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“L’Algérie est mûre pour une ouverture de l’audiovisuel�
Abdou B. à Liberté
Publié dans Liberté le 16 - 03 - 2004

Dans cet entretien, l’ancien directeur de l’ENTV dresse un état des lieux du secteur de l’audiovisuel en Algérie, évoque les rapports des médias publics et de la télévision avec les partis politiques et plaide pour la mise en adéquation de la production et des prestations audiovisuelles avec les normes du service public et la demande légitime de la société.
Liberté : M. Abdou B., quelle appréciation portez-vous sur le secteur de l’audiovisuel algérien ?
Abdou B. : L’audiovisuel algérien est ce qu’il est depuis les réformes initiées entre 1988 et 1991 et qui sont consignées dans la loi sur l’information d’avril 1990. Si les choses doivent être légiférées en matière d’audiovisuel, télévisions privées et publiques et cinéma, elles doivent se faire en respectant les formes. Il faut organiser la profession d’une manière ou d’une autre. Un processus normal commun à toutes les démocraties. Cela veut dire qu’il y a des partis politiques, ou une majorité parlementaire, qu’elle soit avec ou contre le président. C’est à cette majorité de proposer des lois, des règlements pour développer le secteur de l’audiovisuel et l’ouvrir au privé algérien. Car, ce dernier dispose de capacités financières et techniques pour enrichir le secteur. Personnellement, je me demande pourquoi, depuis 1991, aucun parti de l’opposition ou de la majorité gouvernementale ne s’est inquiété du secteur de l’audiovisuel. Je pense que le système tel qu’il fonctionnait arrangeait tout le monde, chaque parti attendait son tour pour profiter de la radio et de la télévision de l’État. Ce n’est pas sérieux de vouloir transformer le paysage de l’audiovisuel à quelques mois, voire à quelques semaines d’une élection.
Pensez-vous que la création d’un Centre national de cinéma soit la solution pour la relance du 7e art algérien ?
L’idée de créer un Centre national du cinéma tourne dans le milieu même sous le parti unique où les professionnels du cinéma étaient structurés dans l’Union des arts audiovisuels. À ce moment-là déjà , il fallait s’organiser et se détacher de la tutelle gouvernementale. Certes, le système ne voulait pas de réforme. Ce n’est qu’après octobre 1988 que beaucoup de réformes ont commencé à émerger, notamment dans le domaine du cinéma et de la télévision. Il ne faut pas être amnésique, les premières coopératives d’audiovisuel privées ont été créées en 1990. L’ENTV les a aidées financièrement, comme ce fut le cas pour la presse écrite. Il se trouve que le reste n’a pas suivi. Si j’insiste sur la loi de 1990, ce n’est sûrement pas le Coran, mais cette loi n’a pas été abrogée. Elle est toujours en vigueur, sauf qu’on l’a amputée des instruments d’exécution qui la rendaient opérationnelle ; le Conseil national de la culture, le Conseil supérieur de l’audiovisuel et le Conseil supérieur de l’information. On a transféré les prérogatives de ces conseils au ministère de la Culture et de la Communication. Or, un ministère n’a pas vocation à produire des films, gérer des industries techniques, gérer du matériel… Par ailleurs, le ministère de la Culture et de la Communication — et je suis bien placé pour le savoir — n’a aucun pouvoir sur la télévision. Un ministre de la Communication n’a pas à décider de ce qui doit se faire à la télévision. Le travail d’une télévision est inscrit dans la loi et dans son cahier des charges ; les ministres passent mais la loi et les conseils restent. Il a fallu qu’on arrive à l’élection de 2004 pour s’apercevoir qu’il n’y a pas assez d’espace pour tous les partis. Toutes ces choses doivent être discutées et débattues au Parlement. À ce moment-là , la société civile est informée des propositions de chaque parti. Car un parti se doit d’être porteur d’un projet de société. À ce stade, il faut savoir quelle solution proposent les six candidats à la présidentielle pour le secteur de l’audiovisuel.
De par son cahier des charges, l’ENTV est tenue de contribuer à la promotion du cinéma…
Tel que rédigé aujourd’hui, si le cahier des charges était appliqué à 80%, ce serait formidable pour le cinéma. Car il fait obligation à l’ENTV de diffuser sur l’année, à hauteur d’à peu près 40% de sa programmation, des films algériens. Pourquoi avoir monté la barre à 40% ? C’est beaucoup, mais on a décidé 40% en regardant vers l’avenir. Ce qui veut dire que pour satisfaire ces 40%, l’ENTV est obligée de s’impliquer financièrement dans la production de films. Cependant, avec le coût de la vie et l’inflation, avec son budget de fonctionnement, l’information, l’équipement, les salaires, etc., la télévision demande toujours plus d’argent, ce qui est tout à fait normal et plus elle a d’argent dans la transparence, plus le quota des 40% risque d’être atteint. La télévision n’a pas à faire de films, une chaîne de télévision produit ce qui la responsabilise socialement et politiquement.
La notion de service public doit-elle se limiter au traitement de la chose politique ?
Je suis tout à fait d’accord : se focaliser uniquement sur le journal télévisé et la campagne électorale est réducteur. Que ferons-nous des cinq ans qui suivront l’élection ? J’aimerais que les partis s’intéressent à la télévision toute l’année.
Abdou B. fut l’un des directeurs de l’ENTV, alors que l’Algérie se trouvait à la croisée des chemins. Ce fut l’unique période où la télévision avait instauré un débat politique ouvert à toutes les tendances, ce qui vous a valu de sévères critiques… L’absence, aujourd’hui, d’un débat politique ne traduit-il pas une forme de régression sur le plan de l’information ?
La télévision, dès qu’elle s’ouvre, c’est le reflet exact de la situation politique et économique du pays. Quand il y a une volonté politique d’ouvrir les médias publics à la société, il n’y a pas que les politiques qui respirent. La société est beaucoup plus pacifiée et beaucoup plus stable. Quand le système politique se ferme sur lui-même, nous assistons à l’émeute, à la casse, à l’anarchie et, par la force des choses, nous assistons à la marginalisation des partis. C’est aux partis politiques de proposer des choses. Or, aujourd’hui, la rue et l’émeute agissent et proposent presque plus que les formations politiques, c’est une situation anormale. La violence est devenue un moyen d’expression banalisé, parfois applaudie. La violence a remplacé le débat politique. La société attend des candidats des projets de société faisables et réalistes. Moi, je suis contre le réveil brutal à la veille des élections.
Mais dans la foulée, vous avez ouvert la télévision à un discours extrémiste ?
Non, j’ai ouvert la télévision à des partis légaux. Le directeur d’une télévision n’est pas le pouvoir, il n’a pas à agréer ou à prendre position par rapport à un parti. Est-ce moi qui ai agréé le FIS ?
L’audiovisuel doit-il être réduit à un simple instrument de propagande ?
L’audiovisuel, chez nous, est réduit à une chaîne de télévision, de petites boîtes privées qui essaient de survivre parce qu’il n’ y a qu’un seul diffuseur. L’audiovisuel réduit à ces deux composantes ne peut pas répondre aux attentes de la société. Mais je ne veux pas nous laisser enfermer dans la seule optique politique à la veille d’une élection. Une télévision est pérenne, il faut voir si une télévision publique ou privée remplit des missions de service public. Le journal de 20 heures n’a jamais fait une élection. Je vous donne un exemple : tous les partis et tous les médias étaient contre l’ex-FIS. Il a pourtant remporté deux élections importantes, les municipales et les législatives avortées. Les hommes politiques, au pouvoir et dans l’opposition, ont une fascination morbide pour la Mama ENTV. Ce n’est pas l’ENTV qui fabrique les rapports sociaux ou les rapports de forces politiques dans une société. Fermer la télévision ne va pas empêcher ou aggraver les émeutes ; supprimer l’ENTV ne va pas éviter les conflits sociaux ou économiques. Toute la classe politique adopte ce que j’appellerais une communication légitimante. Ce n’est pas en passant à la télévision qu’on se fait élire ou que les gens vont nous aimer. Ce serait nier le rôle de la société.
Le manque d’ouverture de l’ENTV a obligé l’Algérien à s’orienter vers les chaînes étrangères…
Prenez un journal français, vous n’allez pas trouver les programmes de l’ENTV, alors que les journaux algériens donnent les programmes français. Ce n’est pas parce que les journaux algériens aiment les chaînes françaises, mais c’est parce qu’il y a une demande sociale. Il y a dans la société algérienne une demande et une diversité de besoins qu’une seule chaîne ne peut satisfaire. Cette extraversion vers les chaînes étrangères prouve la fermeture du système politique, l’absence de projets mobilisateurs proposés à la société par les candidats. Et dans leur infinie sagesse, les Algériens se tournent vers les chaînes étrangères et ce, selon leur tranche d’âge, leur niveau culturel, social ou économique… Ces chaînes répondent-elles à la demande exprimée par les Algériens… D’où ma religion qu’il faut multiplier les chaînes privées et publiques, faire un audiovisuel national à deux têtes, un secteur public et un secteur privé, les deux ayant obligation de service public dans tous les domaines. Continuer avec une seule chaîne publique, c’est vouloir la régression de tout le pays.
Khalifa News ouvre aujourd’hui l’antenne aux candidats de l’opposition. Qu’en pensez-vous ?
Les sociologues appelleraient cela une régression. Si vous me parlez de Khalifa, regardez dans quelle situation se trouvent l’Algérie et les hommes politiques. Ces derniers s’expatrient pour parler aux Algériens. Je trouve que c’est une perversion dangereuse pour l’Algérie. L’opinion publique algérienne se façonne petit à petit par les chaînes dites étrangères et ce, pas uniquement en période électorale et sur l’aspect politique. L’opinion se fascine par des goûts culinaires, vestimentaires, culturels… Nous sommes réduis à devenir une espèce de sous-préfectures de médias qui émettent par satellite.
Comment concevez-vous le retour à la normale ?
J’espère que le prochain président, quel qu’il soit, va promouvoir rapidement, à travers une loi, une restructuration du champ audiovisuel, notamment par l’ouverture aux médias privés, lesquels sont déjà inscrits dans la loi de 1990, laquelle dit qu’il est mis fin au monopole de l’État sur les médias.
Mais le discours officiel est formellement hostile à cette ouverture au privé, sous prétexte que la conjoncture ne le permet pas…
Je pense que l’Algérie est mûre depuis longtemps pour l’ouverture du champ médiatique au privé. Maintenant, le constat est là : cela ne s’est pas fait, les analyses sont aussi nombreuses que les journalistes et les partis, mais le futur président ne va pas nous dire qu’il faut encore une autre transition, que les Algériens ne sont pas prêts pour l’ouverture. Les Algériens ont prouvé le contraire, parce qu’ils ont fait de l’Algérie le pays le plus parabolé, pour se faire une idée du monde. Cela veut dire qu’ils sont mûrs pour se faire une idée en regardant telle ou telle chaîne de télévision, ou en écoutant telle ou telle radio par satellite. L’Algérie est mûre pour une réforme volontariste, courageuse et une ouverture des médias au privé. Cela ne veut pas dire que le secteur public doit disparaître. Au contraire, il faut le renforcer par d’autres chaînes.
W. L.


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