L'Algérie officielle s'est "réjouie du bon déroulement des élections législatives et du climat de sérénité et d'apaisement qui les a caractérisées". Pour notre pouvoir, il n'y a que cela qui compte : que tout se passe sans incident. L'on peut, en effet, relever la "bonne tenue" qui a marqué cette journée électorale et celle de la campagne qui l'a précédée. Mais le plus remarquable dans ce scrutin, n'était-ce pas son irréprochable honnêteté ? Car, c'est bien cela qui fait toute la différence entre une élection démocratique et une mascarade électorale. Nul besoin de convoquer des observateurs complaisants de partenaires commerciaux, et/ou syndiqués dans les mêmes organisations régionales, pour délivrer de faux témoignages de transparence ! Quant au climat de "sérénité et d'apaisement", par la répression de l'expression citoyenne, l'étouffement de l'opposition et la clientélisation du reste... Oui, nos voisins tunisiens peuvent légitimement se réjouir — et nous avec — d'avoir confirmé leur "printemps" démocratique et d'avoir fait le saut vers la communauté des sociétés libres. Qui aurait misé sur cette gageure qui consiste à passer ainsi, en trois ans seulement, d'un despotisme personnel archaïque à l'âge de la démocratie ? L'on ne mesure peut-être pas encore l'intensité du séisme, mais c'est un mur de Berlin qui vient de s'écrouler dans le monde musulman ! Dans un espace culturel où les peuples n'ont eu, depuis près d'un siècle, autre choix que de choisir entre des dictatures militaro-tribales ou des despotismes religieux persécuteurs, le basculement de la "petite Tunisie" dans la civilisation démocratique constitue la plus spectaculaire rupture historique depuis les indépendances. Et dire que l'Algérie aurait pu, en toute légitimité, inaugurer l'ère démocratique en terre d'Islam ! Mais les forces conservatrices ont voulu — et y ont réussi — qu'il en soit autrement. Nous retrouver, un quart de siècle après notre "printemps 1988", à subir, à chaque échéance électorale, des révisions autoritaires de la Constitution pour l'adapter au désir d'éternité d'un système, donne une idée du chemin parcouru — à rebours ! — depuis l'avènement du multipartisme. Là où les Tunisiens se sont donné une Constitution consensuelle en quelques semaines de débats, les Algériens se voient baladés par un mystérieux document "top secret" passant d'officines en commissions et de commissions en rounds de consultation, depuis plus de trois ans... L'âge de la transition démocratique tunisienne ! Et, nous, nous attendons toujours la formule du Graal... Non, en fait, nous n'attendons plus rien. Sinon la prochaine augmentation, pour les uns ; la prochaine affaire, pour les autres. Nous n'avons plus les aspirations d'un peuple mais les ambitions de spéculateurs, réglées sur le prix du baril, le taux de l'euro, le niveau des réserves. En vingt-cinq ans "d'expérience démocratique", et pour deux cent mille morts et des centaines de milliards dilapidés, nous avons réussi à retourner à... avant la case départ ! En termes de navigation à contre-courant de l'Histoire, nous aurons réalisé une performance ! Eût-il fallu beaucoup de motivation à beaucoup de forces politiques pour réussir un tel gâchis ? Le regret — et la honte — de notre échec... justifie bien le plaisir de saluer le succès tunisien. M. H. [email protected]