Le Soir d�Alg�rie : La flamb�e des prix des c�r�ales en 2008 a provoqu� de violentes �meutes de la faim. Vous dites que les gouvernements, notamment ceux du Maghreb, n'ont pas retenu la le�on. S�bastien Abis : Au contraire, les pouvoirs publics au Maghreb connaissent tr�s bien l�importance des questions alimentaires. C�est la raison pour laquelle il existe toute une s�rie de mesures politiques et techniques pour soutenir les prix et subventionner les produits de base. En 2008, ce n�est pas dans les pays du Maghreb, pourtant lourdement d�ficitaires sur le plan de leur couverture alimentaire, que les �meutes ont �t� les plus manifestes. Les actions publiques ont relativement bien fonctionn�, car ces pays ont bien conscience des enjeux sociopolitiques pouvant na�tre des ins�curit�s alimentaires. En revanche, au niveau global, la communaut� internationale n�a pas su apporter toutes les r�ponses aux questions soulev�es par la grave crise alimentaire de 2008. Il faut dire que l�urgence est vite pass�e au sauvetage du syst�me financier et bancaire suite � l�explosion de la crise �conomique. Dans votre expos� : �Le d�fi de la s�curit� alimentaire sur le pourtour m�diterran�en�, tenu � l'h�tel Hilton � Alger � l'initiative de l'INESG, vous �voquez le risque de voir se reproduire le m�me sc�nario pour 2011. Le d�but de l�ann�e 2011 concentre de nombreux facteurs qui pr�sagent de nouvelles turbulences alimentaires � venir dans le monde. Ce sont �videmment les pays � plus faible revenu qui devraient �tre les plus affect�s, mais les pays dont la s�curit� alimentaire d�pend en majeure partie des importations risquent �galement de souffrir de cette flamb�e des prix. Je vous rappelle qu�en d�cembre 2010, l�indice mesurant les �volutions de prix d'un panier de c�r�ales, ol�agineux, produits laitiers, viande et sucre, mis en place par la FAO, a atteint un record absolu depuis sa cr�ation en 1990. Il s�est �tabli � 214,7 points, un chiffre sup�rieur au pic enregistr� en juin 2008, le mois noir de la r�cente crise alimentaire mondiale. Cela pose, �videmment, le probl�me de la s�curit� alimentaire dans les pays de la rive sud de la M�diterran�e comme l'Alg�rie... La question strat�gique de la s�curit� alimentaire se pose en effet, car pour la majorit� des pays de la rive sud de la M�diterran�e, il faut recourir aux importations pour nourrir une population croissante. L�Alg�rie, parmi les premiers importateurs mondiaux de c�r�ales et de lait par exemple, peut le faire gr�ce � la mobilisation de sa rente p�troli�re pour r�gler la �facture� alimentaire. Ce besoin de s�approvisionner sur le march� international est structurel et non conjoncturel, comme en atteste la d�pendance c�r�ali�re de ces pays. Du Maroc � l��gypte, si la zone p�se pour 2% de la population mondiale, elle polarise 18% des importations mondiales de bl� en moyenne annuelle depuis dix ans. Quand le prix de ce produit monte, comme en 2008 ou comme r�cemment, les prix du pain notamment peuvent exploser dans des pays o� pr�s de la moiti� du budget des m�nages demeure encore consacr� � l�alimentation. La s�curit� alimentaire, c�est donc aussi l�acc�s aux produits, renvoyant in�luctablement au pouvoir d�achat des populations. Dans un contexte g�n�ral o� les difficult�s �conomiques tendent � s�accro�tre, notamment en milieu p�riurbain et rural, acc�der � l�alimentation en quantit� suffisante et � une alimentation de qualit� devient parfois difficile. Vous excluez la capacit� de chaque pays pris individuellement d'opposer une parade efficace susceptible d'endiguer ce ph�nom�ne r�current. Est-il r�aliste d'imaginer une coop�ration concr�te et profitable pour les uns et les autres, entre l'Europe et le Maghreb pour faire face � ce fl�au et �carter ainsi la menace permanente de crise alimentaire ? Soyons r�alistes, l�autosuffisance alimentaire dans les pays m�diterran�ens n�est pas envisageable. La poursuite de la croissance d�mographique, l�urbanisation des soci�t�s qui transforment les comportements alimentaires, la rar�faction des ressources naturelles n�cessaires � la production agricole que sont l�eau et les sols, l�acc�l�ration des changements climatiques sont autant de dynamiques qui complexifient la situation. Pour y faire face, les pays m�diterran�ens doivent am�liorer leur productivit� agricole, g�rer plus efficacement leurs ressources hydriques et fonci�res, optimiser leur logistique alimentaire pour r�duire les gaspillages et multiplier les relations commerciales pour avoir un panel de fournisseurs sur le plan alimentaire. A ce sujet, notons que l�Europe n�est pas seule � nourrir les pays m�diterran�ens, puisque deux tiers des approvisionnements viennent du reste du monde, avec, au cours des derni�res ann�es, une mont�e en puissance du Br�sil qui vend de plus en plus de produits agro-alimentaires aux pays arabes. En outre, seule la coop�ration r�gionale pourrait att�nuer parfois les risques de tensions alimentaires tout en revitalisant les espaces ruraux, trop marginalis�s jusqu�ici. Il n�est pas concevable de relayer les questions du d�veloppement agricole et de la s�curit� alimentaire dans l�arri�re-cour de la coop�ration euro-m�diterran�enne ou maghr�bine. Pour contrer ces difficult�s alimentaires, il faut du multilat�ralisme et de la solidarit�. Et donc de la confiance et de la volont� politique. Vous relevez aussi un anachronisme. Sous-alimentation et ob�sit� cohabitent tandis que se pose le probl�me de nouvelles habitudes alimentaires sources de maladies comme le diab�te, les accidents cardio-vasculaires... Partout dans le monde, les exc�s alimentaires progressent. La mauvaise qualit� des produits compl�te ce tableau sanitaire d�grad�. Le d�veloppement des maladies de surcharge en constitue la traduction concr�te, et p�se d�j� lourdement sur les syst�mes �conomiques de certains pays, � commencer par les Etats- Unis, arch�type bien connu de cette tendance. L'�pid�mie pourrait toucher 700 millions de personnes dans le monde � l'horizon 2015, augurant de gigantesques besoins en termes de sant� publique. Dans ce cadre, il convient de souligner que les pays du Maghreb sont particuli�rement concern�s, car on observe un d�veloppement tr�s rapide et donc pr�occupant du surpoids et de l�ob�sit�, notamment chez les plus jeunes. L�alimentation s�est mondialis�e dans ces pays, comme partout ailleurs, et la malnutrition appara�t, ajoutant un enjeu suppl�mentaire aux probl�matiques socio�conomiques �mergentes de la zone. Entretien r�alis� par B. T. * Administrateur au CIHEAM (Centre international de hautes �tudes agronomiques m�diterran�ennes) et analyste politique expert au sein du groupe de travail Euromed 2030 de la DG Recherche de la Commission europ�enne.