Hend Sadi publie, chez l'éditeur algérien Achab, son deuxième livre intitulé Mouloud Mammeri ou la Colline emblématique. Jusque-là auteur de l'unique ouvrage Tusnakt s wurar, (Mathématiques récréatives (1991), publié en tamazight, l'ancien animateur du Mouvement culturel berbère renoue avec l'écriture engagée. Dans ce nouvel ouvrage, il revient sur la polémique suscitée dans le milieu intellectuel algérien par la publication, en 1952, du premier roman de Mouloud Mammeri : La Colline oubliée. Prenant la défense de son mentor dans le combat identitaire amazigh, le professeur de mathématiques a étudié la logique d'une «critique littéraire idéologique» qu'a subi la première œuvre majeure de Mammeri. Dans son travail d'analyse, Hend Sadi a décortiqué les textes-critiques, tous publiés en annexes, en les restituant dans leur contexte historique. Il a pris le soin de présenter le profil, l'itinéraire et le discours de tous ceux qui ont présenté des critiques littéraires de La Colline oubliée. Il a même traduit de l'arabe au français un texte de l'écrivain égyptien Taha Hussein qui a fait une longue critique élogieuse du roman de Da Lmulud. Si beaucoup d'observateurs renvoient la naissance de la littérature francophone algérienne à la publication de La Colline oubliée et La Grande maison de Mohamed Dib, Hend Sadi est catégorique : «La réception du roman de Mammeri a fondé la critique littéraire algérienne.» Naissance de la critique littéraire algérienne S'alarmant de l'audience et du succès rencontrés par La Colline oubliée, salué même par la presse coloniale, une campagne de critiques virulentes a été menée contre ce roman par Le Jeune Musulman, organe des jeunes de l'Association des oulémas musulmans algériens. Cette revue, fondée par Ahmed Taleb Ibrahimi, avait publié de nombreux articles où elle reprocha à Mammeri «l'encensement de la presse coloniale» et le relancement de la question identitaire berbère en Algérie, puisque le livre raconte la vie dans un village kabyle. Hend Sadi revient en détail sur les textes à charge contre La Colline oubliée de trois auteurs : Amar Ouzegane, Mohamed-Chérif Sahli et Mostefa Lacheraf. Ouzegane a lancé le premier une campagne très violente contre Mammeri. Après avoir salué ce dernier et Mohammed Dib : «Je suis fier de voir des hommes de mon sang et de ma race jongler avec la langue française», Amar Ouzegane a accusé Mammeri de suivre «le mirage de l'art par l'art» et de faire le jeu de l'impérialisme en écrivant une œuvre littéraire plutôt qu'un livre militant. Quand Sahli publie sa critique dans Le Jeune Musulman du 2 janvier 1953, il l'intitule carrément La Colline du reniement. Hend Sadi considère cet article comme beaucoup plus «incisif» que celui d'Ouzegane. «Sahli a appelé, officieusement dans son texte, à l'excommunication de Mouloud Mammeri qui servait, selon lui, la propagande coloniale. Il se basait dans son argumentaire non pas sur ce qu'a écrit Mammeri, puisqu'il n'a même pas lu le roman, mais sur ce qu'a écrit particulièrement La Dépêche Quotidienne, le 24 septembre 1952, dans l'article titré : ‘‘Un beau roman kabyle''», explique Hend Sadi. «La logique de Sahli a été trop simpliste : l'œuvre de Mammeri est forcément mauvaise et malfaisante puisqu'elle s'attire la sympathie de la presse coloniale», précise-t-il. Mostefa Lacheraf, à son tour, s'est attaqué au livre de Mammeri en soutenant indirectement les thèses de Mohamed-Chérif Sahli. D'après Hend Sadi, «Lacheraf a accusé Mammeri de présenter une fausse vérité de l'identité du peuple algérien». En plus de toutes ces critiques défavorables, on trouve dans l'ouvrage de Sadi des textes favorables à La Colline oubliée de plusieurs auteurs, comme Sadek Hadjerès, Mahfoud Khaddache, Pierre Bourdieu et surtout Taha Hussein. Dans un article publié en 1956, le célèbre écrivain et journaliste égyptien a encensé le roman, en ne s'en tenant qu'au contenu du livre qu'il qualifia de «livre remarquable, qu'il peut être considéré comme un des meilleurs parmi ceux publiés ces dernières années», (les années 1950 ndlr).