“L'amnistie est moins l'effet d'une quelconque généreuse naïveté politique que de la nécessaire issue de circonstances politiques précises. Elle est une fiction mobilisée chaque fois que les nations vacillent dans leur unité.” Tel est le point de vue de Abderrahmane Moussaoui, exprimé sur les colonnes de Naqd, une revue nationale d'études et de critique sociale. L'anthropologue algérien affirme que l'Etat peut octroyer l'amnistie, mais ne peut décider du pardon à la place des victimes. “Le pardon a pour vertu de transformer le tort subi en une dette épongée. Il ne la remboursera pas, et perd le droit de la contracter de nouveau”, précise-t-il. L'universitaire classe d'emblée les traumatismes liés à la dernière décennie sanglante dans la case “violence politique”. Selon lui, les actions terroristes menées sont souvent destinées “plutôt aux survivants qu'aux victimes qui […] n'en sont que le support technique”. Les effets du viol sont, à ses yeux, “plus ravageurs”. “Le viol, écrit-il, est un meurtre symbolisé, destiné à détruire la personne qui le subit ; dans le même temps, il atteint le groupe auquel celle-ci appartient.” Abderrahmane Moussaoui signe et persiste : “Au-delà des dégâts matériels visibles et des pertes colossales en vies humaines, la violence qui sévit en Algérie a laissé des séquelles indélébiles.” Mais il relève néanmoins que la douleur reste “une construction sociale subjectivisée” et que la souffrance est “éminemment subjective”, voire “historiquement, culturellement et socialement construite”. À partir de là, déclare l'anthropologue, “le pardon et l'oubli sont souvent évoqués comme le remède idoine”, pour en guérir. Moussaoui s'en va expliciter chacune des deux notions. L'amnistie, dit-il, est une “décision volontaire” de ne retenir aucun grief contre autrui, afin de “briser le cycle de la revanche ou de chasser définitivement le spectre de son éventualité”. En termes plus clairs, il n'est pas question d'oubli, “mais au contraire d'une mémoire qui renonce à tenir compte”. En revanche, le pardon suppose, selon lui, “une reconnaissance du tort de la part du coupable” et c'est, donc, à la victime, et à elle seule, de pardonner. L'anthropologue algérien, s'appuyant sur la sagesse grecque, reconnaît pourtant que sans réconciliation et sans oubli, pris au sens d'amnistie, “il n'y a plus de cité possible”. Il fait remarquer aussi que l'expérience de l'Algérie en matière de réconciliation a besoin de “structures mémorisables”, c'est-à-dire de “catégories organisatrices des représentations identitaires collectives”. H. A.