À l'issue de sa conférence, animée samedi dernier, au Théâtre régional Malek-Bouguermouh de Béjaïa, l'auteur de Mouloud Mammeri ou la colline emblématique a procédé à la dédicace de son livre en présence d'un public nombreux. Invité au café littéraire de Béjaïa, Hend Sadi, le frère cadet du Dr Saïd Sadi, agrégé de mathématiques, est longuement revenu sur la polémique qu'avait suscitée la parution, en 1952, du premier roman de Mouloud Mammeri La colline oubliée. Une vieille polémique à laquelle le conférencier a déjà consacré un livre qu'il a publié aux éditions Achab sous le titre Mouloud Mammeri ou la colline emblématique, dans lequel il a tenté de décortiquer les tenants et les aboutissants de la cabale médiatique dont avait fait l'objet l'illustre écrivain Mouloud Mammeri. Ainsi, Hend Sadi, qui fut l'initiateur de la fameuse conférence que devait animer Mammeri en avril 1980 – dont l'annulation par le wali de Tizi Ouzou de l'époque a mis le feu aux poudres – expliquera à travers son ouvrage le lynchage médiatique subi par l'auteur de La colline oubliée et auquel se sont livrés certains intellectuels proches du PPA-MTLD, à l'exemple de Mostefa Lacheraf, Amar Ouzegane et Mohamed Cherif Sahli qui ont accusé l'écrivain kabyle d'avoir écrit "une œuvre littéraire et non politique" et ainsi de faire le jeu de l'ennemi français "en suivant le mirage de l'art pour l'art qui ne saura cependant duper notre jeunesse musulmane, consciente de la grossière manœuvre politique tentée par l'impérialisme français moribond". La première alerte, a-t-il précisé, a été donnée par Amar Ouzegane qui écrivait, dans le n° 7 de la revue Le jeune musulman, un article critique intitulé "Qui nous donnera une version nationale de la case de l'oncle Tom ?". Allusion faite au roman de Mammeri. M. Sadi a tenu à rappeler que Le jeune musulman a été fondé par Ahmed Taleb Ibrahimi, fils du successeur de Ben Badis, dirigeant de l'Association des oulémas musulmans d'Algérie. Présenté comme étant organe central des jeunes de cette association, le journal en question s'inscrit, selon Sadi, dans une ligne éditoriale "arabo-islamiste et antiberbère". L'orateur rappellera que trois mois après la diatribe d'Ouzegane, ça sera le tour de Mohand Cherif Sahli, l'un des amis proches de Mammeri, de s'attaquer à ce dernier, en publiant un autre article dans le même média, dans lequel il assène : "Une œuvre signée d'un Algérien ne peut donc nous intéresser que d'un seul point de vue : quelle cause sert-elle ? Quelle est sa position dans la lutte qui oppose le mouvement national au colonialisme ?". M. Sadi estimera que Sahli avait poussé le bouchon un peu loin en titrant son article "La colline du reniement", sans pour autant citer un élément du livre incriminé. "Selon Sahli, le roman de Mammeri fait l'éloge de l'ennemi français, ignorant superbement son contenu ainsi que les critiques littéraires de la presse nationaliste et communiste qui fait état de l'engouement des patriotes algériens pour le roman", a-t-il soutenu. L'invité du café littéraire de Béjaïa rappellera à ce titre que Mammeri avait jugé inutile d'alimenter la polémique, en se contentant d'une seule et unique réponse adressée à son ancien ami, Mohamed Cherif Sahli. L'écrivain avait dénoncé dans sa réplique "le manque de professionnalisme de son détracteur, tout en refusant d'assumer la berbérité de son roman qui constitue, en réalité, le principal grief retenu contre lui". Enfin, Mostefa Lacheraf, un autre intellectuel du mouvement national, présenté par M. Sadi comme la plume attitrée du PPA et intellectuel organique en lui déniant toute dimension politique, sera la troisième personnalité à être citée par le conférencier comme l'un des détracteurs de Mouloud Mammeri. Partisan du courant dominant du PPA et ancien ministre de l'Education nationale sous Boumediene, Lacheraf a, pour sa part, publié une contribution, toujours dans Le jeune musulman, sous le titre "La colline oubliée ou les consciences anachroniques", dans laquelle il qualifie Mammeri de régionaliste. Estimant que le lecteur algérien est "dépaysé" dans le roman de Mammeri, Lacheraf a considéré cet amour "de la petite patrie" (la Kabylie) comme une tentative séparatiste ! Hend Sadi affirmera, par ailleurs, que Mostefa Lacheraf restera le fondateur de la critique littéraire algérienne. Pour l'orateur, cette polémique, qui laissera un mauvais souvenir de l'élite militante du mouvement national, avait préparé le lit du sectarisme qui coûtera la vie à de nombreux militants berbéristes, à l'image de Bennai Ouali qui fut la première victime de la crise dite berbériste de 1949. Par ailleurs, Hend Sadi soulignera l'honnêteté intellectuelle du célèbre écrivain et non moins ancien ministre de l'Education égyptien, Taha Hussein, qui a consacré un article de 14 feuillets au roman de Mammeri, publié en arabe dans la revue Naqd wa islah. Après avoir déploré le fait que ce roman ne soit pas écrit en arabe, en raison de la présence coloniale, a-t-il expliqué, l'écrivain égyptien ne manquera pas de faire l'éloge de l'esthétique et la force narrative de Mammeri.