Ils étaient nombreux à prendre part, hier matin, à l'hommage organisé à Beni Yenni à la mémoire de Mustapha Ourrad, le brillant correcteur tué dans la fusillade perpétrée, le 7 janvier, par des islamistes armés contre le journal satirique français, Charlie Hebdo. La placette qui fait face à la demeure de la grande famille des Ourrad, au village Aït Larba, situé à quelques encablures du chef-lieu de Beni Yenni, s'est révélée exiguë pour contenir toutes les personnes venues se recueillir à la mémoire du Baudelaire kabyle. Alors que la veille, les habitants du village ont organisé une veillée religieuse suivie de la prière de l'absent, la matinée d'hier a été consacrée à un recueillement dans la maison qui l'a vu naître, il y a soixante ans, puis à une séance témoignage marquée par de grandes émotions. Les témoignages ont commencé par la lecture de la biographie du défunt par son cousin Djaffar Ourrad qui a rappelé à l'assistance que très jeune déjà, Mustapha ne se séparait jamais d'un livre. Il était un fervent lecteur de Baudelaire, de Nietzche et de Gide, soulignait Djaffar tout en rappelant que bien qu'orphelin de mère à l'âge de 2 ans et de père à 7 ans, et qu'il ne lui restait que sa sœur Fetta et ses oncles qui l'ont pris sous leurs ailes, Mustapha était resté un brillant élève, ayant d'excellent résultats. Il obtient son bac à 17 ans et s'inscrit pour suivre des études en médecine, mais qu'il n'a pas achevées. En 1981, Mustapha, le fan de Brassens, de Moustaki, d'Aït Menguellet et d'El-Hasnaoui, quitte le pays pour s'installer à Paris où son goût prononcé pour la littérature a fini par faire de lui un correcteur chez Hachette et d'autres revues encore, telles que Viva, avant d'atterrir chez Charlie Hebdo où deux petits barbares des temps modernes ont scellé son destin en déversant sur lui et ses collègues autant de balles que de haine. Il n'y avait pas de personnalités particulières hier à Aït Larba, mais tous ses amis étaient là au village, venus d'un peu partout pour témoigner, très souvent la gorge nouée, de cette bonté et sensibilité incarnées par Mustapha. Senhadj Mohand Saïd, Ouidir Cherif, Marouf Youcef, Fernane Youcef, Ousmer Nacer étaient tous là pour livrer des bribes de souvenir de cet adolescent qu'ils revoient angélique, dans son costume gris et un livre toujours collé à sa main. "Subitement, il est parti, mais le départ était juste physique, il était sans douleur. Aujourd'hui, notre douleur est des plus profondes", dira Ouidir Cherif avant que l'imam lui succède au micro pour condamner, dans des propos très virulents, l'acte criminel commis par ceux qui n'ont aucun lien avec le Prophète ni avec la religion musulmane, et encore moins avec Dieu. S. L.