Le procès en appel qui s'est tenu hier à la cour d'Alger a, contre toute attente, confirmé le premier verdict tombé tel un couperet le 14 juin dernier au tribunal d'El Harrach. Au terme d'une audience qui a duré près de six heures, le collectif de la défense s'est pourtant échiné, textes de loi et documents à l'appui, à démontrer qu'il n'y a « aucune infraction ni délit ». Mais cela n'a pas influencé la décision du juge. Mohamed Benchicou a ainsi écopé de deux ans de prison ferme. L'amende, qui était de 20 millions de dinars, a été revue à la baisse. C'est le choc. Retour sur le procès. A la fin des plaidoiries du collectif de la défense et du réquisitoire de la partie civile, le juge a demandé à Mohamed Benchicou, assis au banc des accusés, s'il a un dernier mot à dire avant la levée de l'audience pour délibérations. Benchicou se lève, mine défaite, abattu, et lâche à « petite voix » : « Je suis innocent et victime d'une cabale judiciaire. Maintenant, je suis entre vos mains. » C'est le dernier mot d'un condamné. Le directeur du Matin ne s'attendait sûrement pas à un tel verdict vu les plaidoiries durant lesquelles maîtres Brahimi, Benarbia, Meziane, Zaïdi et Hanoune ont attesté la nullité de l'affaire. D'attaque, la défense a constaté un vice de procédure. « Le ministère des Finances n'a pas suivi la procédure requise pour ce genre d'affaire. Il devait obligatoirement passer par une transaction de réconciliation. Et ce n'est que trois mois après qu'il devra faire objet de poursuite. Or, cela n'a pas été respecté », soutient maître Brahimi. Il ne s'arrête pas là. Il continue : « Le procès-verbal est plein d'anomalies. D'abord, il n'est pas précisé les noms de ceux qui l'ont établi. Ensuite, la nature du délit n'a pas été identifiée. » Le comble, ajoutera-t-il, c'est que le nom de l'accusé n'est pas mentionné dans le PV. Il est seulement souligné que celui-ci est connu au niveau de la police. Maître Brahimi démontre également que le PV de constatation n'a pas été établi le jour même de l'interpellation de Benchicou à l'aéroport d'Alger, c'est-à-dire le 23 août 2003. Mais il a été fait trois jours plus tard. En outre, maître Brahimi relève dans le PV une contradiction entre la copie en arabe et celle en français. « La première parlait du chef de la section des renseignements généraux. En revanche, la seconde, celle en français, précisait que ce sont les officiers de la PAF qui ont établi le PV », relève-t-il. Dans la première copie, lisait-il, les agents de la PAF disaient qu'ils avaient restitué les treize bons de caisse après les avoir photocopiés. Précision qui ne figurait pas dans la seconde copie. « Je prends en considération seulement la copie en arabe », dit le juge. Maître Brahimi recommence sur un autre angle. « Le premier concerné par cette affaire, le directeur général du corps de la Douane, a refusé de porter plainte en considérant qu'il n'y a pas d'infraction. Il l'a bien expliqué dans une lettre adressée au chef du gouvernement et au responsable du DRS. Sur quelle base le ministère des Finances s'est constitué en tant que partie civile, sachant qu'il n'est pas habilité du fait de son pouvoir répressif ? », s'est -il demandé avant de répondre : « Aucune. » Maître Benarbia lui emboîte le pas : « Le verdict prononcé par le tribunal d'El Harrach est fondé sur l'imbrication des témoignages des agents de la police, ce qui est inconcevable. » Pour la partie civile, « le délit est basé sur le PV de la police judiciaire ». Vers 15h, le juge appelle Benchicou à la barre. Le pas lent, il s'en approche. « Mohamed Boualem Benchicou, vous êtes condamné à deux ans de prison ferme et à une amende de 20 millions de dinars et vous avez fait appel. Pourquoi ? », lui demande le magistrat. « Je suis innocent. Mon procès est politique. C'est Zerhouni qui est derrière, car il a jugé de me faire payer mes écrits. Il l'a déclaré à la presse », rétorque Benchicou. « Vous savez que les bons de caisse constituent une valeur monétaire », fait remarquer le juge. « Oui. » « Vous les avez fait rentrer de l'étranger ou vous les aviez avec vous lorsque vous étiez parti en France ? », ajoutera le juge. « Je les ai toujours sur moi. J'ai voyagé plusieurs fois avec ces bons de caisse. Et, à aucun moment, on ne m'a interpellé », répond Benchicou. « Savez-vous que voyager avec des bons de caisse constitue une infraction ? » « Non, comment voulez-vous que je le sache, alors que les agents de la PAF qui m'ont interpellé ne le savaient pas ? », réplique-t-il d'un air crédule. Le magistrat a demandé également à Benchicou à qui appartenaient ces « bons de caisse anonymes ». Le concerné dira que cinq sont à lui et le reste à son épouse et à son beau-frère. Dans la foulée, maître Benarbia, documents à l'appui, démontre qu'il n'y a pas de loi qui interdit de transporter ou de voyager avec des bons de caisse d'autant plus que ces bons constituent une valeur en dinars qui se trouve dans des banques en Algérie. Il dément par là même la partie civile qui disait que ces bons anonymes sont négociables. « Ces bons représentent la somme déposée plus les intérêts », a-t-il soutenu. Sans tarder, maître Meziane enchaîne : « Le procureur dit que c'est une affaire normale. Je dirai qu'elle est spécifique. Il s'agit de la première affaire de bons de caisse depuis l'indépendance. » Il poursuit : « Ce qui est étonnant, c'est que la justice a condamné à un an de prison ferme les trois cadres de Khalifa ayant tenté de transférer deux millions d'euros en liquide, alors que Benchicou écope de deux ans pour des bons de caisse dont la valeur ne dépasse pas les 100 000 euros. » Aussi, le collectif a plaidé la relaxe de son mandant tandis que le procureur de la République avait requis trois ans de prison. « Vous devez Monsieur le président appliquer la loi et innocenter Benchicou », selon maître Benarbia en guise de conclusion.