L'ancien membre du Haut comité d'Etat (HCE) et ministre de la Défense, qui se trouve actuellement en France pour la sortie de son dernier livre Journal de guerre, a accordé un entretien à Radio France internationale, diffusé mardi et mercredi. Nous reproduisons l'essentiel des questions abordées. RFI : Khaled Nezzar, comme vous le savez, votre nom est souvent associé à la violente répression des années 1990 contre les islamistes. Ce livre est-il une façon de montrer qu'il y a un autre général Nezzar ? Khaled Nezzar : Absolument pas. En 1992, j'ai été confronté au phénomène de l'islamisme. Le président Chadli a démissionné, l'armée a réagi, sans quoi le pays allait sombrer. Le seul moyen était d'arrêter ce processus de la mort. C'est vous, en tant que ministre de la Défense, qui aviez arrêté le processus électoral. Douze ans après, vous auriez refait la même chose après tout le sang versé, on parle de 200 000 morts ? Ce chiffre est inexact, il faut descendre d'un tiers. Mais cela fait quand même beaucoup de morts. Aujourd'hui dans la même situation ? J'aurais fait la même chose, sans aucun état d'âme parce que sans cela, ça aurait été la régression totale du pays. Six mois plus tard, le président (du HCE) Mohamed Boudiaf est assassiné. Qui en a été l'auteur : un islamiste infiltré dans l'armée ou les faucons de votre armée ? Je ne sais pas qui on pourrait appeler “faucons” mais alors, il n'y aurait pas plus faucon que moi (rires)… Donc vous assumez le rôle de “faucon” que vous avez tenu en 1992 ? Non, pas le rôle de “faucon”, mon rôle de militaire responsable. Qui a assassiné Boudiaf ? Un militaire qui est toujours en prison. Manipulé par qui ? Jusqu'à présent, il ne parle pas. Pour moi, à 99%, il a été manipulé par les islamistes. Tôt ou tard, il parlera. Pourquoi n'avez-vous pas pris le pouvoir après la mort de Boudiaf ? Parce que justement, il a été tué par un militaire. Cela aurait pu vouloir dire : “Les militaires l'ont tué pour prendre le pouvoir”. J'aurais pratiquement légitimé cette idée. C'est pourquoi, on a laissé Ali Kafi prendre la tête du HCE et jouer pleinement son rôle, au même titre que les quatre autres membres. Vous avez démarré votre carrière militaire en France, à l'Ecole de guerre, avant de déserter, en 1958, sous le grade de sous-lieutenant. Pourquoi ? Ce n'était pas à l'Ecole de guerre mais à l'Ecole des “officiers de base”, j'en suis sorti aspirant en partant pour rejoindre mes frères. Je suis issu d'une famille de révolutionnaires et de maquisards, je n'avais d'autre choix que de rejoindre mes frères. Je ne pouvais pas les combattre (…). Entre ma génération et celle qui a déclenché la Révolution, il ne se pose pas une question de légitimité comme vous dites. Cela ne va pas au-delà de la jalousie. Nous étions venus de l'armée française comme d'autres sont venus des écoles du Moyen-Orient, mais ceux qui nous ont confié des responsabilités étaient des maquisards. À la fin de la Guerre d'Algérie, il y a eu un épisode terrible : le massacre de dizaines de milliers de harkis par l'armée algérienne. Jusqu'à aujourd'hui, vous ne regrettez pas ce sang versé ? On a dit qu'on avait tué 150 000 harkis alors que le total des effectifs était de 70 000 ! Bon. Moi, en tant que témoin, je peux dire qu'il a eu certains dépassements… Mais le président Bouteflika, lors d'une récente visite en France, a tenu des propos très durs à l'encontre des harkis, n'est-il pas temps de tourner la page ? Il n'y a pas d'autres choix. Cinquante ans après, il y a des vérités à dire, tant du côté algérien que du côté français, disons-les et tirons un trait. En 1999, vous aviez traité Bouteflika de “canasson”. Pensez-vous que la génération Boumediene dont il fait partie doit passer la main ? Il serait peut-être temps de s'y préparer. Bouteflika, qui était proche de Boumediene à une époque, sait comment ce dernier a passé le relais, dans des conditions difficiles et à quelqu'un qui n'en avait pas la capacité. Peut-être va-t-il lui-même commencer à préparer cela ? Bouteflika prépare-t-il aussi mal sa succession que Boumediene ? Dans un sens, on peut le redouter. Mais je ne pense pas qu'il n'ait pas pensé à cela. Ne craignez-vous pas, avec ce score de 85% — obtenu à l'élection du 8 avril—, le retour du parti unique ? Je dis qu'il a obtenu la majorité des suffrages (entre 50% et 60%), mais 85% c'est la république bananière. Comment cela a-t-il pu se passer ? Je n'en sais rien. Reste qu'il a eu la majorité parce que, étant fatigués, les gens ont adhéré à son programme de “paix et de réconciliation nationale”. Après le limogeage du général Mohamed Lamari, n'a-t-il pas des pouvoirs que jamais un président algérien n'a eu depuis Boumediene ? Lamari n'a pas été limogé, il est parti de son plein gré. Pour la suite, il faut attendre pour juger. Au moment où le conflit du Sahara durcit les relations entre l'Algérie et le Maroc, voyez-vous l'esquisse d'une solution ? Ni indépendance du Sahara ni intégration au Maroc. Mais, une voie qui puisse arranger tous les pays du Maghreb et permettre la constitution de l'espace maghrébin. Une autonomie ? Cela dépend de quelle autonomie. Peut-être appartient-il aux sages de la région de la trouver. Cela dit, quand le Maroc change complètement de points de vue, nous instaure un visa pour le supprimer sans avertir les Algériens, la confiance en prend un coup. Or, il faut la restaurer pour régler nos différends, notamment à la frontière. Nous avons deux millions d'Algériens qui vont dépenser quatre milliards de dollars au Maroc et aucun Marocain ne vient chez nous. Le Maghreb ne peut se construire dans un sens unique. Et, je suis d'accord, il n'y aura pas d'UMA sans le règlement de la question du Sahara. On peut imaginer cette autonomie sous souveraineté marocaine ? Je ne crois pas à cette solution. Sous quelle souveraineté alors ? Celle des pays maghrébins par exemple. RFI