La bonne gouvernance est incarnée dans un système de décision prévisible et clair ; une bureaucratie imprégnée d'éthique professionnelle ; un gouvernement responsable de ses actes dans le sens anglo-saxon d'“accountability” ou arabe de “moussa'ala” ; ainsi qu'une société civile forte participant dans les affaires publiques. Bien entendu, tous agissent dans le respect des lois en vigueur. Je fais ce rappel comme introduction au traitement de ce qui est appelé “la mise en concession de l'aéroport d'Alger”. Lorsque le gouvernement a eu à traiter cette question en 2000, l'idée répandue chez les responsables de l'Exécutif concernés était la réalisation de l'aéroport sous la forme du BOT (Build Operate and Transter = bâtir, exploiter sous forme de concession, puis remettre à l'Etat les installations au bout d'une certaine période d'exploitation fixée à l'avance). Mais il y a l'apparence des choses et leur réalité. En apparence, cette formule paraît impeccable, magique : l'Etat se décharge totalement sur un opérateur économique privé, profite d'une exploitation professionnelle et reçoit les actifs après un certain temps ! N'est-ce pas magnifique ! Bien entendu, l'opérateur privé estime les coûts du financement, les coûts de réalisation, les coûts d'exploitation, d'autres coûts éventuels, sa marge et fait une proposition des conditions de son acceptation de la formule BOT. S'agissant d'un aéroport, il y va de la tarification des services aux usagers, des questions de protocole, des questions de sécurité, etc. Comme la concession dure plusieurs décennies, l'engagement de l'opérateur est fortement conditionné par la perception qu'il se fait de la bonne gouvernance dans le pays considéré. Lorsqu'on parle d'aéroport international, on est très proche des questions de souveraineté. Alors le recours au BOT ne se justifie que s'il y a une contrainte majeure de capacité de financement, une contrainte majeure de capacité de gestion du projet et une contrainte majeure de capacité d'exploitation. Il faut bien sûr disposer de la législation adéquate ainsi que d'équipes formées à la négociation de ce type de contrat. Pour un aéroport, c'est une quarantaine de contrats partiels. C'est avec ces préoccupations que ce dossier a été étudié selon trois directions : (a) s'assurer que les membres de l'Exécutif chargés de ce dossier ont les connaissances techniques et opérationnelles pour évaluer les enjeux d'une telle opération ; (b) faire le point de l'expérience internationale en matière de BOT ; (c) évaluer les capacités disponibles dans le pays pour réaliser ce projet. Après une première réunion avec les membres de l'Exécutif chargés du dossier, il s'est avéré qu'ils n'avaient qu'une idée très superficielle du mode de réalisation du BOT. Par ailleurs, l'étude de l'expérience turque (l'un des premiers pays à recourir à cette formule) a montré qu'en dix ans, entre 1984 et 1994, ce pays n'a pu réaliser que deux opérations et a dû recourir à plusieurs modifications des lois concernant cette formule. Enfin, les réunions de travail avec le directeur général de la Société d'investissement, d'exploitation et de gestion aéroportuaire (SIEGA) ont permis d'envisager la réalisation du projet en trente mois, c'est-à-dire la mise en exploitation en janvier 2003. Comment ? En ce qui concerne la contrainte financière, la SIEGA était dotée d'un capital de 5 milliards de dinars, soit 75 millions de dollars américains au taux de change de l'époque. Voici une entreprise qui dispose d'un capital de 75 millions de dollars, chargée de réaliser un projet estimé à 110 millions de dollars ! Peut-on imaginer une situation financière plus confortable pour une telle mission ? S'agissant de la capacité de gestion du projet et de l'exploitation de l'aéroport, que restait-il à faire ? 5% du gros œuvre, les corps d'état secondaires, les équipements fixes d'exploitation, les équipements mobiles d'exploitation, les équipements de sécurité, les parkings et aires de manœuvre des avions. Avec l'aide de Brown & Root Condor, du groupe Sonatrach, société qui avait déjà réalisé avec succès le centre des brûlés de l'hôpital de Aïn Naâdja, un programme a été établi avec plusieurs activités à mener en parallèle. Il s'agit de corriger les imperfections et d'achever les restes à réaliser sur les gros œuvres, de mettre à jour les cahiers des charges des corps d'état secondaires, l'étude de rentabilité globale du projet, la recherche d'un partenaire pour la création d'une société mixte pour la réalisation des corps d'état secondaires et l'exploitation de l'aéroport. Parallèlement, le gouvernement entreprendra la mise à niveau du dispositif législatif et réglementaire d'accompagnement. Le tout devant aboutir à la livraison d'une partie totalement achevée et permettant de traiter trois millions de passagers par an. L'ouvrage étant conçu de façon modulable, cette formule ne posait pas de problème technique et répondait à la demande sur le moyen terme. Les travaux étaient engagés par SIEGA lorsque celle-ci a été dissoute après le départ du gouvernement pour le choix d'une banque d'affaires étrangère et l'appel d'offres pour un BOT ! Toujours est-il, au lieu d'avoir la livraison de l'aéroport en fin 2002, nous avons le constat d'échec de la procédure de mise en concession. Quel destin pour une équipe gouvernementale qui a proclamé le désengagement de l'Etat et qui se trouve par les errements à engager l'Etat en désengageant une entreprise publique économique après trente mois perdus ! Qui doit supporter les conséquences de ces errements ? À jeudi prochain pour une autre question. Entre-temps, travaillons toutes et tous à élargir la base du dialogue sur l'avenir de l'Algérie. [email protected]