Les éditeurs iront, aujourd'hui, à la rencontre du ministre de la Communication. Le prétexte de l'opération est de discuter le “brouillon” de l'avant-projet de loi sur l'information. Depuis le début des incarcérations de journalistes, le pouvoir s'emploie à chercher des dérivatifs médiatiques à son entreprise de répression. Le ministre de la Justice a, par deux fois, tenté d'imposer le menu judiciaire de la presse en avançant les thèmes alternatifs à la question de l'emprisonnement politique de journalistes. Ni la vaine promesse d'un procès Khalifa ni la surprenante question de l'abolition incomplète de la peine de mort n'ont distrait la profession de ses réelles urgences. Il semble que le ministre de la Communication a, lui, réussi à convaincre le comité de défense de la liberté de presse de revoir les urgences tactiques dans la protection du droit à l'information. Pour aujourd'hui donc, après la présentation formelle d'une protestation contre le traitement punitif et arbitraire des journalistes, leurs représentants entameront un dialogue, jusqu'ici suspendu, avec le gouvernement. Faute de mieux, il sera question d'un avant-projet de loi sur l'information rejeté dans sa globalité, il y a plus d'un an. Il y a quelque inconséquence à bouder une démarche quand le pouvoir se limitait à menacer, puis à l'homologuer au temps où il se décide à sévir. C'est comme une preuve de l'efficacité de la démarche de contrainte. Il n'était pas nécessaire de faire le tour d'Europe pour expliquer que le régime tourmente les journalistes, traque la liberté d'expression, suggère à nos partenaires la nécessité de l'interpeller à ce sujet, pour aller, dès le retour, converser avec le même régime sur les libertés de demain. Des confrères sont en prison, d'autres sont suspendus à des délibérations sur la base de sévères réquisitoires, et c'est sous cette pression que le pouvoir tenant l'épée de Damoclès d'une main, nous tend le micro de l'autre. Le paradoxe de la contrainte et de la main tendue n'a pas l'air de gêner, cependant, les invités de Haïchour. Sauf à avouer qu'il serait plus utile de composer que de résister, il sera difficile de protester et de coopérer à la fois. Il était déjà pour le moins insolite que le défendeur de Ali Benhadj se retrouve défenseur de l'âme de la Maison de la presse. De dérive en dérive, on pourrait se retrouver à ignorer le sens de nos gestes. Comme, par exemple, de substituer la cause de l'édition à la question de la liberté d'expression. Si en plus, les organisations professionnelles continuent à se fossiliser organiquement, comme le font le syndicat et le comité d'éthique, le pouvoir n'aurait bientôt aucune peine à sévir contre un monde atomisé par les ambitions contradictoires et les préoccupations divergentes. Un pouvoir qui excelle dans l'art d'éclater les mouvements qui émergent de la société vous neutralise au moment même où vous vous mettez à sa table. Le pouvoir présente l'option évidente d'un contrôle autoritaire de la société. Il s'y consacre résolument, au mépris des protestations, y compris celles qui émanent de la communauté internationale. Ce n'est pas une réunion de diversion qui changera quelque chose à ce profond mouvement. Le problème est que ce genre de dérivatifs, quand ils ne sont pas considérés pour ce qu'ils sont, entretiennent la confusion propice à l'œuvre de régression politique qui fait le véritable programme du régime. M. H.