogan, lui, ne fait plus guère mystère de ses ambitions. Si certains à l'AKP refusent de croire que le président aura l'audace de défier le Premier ministre, d'autres soulignent que le profil modéré du premier pourrait séduire ceux qui, au sein du camp présidentiel, jugent le second décidément incontrôlable. Avant un éventuel duel au sommet Erdogan-Gül, les élections municipales du 30 mars pourraient servir de juge de paix. M T Nom Adresse email