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Baccalauréat : "bacca laurea" ou "bihaqq al-riwaya" ?
Publié dans Liberté le 04 - 06 - 2014

Le mot baccalauréat dérive du latin médiéval (altération du bas-latin) bachalariatus, désignant un rang de débutant d'abord dans la chevalerie (au XIe siècle, le bachelier était un jeune noble, chevalier ou écuyer), et puis dans la hiérarchie religieuse et universitaire ou de bacca laurea, qui signifie "baie de laurier", une couronne qui symbolise la réussite. En effet, dans l'Antiquité, le laurier était un emblème de victoire.
Aussi, les Roumains en firent l'emblème de la gloire, aussi bien des armes que de l'esprit. C'est à ce titre que Jules César arborait impérialement ce mythique "diadème emblème".
En outre, le laurier passait, autrefois, pour protéger de la foudre : qualité corrélative de la première. Arbuste consacré à Apollon, son feuillage sert à couronner les héros, les génies et les sages. Arbre apollinien, il signifie aussi les conditions spirituelles de la victoire, la sagesse unie à l'héroïsme. En Grèce, ceux qui avaient obtenu de la Pythie une réponse favorable s'en retournaient chez eux avec une couronne de laurier sur la tête. À noter qu'on donnait le nom de Pythie, en liaison avec le serpent python, à la Sibylle qui, assise sur le trépied, prophétisait à Delphes au nom d'Apollon. Indiquons dans ce contexte qu'en Algérie, et plus exactement chez les Béni-Snous, dans la région de Tlemcen, c'est d'une baguette de lauriers-roses que s'arment les porteurs de masques, lors du traditionnel carnaval organisé à l'occasion de la fête de Yennayer. Le choix de cet arbuste n'est pas indifférent du fait que les paysans lui attribuent des vertus occultes d'autant que ses rameaux représentent des talismans protecteurs écartant toutes les forces malfaisantes. Après ce flash-back ou plutôt ce bref voyage dans la mythologie grecque et les rites agraires maghrébins, revenons à l'histoire contemporaine du baccalauréat, en l'occurrence en France. C'est en 1809, sous le règne de Napoléon, que le baccalauréat a vu le jour.
À l'époque, ce prestigieux examen était réservé exclusivement aux fils de la bourgeoisie et de la noblesse. Il constituait un insigne privilège pour ces jeunes "baccalaurius" qui formaient une élite sociale alors qu'il était formellement interdit à la plèbe, aux fils de roturiers, voués au système "reproductif" du "servage agraire".
À l'origine, le baccalauréat n'existait que sous une seule forme, le baccalauréat littéraire qui consistait à discuter d'un ou de deux écrivains latins. La première promotion ne compta que 31 reçus sur 41 candidats, tous des garçons ; à noter qu'à cette époque-là (XIXe siècle), les filles n'avaient pas le droit de concourir, c'était un domaine exclusivement masculin, un examen sexiste en fait. Ce n'est qu'avec l'avènement de l'école publique et gratuite que l'effectif des candidats au bac va augmenter, et ce, au fil des années, et c'est vers 1954 que les données relatives au baccalauréat vont changer : le baccalauréat classique et le baccalauréat moderne avec l'entrée en médiéval "baccalareus" ou "baccalaureus" dont dérive le terme français "baccalauréat". Durant tout le XIXe siècle, et jusqu'au début du XXe, le bac reste plutôt réservé à une élite. Elite essentiellement masculine, même si Julie-Victoire Daubié est la première bachelière de l'histoire en 1861 (voir encadré). C'est à partir de 1924, lorsque les programmes secondaires pour garçons et filles deviennent identiques, que le baccalauréat s'ouvre largement aux élèves féminines. Le professeur Guillaume fit remarquer que l'explication qui fait dériver ce terme du latin "vassa" (une vache) ne peut être prise au sérieux. Il suggéra que "baccalaureus" pourrait bien être une défectueuse transposition en latin d'une expression arabe comme par exemple "bihaqq al-riwaya", signifiant le droit de transmettre une science. En effet, bien des termes arabes sont passés déformés dans le latin du Moyen-Âge, et dans les autres langues européennes, dans lesquelles ils sont encore en usage aujourd'hui. Parmi ces termes, on trouve des mots familiers comme "chèque" (de l'arabe "sakk"), "tarif" (ta'ref) et "amiral" (amir el'bahir) et bien d'autres. Il est à relever que Guillaume n'a jamais trouvé l'expression "bihaqq al-riwaya" dans aucun document arabe, et l'étymologie qu'il en propose ne peut être considérée que comme une conjecture intéressante. À ce propos, remarquez la similitude sémantique déconcertante par effet de translitération phonétique entre le mot latin "bacca" qui signifie "baie" et par extension "couronne", en l'occurrence de lauriers, et le terme arabe "baqqa" qui veut dire "bouquet" et par extension "couronne" (de fleurs). Mais les dernières recherches des écrivains de nos jours dans les différent exemples de "ijazah" (licence) médiévale ont démontré que non seulement qu'une expression similaire à celle que suggère Guillaume était en usage dans des documents arabes de même type, mais aussi que cette expression était employée exactement dans le sens voulu par son étymologie proposée. La première "ijazah" (conservée dans un manuscrit de l'université de Cambridge) dans laquelle on trouve l'expression "bihaqq al-riwaya", date de l'année 1147 ; or, on ne trouve pas le terme "baccalaureus" en Europe, employé dans le sens "licencié", avant 1231, année où le système des degrés universitaires fut établi par la bulle pontificale "Parens Scientiarum" du pape Grégoire IX( la "mère des sciences" datée du 13 avril 1231 et adressée aux professeurs et étudiants de l'université de Paris). Faisant suite aux lettres du légat Robert de Courçon (de l'année 1215), le pape Grégoire IX, homme de culture et canoniste avisé, accorde par cette bulle à l'Université de Paris les principaux privilèges qui consacrèrent son indépendance intellectuelle et juridique. Il paraît donc probable que le terme "bachelier" est dérivé de l'expression en usage dans les diplômes de l'université islamique. Dans ce contexte, il faut savoir que la "ijazah" (magister) est née il y a mille ans (deux siècles avant la "Parens Scientiarum" du pape Grégoire IX) à la mosquée d'Agadir où enseignait Abou Djafar Ibn Nasr Ed Daoudi, alter ego de Sidi Boumediene el-Ghaout, premier commentateur de Sahih el-Boukhari ("Ennassiha") dont on célèbre en 2011 le millénaire de sa mort (un non-événement à priori pour la manifestation "Tlemcen, capitale de la culture islamique"). Abdou El-Malek el-Bouni, Ibnou el-Qaïraouani (auteur de la Rissala) et Ibnou Abdel Ba r(auteur de l'Isti'ab) furent les trois (primo) récipiendaires de la "ijazah" de Sidi Ed Daoudi...
Voici quelques vers, extraits du best-seller El-Boustane (ou Jardins des biographies des saints et savants de Tlemcen) de Ibn Maryem Ech-Cherif el-Melity el-Medyouni Tilimceni, illustrant le message pédagogique et éthique de cette "ijazah" (autorisation de développer, commenter, annoter une œuvre matrice mère, ndlr) : "Accorde-lui l'autorisation absolue d'enseigner ce que toi-même es autorisé à enseigner par les savants ;/Que cette autorisation s'étende à ses descendants et s'applique à toutes les connaissances pour lesquelles elle a été accordée (Alfiya, vers 119) ;/Puisse-t-elle lui être donnée pour contribuer à sa gloire et à son honneur ! ;/Qu'elle lui attire approbation, mais non disgrâce ! (Alfiya, ver 5) ; /Qu'elle le dispense de recourir aux faveurs de qui que soit ! /Cette autorisation sera absolue pour le droit, la grammaire et tout autre que ces deux sciences... (Alfiya, vers 529) ;/Transfère à un second l'autorisation d'enseigner ce que le premier tiendra de ses maîtres (Alfiya, vers 556) ;/De telle façon que ce second, parent ou non du premier, soit regardé, grâce à cette autorisation, comme pouvant jouir, dans les deux cas, des droits qui y sont attachés (Alfiya, vers 416)"... À ce titre, "le désir du jurisconsulte, de l'homme d'esprit célèbre et intelligent qui a signé la requête écrite au recto de ce papier est satisfait. Je lui accorde tout ce qu'il sollicite dans sa demande en autorisation d'enseigner. Qu'il rapporte d'après moi ce qu'il est permis de rapporter, aux conditions ordinaires et dans l'ordre habituel : il est digne de cela. Qu'il permette à qui il voudra de rapporter à son tour avec justesse, ce qu'il lui aura communiqué et qu'il tiendra de ma bouche, de la bouche d'un de mes compagnons dignes de foi, ou qu'il aura puisé dans un de mes récits... Je l'autorise également à enseigner tout ce qu'il croira faire partie de mon enseignement, et tous les ouvrages que j'ai composés, ou composerai s'il plaît à Dieu. Il est digne de transmettre mon enseignement comme il mérite qu'on transmette le sien, puisqu'il possède toutes les qualités requises. Il suivra en cela, avec l'aide de Dieu, la meilleure des voies. Cette autorisation lui est donnée aux conditions habituelles et comme il vient d'être dit. Que Dieu, par un effet de sa grâce, de sa bonté, de sa générosité et de sa munificence, nous promette à tous deux de ne faire que ce qu'il aime et tient pour agréable !..." (Cheïkh Ahmed Ben Mohammed Ben Zekri, écrit de sa main dans les premiers jours de rabi'thani de l'an 897/février 1492)...
Jetons maintenant un éclairage sur l'historique du baccalauréat en Algérie post-indépendance, notamment au plan institutionnel. Ledit examen a été institué par décret 63-495 en date du 1er décembre 1963 et le décret 68-46 du 8 février 1968 pour le baccalauréat technique. L'arrêté ministériel du 31 décembre 1963 organisa le baccalauréat en arrêtant la nature des épreuves, leur durée et leurs coefficients en fixant le déroulement des examens, la correction des épreuves et les modalités de délibérations et proclamation des résultats. Il convient de préciser dans ce contexte que le baccalauréat était conditionné par l'examen dit probatoire qui était en vigueur jusqu'en 1969 et qui se déroulait au même titre que le bac en deux sessions. Le décret 68-46 du 8 février 1968 institua le baccalauréat technique (de technicien). L'arrêté interministériel en date du 24 novembre 1974 réorganisa l'examen du baccalauréat, cet arrêté constitue pour le moment le cadre de référence pour le baccalauréat. Depuis, d'autres arrêtés ministériels sont venus modifier ou compléter ce dernier. Pour l'institution éducative, enfin, le baccalauréat est l'aboutissement d'un cursus scolaire pendant lequel des investissements ont été consentis, des programmes d'enseignement appliqués aux élèves, il est pour l'institution l'un des instruments pour évaluer les résultats de ces investissements et de l'enseignement dispensé. Il faut dire qu'à ce jour, le baccalauréat est régi par tous ces décrets et arrêtés, malgré les dispositions de l'ordonnance du 16 avril 1976 et du décret 76-72 du 16 avril 1976, notamment ses articles 17 et 18 qui introduisent un diplôme de fin d'études secondaires intitulé "baccalauréat". Au Maroc, le bac a été introduit par le protectorat en 1912 dans le cadre de la réforme du système éducatif marocain. La Tunisie a connu son premier baccalauréat en 1891. Le nombre de Tunisiens qui obtenaient leur bac était très faible (moins de 5) jusqu'à l'année 1927 marquée par la réussite de 27 Tunisiens. Tawhida Ben Cheikh était la première bachelière tunisienne (1928).
Le premier bac après l'Indépendance s'est déroulé le 31 mai 1957, avec 1 900 candidats dont 1 400 de Tunis. Le nombre de lauréats s'élevait à 600. Le bac se déroulait en deux phases (5e et 6e secondaire) jusqu'aux années 1970 (le bac de la 7e année secondaire). En Mauritanie, c'est Moktar Ould Daddah qui, scolarisé dans la première école française, devient le premier bachelier mauritanien dans les années 1950... Alors qu'en Libye, la première université, l'Université de Tripoli, a été fondée en 1955...
Enfin, nous ne terminerons pas cette rétrospective de ce prestigieux examen qui, il faut le souligner, représente un événement national et constitue un sujet d'actualité, sans évoquer le nom de l'illustre Si-Mhammed Ben Rahel Ennadromi (16 mai 1858 - 7 octobre 1928) qui fut le premier Algérien à obtenir le baccalauréat au terme des études secondaires qu'il avait suivies au lycée impérial d'Alger où il fut admis en 1870 qu'il fréquenta jusqu'en 1874, avant d'être nommé khalifa d'Agha en 1876 puis caïd de Nédroma en 1878, en remplacement de son père démissionnaire (la même année, il visita l'exposition universelle à Paris avec d'autres chefs indigènes). Auparavant, il avait suivi les cours de la première école franco-arabe de Nédroma ouverte en 1865.
A. B.
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