Si, à l'évidence, le problème n'est pas réductible à un conflit ethnique et religieux (encore qu'ici, le débat doit avoir lieu sans tabou), il reste qu'il soulève nombre de questions. "Les tensions que Ghardaïa a connues ne sont pas d'origine religieuse ni idéologique et n'ont aucun lien avec les droits de l'Homme. Il s'agit de simples heurts entre voisins." Ce n'est pas tout à fait "le chahut de gamins" d'Ali Amar dont la formule est restée à la postérité après les événements d'Octobre 1988 et dont, plus tard, on mesurera les conséquences, mais ça y ressemble. Etrangement. En l'espace de quelques jours, deux responsables et pas des moindres, un Premier ministre et un responsable d'un organisme étatique, la Commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l'Homme (CNCPPDH), établissent un constat de la situation à Ghardaïa, en proie à des violences depuis plus d'un mois, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il est loin de refléter la réalité du terrain. Non seulement on réduit cette violence à "un problème de voisinage" entre deux petits groupes, mais on semble refuser d'approcher le problème dans sa globalité et dans ses multiples dimensions. C'est à peine si on ne les a pas qualifiés "de "jacasseries de basse-cour". "Ne pensez pas qu'il y a, à Ghardaïa, un problème entre malékites et ibadites, il y a juste eu des petites altercations entre jeunes (...) même s'il existe une minorité qui veut nous faire tomber, en vain, dans le piège", observait, lui aussi, avec aplomb, Abdelmalek Sellal, depuis Bordj Bou-Arréridj. S'agit-il d'un souci de dédramatiser une situation qui risque de faire tache d'huile ? D'une mauvaise appréciation de la situation ou simplement, comme souvent en pareille circonstance, d'une fuite en avant pour occulter la responsabilité de l'Etat dans le pourrissement de la situation et la faillite des dirigeants ? En minimisant l'ampleur et la profondeur du problème, les autorités ne font, à vrai dire, que refuser d'assumer une situation, conséquence d'une certaine conception de l'Etat depuis l'Indépendance et d'une certaine construction de la société opérée à la hussarde. Sinon, comment expliquer que le phénomène de violence entre les deux communautés soit récurrent et remonte à plusieurs décennies ? Et comment expliquer que les tentatives du HCI, encore moins celles de Sellal initiées au début du mois, n'aient pas eu l'effet escompté ? Si, à l'évidence, le problème n'est pas réductible à un conflit ethnique et religieux (encore qu'ici, le débat doit avoir lieu, sans tabou), il reste qu'il soulève nombre de questions dont celle de l'accès au foncier, l'intégration, la politique de la ville, la gouvernance, la confusion entre la pratique républicaine et féodale, l'accès au pouvoir local, le développement économique, la représentativité de la minorité mozabite dans les institutions de la République, la culture de la tolérance, du respect des différences ainsi que l'impunité. Rien n'est plus emblématique de l'échec de l'Etat que cette demande des Mozabites d'être protégés par la gendarmerie au lieu de la police. Pour avoir imposé une idéologie et un modèle de gouvernance qui ne tiennent pas compte des spécificités culturelles de chaque région et qui ne tolère pas la diversité, le pouvoir n'a fait qu'étouffer, pour un temps, des aspirations qui, aujourd'hui, s'expriment par la violence et de façon diffuse. Car, avant Ghardaïa, il y a eu la Kabylie. En a-t-on tiré les leçons ? Pas sûr. Si, comme le suggère Ksentini, "il faut punir les auteurs des dépassements" (là encore, aucun responsable n'a été touché), il reste qu'une solution pérenne passe inévitablement par une réforme profonde des missions et des structures de l'Etat et une grande démocratisation de la société. Il y va de la stabilité du pays. Faute de quoi, d'autres "Ghardaïa" ne sont pas à exclure dans un proche avenir. K K Nom Adresse email