Liberté : Comment réagissez-vous à la découverte, jeudi dernier, du charnier d'Oued Boulbane dans la région de Blida, vous qui avez de tout temps revendiqué la recherche et l'ouverture de ces charniers ? Ali Merabet : Effectivement nous avons toujours revendiqué l'ouverture des charniers. C'est pour cela d'ailleurs que nous avons fait un travail avec la commission Ksentini sur cette question. Malheureusement, Ksentini n'a pas accordé beaucoup d'importance à l'ouverture des charniers. Pourquoi dites-vous que Ksentini n'a pas accordé de l'importance à l'ouverture des charniers ? Parce que nous avons eu un premier entretien avec Ksentini, il y a vingt jours de cela, autour de cette question, suite à ses déclarations selon lesquelles il était prêt à écouter les repentis sur les enlevés par les terroristes. Cet entretien, nous l'avions eu en présence d'un repenti. Malheureusement, Ksentini n'avait pas pris en considération les déclarations du repenti sur l'emplacement des charniers. Il nous a seulement demandé de rester en contact avec lui et d'élaborer un travail de réflexion sur la manière de régler cette problématique. Ensuite, il nous a exigé la liste des cas de personnes enlevées par les terroristes en notre possession. Il a, en plus, accordé beaucoup plus d'importance à cette liste qu'à notre vision de règlement du problème des personnes enlevées par les Groupes islamiques armés (GIA). On a compris, de ce fait, que cette commission ne voulait que garnir son rapport avec notre liste. Ksentini ne voulait pas en plus un règlement au cas par cas des personnes enlevées par les terroristes. Qu'appelez-vous le règlement au cas par cas du problème des personnes enlevées par les terroristes ? C'est-à-dire que chaque cas d'enlèvement par les terroristes doit être traité isolément. Je vous donne l'exemple de mon cas : mes deux frères ont été enlevés par les terroristes. Il y a un repenti qui détient toutes les informations sur l'enlèvement, la torture et l'assassinat de mes deux frères. Ce repenti m'a bien confirmé qu'il a vu mes deux frères torturés puis assassinés. Ksentini n'a pas été intéressé par ces propos. C'est pour cela qu'on a conclu que le président de la Cncppdh ne veut pas travailler au cas par cas. Je lui ai alors demandé s'il voulait travailler de manière globale sur les enlevés par les terroristes à l'échelle nationale, il n'a qu'à consulter la liste disponible au ministère de l'Intérieur sur l'ensemble des enlevés par les terroristes. Mais paradoxalement, Ksentini s'intéresse particulièrement à notre liste dans laquelle ne sont recensés que les enlevés de trois wilayas : Alger, Tipasa et Blida. Ce que nous ne comprenons pas. Mais la découverte du charnier de jeudi vous procure-t-elle quelques satisfactions, compte tenu de la nature de vos revendications à ce sujet ? Vous savez, j'ai suivi depuis 1996 l'ouverture des charniers. Et à chaque fois qu'il y a découverte d'un charnier, il n'est pas suivi d'une identification des ossements. L'exemple le plus illustratif que je vous donnerai est celui du charnier d'El-Hamiz en 1998 où 103 ossements de personnes ont été découverts. Et depuis ce jour-là, aucune identification d'ADN n'a été effectuée. C'est pour cela que le plus important est que toute découverte de charnier soit suivie d'une identification pour que les familles aient des informations sur leurs enfants et fassent le deuil. Je serai satisfait le jour où toute ouverture de charnier sera suivie d'une identification. Existe-t-il, selon vous, des mécanismes efficaces de règlement à ce problème de charniers ? Nous avons toujours essayé de transmettre nos propositions à ce sujet aux autorités et à la présidence de la République. Nous avions revendiqué l'installation d'une commission d'experts et de représentants d'ONG locales qui s'occupent des enlevés par les GIA ainsi que l'installation d'un laboratoire scientifique. À ce propos, nous avons exigé à ce que les autorités soient à la disposition de cette commission. Pour vous montrer l'efficacité de notre démarche, je vous dirai qu'uniquement dans la région de Sidi Moussa (Blida), j'ai élaboré un plan détaillé sur les charniers. Grâce à l'aide des paysans de cette région, j'ai pu identifier dix-sept charniers. Deux seulement parmi eux ont été ouverts, mais malheureusement l'identification n'a pas été faite. N. M.