L'échec du processus politique qui a suivi la chute du régime de Saddam et la multiplication des acteurs politiques en Syrie expliquent également le désastre qui se joue actuellement dans cette région, selon cette politologue. Liberté : Une semaine après le début des frappes de la coalition occidentale contre Daech, leur efficacité est remise en cause par les experts américains eux-mêmes. À quoi faut-il s'attendre ? Des troupes au sol ? Une solution politique ? Louisa Aït Hamadouche : Déjà, je pense qu'il ne faut pas s'attendre à des résultats aussi rapides que vous le sous-entendez. Une semaine est un délai court pour n'importe quelle intervention militaire et encore plus pour une opération visant à lutter contre un ennemi de ce type. N'oublions pas qu'il s'agit de groupes qui ne respectent pas les règles de la guerre conventionnelle, qui sont déterritorialisés qui puisent dans un registre de légitimation extrêmement puissant. Les troupes au sol ? Si de nouvelles forces sont envoyées, il est fort peu probable qu'elles soient américaines, en dehors des forces spéciales qui sont dépêchées dans le cadre d'opérations ciblées qui ne sont pas officiellement répertoriées. La piste la plus plausible est que les forces locales alliées soient soutenues en termes d'armement, de logistique et de renseignement, pour combattre corps à corps. La solution politique ? Aucune guerre ne s'achève sans négociations et on finit fatalement par négocier avec son ennemi. Le but de ces opérations serait de créer les conditions jugées intéressantes pour négocier en position de force. La situation est complexe parce qu'il faut affaiblir Daech, mais ne pas consolider le régime syrien. La mission qui consiste à démentir le principe selon lequel "l'ennemi de mon ennemi est mon ami" sera compliquée. Quelle serait la responsabilité américaine dans la situation actuelle en Irak et en Syrie ? Aussi puissants soient-ils, je ne crois pas que les Etats-Unis soient les principaux responsables du chaos en Irak et en Syrie. Ceux qui gouvernent l'Irak depuis 2003 ont totalement échoué dans leur mission de refonder un Etat irakien qui survive au baâthisme. Ils ont remplacé un totalitarisme laïque par un exclusivisme confessionnel qui a aggravé les clivages et ravivé les anciennes haines au lieu de les apaiser. En Syrie, la multiplication des acteurs et la prolifération de groupes extrémistes dangereux ne doivent pas nous faire oublier l'origine du conflit, à savoir des revendications politiques indiscutablement légitimes. Le pouvoir autoritaire et violent de Bachar al-Assad a, certes, atteint un objectif, à savoir quasiment anéantir l'opposition politique à son régime. Mais à quel prix ? Sortira-t-il indemne de l'intervention militaire américaine ou en sera-t-il la prochaine cible ? Un groupe terroriste algérien dissident d'Aqmi vient de faire allégeance à Daech. Le fait est-il de nature à impacter négativement sur la situation sécuritaire en Algérie ? Avec le kidnapping et l'assassinat d'Hervé Gourdel, l'Algérie renoue avec une page sombre de son histoire récente. C'est comme une piqûre de rappel pour ceux qui sous-estiment l'effet négatif du terrorisme résiduel et surestiment l'effet positif du statu quo. De là à évoquer une importante déstabilisation, c'est une hypothèse peu probable. En effet, et comparativement aux pays où Daech est très nuisible, l'Algérie a développé un arsenal sécuritaire puissant. Cela étant, et aussi puissant soit-il, cet arsenal restera vulnérable en l'absence d'une consolidation politique forte par sa légitimité. Les milices libyennes refusent de prendre part au dialogue interlibyen tel que préconisé par l'ONU. Que signifie ce refus et n'est-il pas de nature à plomber le processus et perpétuer le chaos dans ce pays ? N'était-il pas illusoire de penser que tous les protagonistes allaient, du jour au lendemain, arrêter de faire parler les armes pour négocier autour d'une table ? Le dialogue inclusif n'inclura, de prime abord, que ceux qui accepteront de négocier. Ensuite, l'évolution de ce dialogue, ses premiers impacts immédiats sur le terrain (cessez-le-feu, désarmement, compensations...) seront autant de raisons qui pousseront les récalcitrants à revoir leur position. Le premier défi de ce dialogue est de convaincre les milices qu'elles auront plus à gagner en négociant qu'en poursuivant la stratégie de la confrontation.