La semaine dernière, j'analysais dans ces mêmes colonnes la controverse sur l'état de nos réserves d'hydrocarbures en appelant à la prudence méthodologique. En résumé, j'y soutenais l'idée que la sécurité énergétique du pays est un sujet trop sérieux pour que l'on se contente d'en nourrir le débat avec des interventions factuelles, incomplètes et/ou politiciennes qui figent les positions des uns et des autres. Il est contreproductif pour tous de cliver sur ce type de sujet tant les enjeux sont stratégiques et inclusifs. La sécurité alimentaire que nous traiterons aujourd'hui s'inscrit précisément dans le même type de problématique. Pour clarifier les termes du débat, Il est utile de connaître les positions exprimées par les acteurs et les institutions. Il faudra ensuite évaluer les données et les assertions en les reliant aux intérêts en jeu pour proposer des approches plus intégrées dans un débat transparent et accessible. Le danger est que les acteurs en présence s'enferment dans des certitudes unilatérales. À commencer par le discours officiel récurrent qui se veut optimiste, rassurant et sans nuances. À l'inverse, des universitaires algériens ayant investi le sujet depuis plusieurs décades pointent du doigt des aspects plus préoccupants de la problématique en parlant des limites et des aspects cachés de ces avancées. Illustration. En août 2011, l'ancien ministre en charge de l'agriculture, Rachid Benaïssa, nous disait que "70% des produits agricoles consommés sont produits localement". En février 2014, le nouveau ministre du secteur, Abdelwahab Nouri, ressort à peu près le même chiffre (72%). Il déclare ainsi, à l'occasion de la 10e réunion des ministres de l'Agriculture des pays membres du Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM), que "la concrétisation des actions de développement a permis à notre pays de produire plus de 70% de ses besoins en produits agricoles." Ce discours, réitéré dans les mêmes termes depuis plusieurs années, rencontre cependant le scepticisme d'une partie de l'opinion publique et de certains spécialistes. C'est ainsi que, face à cela, les experts ont, quant à eux, une autre histoire à raconter sur le sujet. Ainsi Slimane Bedrani ne trouve pas encore de réponse "à la question de savoir à quel niveau de production locale situer la souveraineté alimentaire" car "on ne peut pas dire qu'il y a (ou qu'il y a eu) un débat de fond sur la sécurité alimentaire." Malgré les atouts dont dispose le pays, il constate que les rendements restent encore faibles. Il cite le cas de la Turquie qui a "un rendement en blé égal à 1,66 fois celui de l'Algérie, un rendement en lait égal à 1,48, un rendement en oranges égal à 2,31 (moyenne des années 2005-2009)." Sur un autre plan, celui de l'évaluation de nos politiques agricoles publiques, qui affectent les montants les plus élevés du bassin méditerranéen, il y a nécessité d'en mesurer l'efficacité sur "les productions et les rendements" ainsi que leurs effets sur les groupes sociaux censés en être les destinataires. Les subventions affectées directement aux bénéficiaires et les dotations aux différents fonds (FNDA, FNDRA, FNDIA) doivent être tracés par des mécanismes mis en place à cet effet et les résultats publiés. Dans le même ordre d'idées on se doit aussi de mettre l'accent sur deux "réalités qui peuvent relativiser cet optimisme" officiel. La première est relative au taux réel d'intégration atteint dans la structure de ces "72% de produits consommés produits localement". Vous savez tous qu'il va falloir en déduire le montant des inputs importés pour réaliser cette production (semences, aliments du bétail, produits phytosanitaires, produits vétérinaires, engrais). La deuxième réalité, celle de la facture alimentaire à payer au reste du monde, est plus préoccupante. L'importation des produits alimentaires a atteint en 2013 le chiffre de 9,58 milliards, soit une augmentation de 6,2% par rapport à 2012. On peut s'attendre à voir dépasser pour 2014 le chiffre de 10 milliards de dollars d'importation de produits alimentaires ; ce qui confortera notre place de premier importateur africain de produits alimentaires. Cela pose une série de problèmes qu'il va falloir traiter sérieusement dont deux prioritaires : le gaspillage et la fuite aux frontières des produits dus à un système de subvention qu'il va falloir reconsidérer, et le développement d'un secteur agroalimentaire sous-dimensionné par rapport aux besoins du marché algérien. Les tensions sur notre balance des paiements et le repli de notre balance commerciale en 2013, dans un contexte de marchés mondiaux incertains, devraient être "une opportunité pour l'Algérie de remettre à plat les questions agricoles et sa sécurité alimentaire", pour reprendre les termes d'Omar Bessaoud, enseignant chercheur au CIHEAM de Montpellier. Pour conclure disons que cette mise à plat ne servira à rien si l'on ne l'inscrit pas dans le nouveau régime de croissance dont on parle beaucoup mais dont la mise en œuvre est lente tant les intérêts de la rente sont encore puissants. Pour le moment. M. M. [email protected] Nom Adresse email