Annoncée pour lundi ou mardi, la présentation du nouveau gouvernement tunisien a eu lieu, à la surprise générale, vendredi après-midi. Habib Essid a rendu publique la liste des membres de ce gouvernement — le premier de la deuxième République — après en avoir réservé la primeur au président Béji Caïd Essebsi. Devant un parterre de journalistes, il a affirmé que "ce gouvernement est celui de tous les Tunisiens" et que chacun de ses membres est tenu d'exécuter le programme du gouvernement et non son programme personnel. Ce gouvernement est-il vraiment celui de tous les Tunisiens ? Sa composition trahit la déclaration du chef du gouvernement quand une simple lecture des biographies des nouveaux ministres montre qu'ils sont issus généralement des régions de Tunis, de Sfax ou du Sahel. Le programme, a dit Habib Essid, est une synthèse de ceux présentés par le parti vainqueur des législatives (Nidaa Tounes) et les autres partis ou représentants de la société civile qui avaient pris part aux consultations durant trois semaines. Ce gouvernement se compose de 24 ministres et 14 secrétaires d'état, dont neuf femmes. A la surprise générale, il ne comprend pas de politiciens connus. Au contraire, nombreux sont les ministres qui attestent d'une expérience consommée dans l'administration. Autre surprise de taille, l'absence de ministres issus du parti islamiste Ennahdha et, surtout, d'Afek Tounes, principal allié de Nidaa Tounes. Des divergences entre ce parti et le chef du gouvernement auraient surgi à la dernière minute pour qu'Afak Tounes ne soit pas représenté dans ce gouvernement. En revanche, l'Union patriotique libre (UPL) du richissime Slim Riahi y a glané trois portefeuilles. Pourtant, ce dernier avait, 48 heures plus tôt, suspendu sa participation aux consultations au moment où Afak Tounes était, selon les observateurs, partant avec trois ou quatre ministères. Une simple entrevue entre le président de la République et le président de l'UPL aurait tout changé en faveur de ce dernier qui n'avait pas lésiné sur les moyens pour soutenir Caïd Essebsi lors du 2e tour de la présidentielle. Finalement, seuls deux partis (Nidaa Tounes et l'UPL) y sont représentés avec une majorité d'indépendants. Pourtant, tous, en particulier le président de la République et son ancien parti, appelaient à la constitution d'un gouvernement consensuel où la plupart des partis politiques trouverait place. Cela explique relativement le mécontentement exprimé par ces partis. Afak Tounes critique la manière dont a été constitué le gouvernement, alors que le parti islamiste s'est réservé le droit d'étudier la question avant de se prononcer. Quant à la gauche, elle ne laisse pas place au doute et annonce qu'elle n'accordera pas sa confiance à ce gouvernement le jour où son chef viendra la quêter au Parlement. Au niveau de la structure, ce gouvernement se caractérise par la fusion de certains départements dans le but de compresser les dépenses publiques, alors que les portefeuilles des départements de souveraineté ont été confiés à des indépendants, si on excepte le ministère des Affaires étrangères. Celui-ci a été confié au secrétaire général de Nidaa Tounes, l'ancien syndicaliste Tayeb Baccouche, flanqué de trois secrétaires d'Etat. Cependant, sans y participer, le parti islamiste aurait gagné une manche. Son appel à la neutralité des ministères régaliens semble avoir été entendu. Sans doute, il en tire satisfaction, d'autant plus que son absence du gouvernement lui laisse les mains libres lors du vote de confiance à l'assemblée. Mieux que ça, il pourra cultiver à l'aise son jardin et faire son ménage intérieur pour bien se préparer aux prochaines élections régionales et municipales. En résumé, né par césarienne, le gouvernement de Habib Essid, qui n'a pas d'assises politiques solides, pourra-t-il résister aux assauts d'une opposition qui monte crescendo et qui trouverait soutien même d'une frange des députés de Nidaa Tounes, mécontents de la composition du gouvernement ? M. K.