Les porteurs de projets d'universités privées espèrent tirer vers le haut le niveau global de l'enseignement supérieur à la faveur de la concurrence qui s'installera. En dépit de l'existence d'un cadre légal, l'université privée peine à voir le jour. En effet, l'Etat a légiféré sur les conditions d'exercice des universités privées en 1999. Mais ce n'est qu'en 2014 que le ministre de l'Enseignement supérieur promet de constituer une commission chargée d'étudier et de délivrer des agréments aux instituts de formation privés. Le retard accusé dans la mise en application de la loi fait de l'Algérie une exception. Un pays qui va à contre-courant de la tendance mondiale, celle de la densification et de la promotion du secteur privé de l'enseignement supérieur. Répondant à des objectifs économiques, l'enseignement privé ne peut survivre sans satisfaire sa clientèle. Ce qui augmente le niveau d'exigence et, par effet de concurrence, élève le niveau général de la qualité de l'enseignement. L'absence de cette rivalité entre établissement est, sans doute, une des raisons pour lesquelles aucune université algérienne ne figure, en bonne place, dans aucun classement international. Certains pays, comme le Japon, la Corée du Sud, les Philippines ou encore l'Indonésie, dont les meilleures universités sont en tête de ces classements, ont atteint le taux de 70% d'étudiants scolarisés dans le privé. Beaucoup plus près de nous, la Tunisie et le Maroc ont respectivement formé dans l'enseignement supérieur privé 17 000 et 35 648 étudiants, en 2013. à travers le développement de ce secteur, les autorités en charge de l'enseignement supérieur dans ces deux pays visent, d'ailleurs, à répondre à la demande croissante émanant aussi bien des pays d'Afrique et que d'Algérie. Mais le retard accusé par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS) dans la mise en œuvre de la loi, n'a pas empêché l'émergence d'un secteur "informel" de formation supérieure qui compte aussi bien des instituts privés que publics. Pour la plupart sous tutelle du ministère de la Formation professionnelle, ces instituts forment et délivrent des diplômes, pour certains, signés par de prestigieuses universités étrangères, avec lesquelles des partenariats ont été conclus. Chaque année, les quelques centaines de diplômés universitaires, non reconnus par l'Etat, sont néanmoins recrutés et exercent leurs compétences auprès d'entrepreneurs privés, algériens ou étrangers établis en Algérie ou, carrément, à l'étranger. Parmi ces nombreux instituts, certains ont émergé du lot et se sont bâti une solide réputation grâce au succès des formations qu'ils dispensent et à la réussite professionnelle de leurs étudiants. Leurs dossiers d'accréditation sont fin prêts et attendent d'être étudiés par la commission du MESRS chargée d'attribuer l'agrément en contrepartie du respect d'un cahier des charges. Infrastructures vs qualité de l'enseignement Les dirigeants de ces instituts, qui souhaitent la mise en œuvre de la loi, se disent confiants et optimistes. Confiants, car leurs établissements, disent-ils, répondent largement, et parfois même dépassent, les exigences imposées par le cahier des charges. Et optimistes, parce qu'ils estiment que le retard accusé procure finalement un avantage à l'Algérie : il lui suffira de s'inspirer des expériences concluantes éprouvées sous d'autres latitudes. Pour le Dr Abdelhak Lamiri, P-DG de l'Insim et porte-parole d'un consortium de grandes écoles algériennes publiques et privées, "si l'on vise à créer un secteur d'excellence, il faut plus d'exigences sur la qualité et moins de critères sur les infrastructures". Le P-DG de l'Insim fait référence au cahier des charges qui est davantage explicite concernant les normes de surface et les exigences relatives à la construction que s'agissant des enseignements à dispenser. Le même constat est relevé par le Dr Brahim Benabdeslem, directeur de MDI-Business School. "C'est un cahier des charges très ordinaire. Les exigences matérielles ne me gênent pas mais les questions d'ordre pédagogique m'importent davantage", commente-t-il. "Notre mission est de former l'élite et de répondre, en même temps que les université et instituts publics, aux besoins de l'économie nationale en termes de compétences techniques et managériales. La question centrale est celle du projet pédagogique. La question de l'infrastructure et des moyens didactiques et pédagogiques est importante pour réaliser cette mission, mais il ne faut pas que ce soit le point focal de l'administration", ajoute le Dr Benabdeslem. Pour preuve, il rappelle l'existence, à travers le monde, d'universités virtuelles dont les infrastructures se résument à des plateformes Internet. "Les infrastructures doivent être légères pour permettre au maximum de professionnels tels que les retraités de l'enseignement supérieur de créer des instituts supérieurs qui se développeront par la suite. Si on commence déjà par des exigences qui rendent les universités très coûteuses, on aura beaucoup de non professionnels dans le secteur, des gens qui ont de l'argent qu'ils vont investir dans les infrastructures, sans que cela améliore grandement l'efficacité et la qualité de l'enseignement", reprend le Dr Lamiri. Il met en garde contre une déprofessionnalisation du secteur de l'enseignement supérieur privé. Selon lui, l'Etat ne doit pas être trop exigeant en matière d'infrastructures car cela favorisera les investisseurs au détriment des professionnels de l'enseignement supérieur. Effet d'entraînement Pour ces professionnels, l'émergence des universités privées répond au besoin d'améliorer la qualité de l'enseignement. "Si les universités privées se sont développées à travers le monde, c'est aussi pour impacter le secteur public et l'amener à s'améliorer. Cela provoque un effet d'entrainement positif. C'est le cas dans d'autres pays tels que l'Inde ou le Brésil", argumente le Dr Benabdeslem. Un avis partagé par Mohammed Zerourou, directeur général de l'Institut de management algéro-américain (IMAA), créé en partenariat avec American university of leadership (AUL) de Floride. "Créer des universités privées permet d'abord de désengorger l'université publique mais, surtout, implique un important transfert de savoir et de nombreux autres avantages tels que l'obtention d'un diplôme cosigné, la formation aux standards internationaux ou encore l'apprentissage des langues étrangères", défend-il. A l'unisson, ils plaident pour encourager les accords de partenariat avec des universités étrangères de haut rang. "Je suis fier d'être le produit de l'université publique algérienne et je suis convaincu du rôle central que doivent jouer l'université publique et les instituts privés dans notre développement économique", affirme le Dr Brahim Benabdeslem. Mais alors pourquoi l'université algérienne ne serait-elle pas fière, à son tour, de voir ses anciens étudiants s'investir dans l'enseignement supérieur privé ? Graduellement admis dans les autres branches, le secteur privé demeure mal aimé dans l'enseignement. On lui colle une étiquette d'élitisme et on pense qu'il est réservé aux classes les plus aisées de la société. Une idée reçue contre laquelle s'insurge le directeur de MDI. Le Dr Benabdeslem assure que l'enseignement supérieur privé ne coûte pas nécessairement plus cher que celui dispensé dans les universités publiques. Ce chiffre n'a pas été communiqué par le MESRS, mais selon l'ex-ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, qui intervenait au Forum de Liberté il y a quelques semaines, "un étudiant coûte annuellement à l'état 500 000 DA, dont 200 000 DA de prise en charge non pédagogique". "Doit-on aller vers un système de bourse et verser les 200 000 DA à des étudiants ciblés plutôt qu'à tout le monde ?", s'interrogeait-il. De la réponse à cette question dépendra la politique future du gouvernement : aller vers un enseignement supérieur pourvoyeur des élites de demain ou s'installer durablement dans l'enseignement gratuit pour tous, avec les résultats que l'on connaît. A. H. Lire la suite