Après cinq heures de procès, la décision est tombée tel un couperet : 2 ans de prison ferme. Le juge a, par ailleurs, refusé la libération du directeur du Matin. Le miracle n'aura finalement pas eu lieu : la cour d'Alger a confirmé, hier, le jugement prononcé par le tribunal d'El-Harrach le 14 juin dernier à l'encontre de Mohamed Benchicou, directeur du quotidien Le Matin. Le célèbre chroniqueur écopera ainsi de deux années de prison ferme, à l'issue du procès en appel, assorties d'une amende équivalant au triple du montant des bons de caisse en monnaie locale, trouvés en sa possession le 23 août 2003 par la police des frontières alors qu'il rentrait d'un voyage de France. Soit 30,51 millions de dinars. “Cet arrêt a confirmé le premier jugement, à savoir que les juges n'ont pas agi en leurs âme et conscience mais en fonction des directives du pouvoir”, a commenté Me Ali Yahia Abdenour, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme à l'issue du verdict. “Pour le pouvoir, Benchicou a dépassé les limites et il doit payer”, a-t-il ajouté. Les cinq heures du procès Il est presque midi lorsque l'affaire numéro 26 est citée. La salle d'audience pour la circonstance se révélait très exiguë pour contenir la foule venue assister à un procès loin d'être ordinaire. Visage émacié, très affaibli, Mohamed Benchicou apparaît flanqué de deux policiers. Une apparition déjà qui n'a pas manqué d'arracher quelques larmes, notamment à certains journalistes du Matin. Premier à passer au prétoire, Me Miloud Brahimi, avocat de la défense. Il proteste d'emblée contre la mesure de mandat de dépôt prononcée contre le directeur du Matin par le tribunal d'El-Harrach la considérant comme “excessive et non justifiée”. “Mohamed Benchicou a passé plus de cinq mois sous contrôle judiciaire en restant à la disposition de la justice, lui qui n'a jamais commis d'infraction”. En se référant à l'article 10 de la loi 96/22 du 9 juillet 1996, modifié par l'ordonnance 01/03 du 19 avril 2003 condamnant le transfert de capitaux de et vers l'étranger, Me Brahimi reprend : “Le procès d'aujourd'hui n'aurait jamais eu lieu si on se référait à cet article, lequel stipule que s'il y a vraiment infraction, il est proposé au concerné un règlement à l'amiable et un délai de trois mois lui est accordé pour le faire, faute de quoi, il sera poursuivi en justice”. “On ne lui a pas donné la chance de le faire alors que la loi stipule qu'il peut en bénéficier à la seule condition que le montant soit au-dessous de 50 millions de dinars”, ajoute-t-il. Sur un autre volet, l'avocat relève que cette affaire est “entachée de vice de procédure” en exhibant à la cour deux procès-verbaux de constatation de “l'infraction” établis par la police des frontières et rédigés en deux langues : en arabe et en français. C'est ainsi qu'il a, à titre d'exemple, relevé l'absence de certains détails dans les procès-verbaux établis par la police des frontières. Lui succédant, Me Benarbia rappelle que, lors de l'interpellation de M. Benchicou, pendant son retour en Algérie en août 2003, les agents de la police judiciaire, formés en droit économique, n'avaient pas alors confisqué l'objet du délit, à savoir les bons de caisse, et n'avaient pas orienté l'accusé, comme il est d'usage, chez les agents de la douane pour le constat de l'infraction, si tel était le cas. “Cela prouve que cette plainte a été montée de toutes pièces, sinon comment accuser un Benchicou, alors que le principal habilité n'était pas de la partie ?” s'interroge-t-il. Dans le même ordre d'idées, l'avocat, en guise de preuve, exhibe une lettre adressée par le directeur général des douanes, principal concerné par cette affaire, au Chef du gouvernement et aux responsables du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) et dans laquelle il affirme que le directeur du Matin “n'a pas commis d'infraction”. De son côté, Me Méziane, documents à l'appui, qu'il n'hésite pas à montrer à l'assistance, axe son intervention sur le fait que Benchicou avait été auditionné le 27 août par le juge d'instruction du tribunal d'El-Harrach à 9 heures sur une soi-disant plainte du ministère des Finances alors que celle-ci n'a été enregistrée par les services compétents qu'aux environs de 15 heures le même jour. “Je suis innocent” Après ces interventions, Benchicou est appelé au prétoire : “Pourquoi avez-vous fait appel”, interroge le juge. Réponse de Benchicou : “Je suis innocent et quand la police m'a convoqué, j'ignorais l'objet de la convocation”. “Je ne savais même pas que c'était à propos des bons de caisse du moment qu'on ne me l'avait pas signifié le jour de mon retour de France”. À la remarque du juge qu'il s'agissait d'un transfert illégal de fonds, Benchicou répond “qu'il s'agit de bons de caisse en monnaie locale qui n'ont de valeur qu'au niveau local. Et s'ils constituaient une infraction, autant interdire alors le port des chèques”. Avant de céder sa place à la partie civile, Benchicou réaffirme qu'il s'agit “d'un procès politique, instruit par des gens qui ont juré de me faire payer mes écrits”. “Je suis un citoyen algérien qui exprime ses idées. J'ai 52 ans et je n'ai jamais été inculpé pour un quelconque délit”, dit-il. La représentante de la partie civile, à savoir le ministère des Finances, de son côté, en se référant à la loi régissant le transfert des capitaux, se contentera de plaider qu'il “s'agissait d'une infraction”. Embourbé dans des explications vagues, en se référant à des textes de loi, le procureur de la République, a essuyé d'un revers de main les vices de procédure évoqués par les avocats de la défense. C'est alors que le juge suspend la séance qui ne reprendra qu'une demi-heure plus tard. Il est 14 heures, le procès reprend. Le représentant judiciaire du Trésor est appelé au prétoire. Sans trop s'attarder, il invoque les mêmes arguments que le ministère des Finances. Et c'est au tour du procureur général de prendre la parole. Il ne va pas avec le dos de la cuillère : “3 ans de prison ferme et une amende équivalant au double du montant des bons de caisse”, requiert-il. À titre de rappel, lors du premier procès, le procureur avait requis la peine de 5 ans de prison ferme et une amende d'un même montant. Dans leurs plaidoiries, les avocats de la défense ont résumé “qu'aucun citoyen algérien depuis la création de la justice algérienne n'a été jugé pour un tel délit et qu'aucun texte juridique ne fait référence à ces bons de caisse”. “Même les officiers de la PAF ignoraient que ces bons pouvaient constituer un délit”, a rappelé Me Bergueul. À l'unanimité, ils ont demandé la relaxe pour leur client. “Au nom de la justice, de la démocratie et de la liberté”, ont-ils dit. Il est 17 heures, les magistrats se retirent pour délibérer. Dans la salle des pas perdus, les spéculations allaient bon train. Allait-il être libéré ? Allait-il bénéficier d'un sursis ? L'inquiétude se lisait sur beaucoup de visages. Après une heure, le verdict tombe tel un couperet : deux ans de prison ferme pour Mohamed Benchicou. Beaucoup de ses proches ont fondu en larmes alors que les présents accusaient le coup comme un recul de l'Algérie en matière des acquis démocratiques. “C'est injuste”, criait à tue-tête une femme en plein boulevard sous l'œil perplexe des policiers et des passants. Vers un pourvoi en cassation ? Interrogé à l'issue du procès, Me Bergueul n'a pas exclu l'éventualité d'un pourvoi en cassation à la Cour suprême. “Le pourvoi s'impose pour que la Cour suprême dise le droit”, a t-il estimé. “Tout dépend de l'intéressé”, a expliqué pour sa part Me Brahimi non sans faire observer au passage que “la nuit porte conseil”. Manière “d'accuser le coup” et d'envisager les suites à donner dans la sérénité. M. B. / K. K.