Nous avions dans un texte récent paru dans la presse nationale tenté d'esquisser un état des lieux de l'université en Algérie traversée par les jeux incongrus de l'anomie et des occasions ratées. Le nouveau ministre qui avait brossé dans un entretien dans El Khabar un tableau sans complaisance de la situation de l'université semble armé d'excellentes intentions, mais aura-t-il les moyens nécessaires pour transformer des territoires aussi fermés. Nous essaierons de mettre en relief cette réalité en présentant sommairement une structure particulière, mais non singulière, la faculté des lettres de l'université de Annaba qui a, nous semble t-il, atteint un stade avancé de démission, il est vain de chercher une quelconque activité scientifique ou culturelle sérieuse. Une lecture du vécu de cette faculté pourrait permettre de mieux saisir la désagréable situation dans laquelle se trouvent englués étudiants et enseignants, prisonniers d'un fonctionnement bureaucratique et d'une vison de l'université caractérisée par une forte aphonie. Il est non moins symptomatique de cette dérive l'absence d'une bibliothèque universitaire, non prévue lors de la livraison de ce pôle, conçue à postériori, se caractérisant toujours par un déficit chronique. Ce fait renseigne sur la réalité de l'aspect scientifique et pédagogique dans une structure marquée par la marginalisation de toute activité culturelle, privilégiant les jeux opaques d'une administration, trop lourde et pléthorique, se caractérisant par une extrême rigidité, engendrant de graves malentendus. Ce qui favorise la démobilisation et la démission. Dans cette faculté constituée de départements de langues et de sciences sociales, composée de douze amphithéâtres, aphones et inappropriés, tragiquement non fonctionnels, empêchant toute possible communication, l'objectif à atteindre par l'administration semble être l'organisation des examens et la délivrance des diplômes. D'ailleurs, les comités pédagogiques qui devraient être les espaces centraux de l'université ne se réunissent qu'à la veille des examens, discutant des questions techniques d'organisation de ces joutes, occultant état des lieux, évaluation et bilans critiques. Les salles et les amphis, souvent marqués par les jeux de la saleté et la présence de flaques d'eau témoignent du peu d'intérêt accordé à la saine gestion de ces lieux. Ce qui pose sérieusement la question de l'utilité de ces endroits, notamment les amphithéâtres, dont l'acoustique est défaillante et donne à comprendre les objectifs ambigus accordant peu d'importance à la relation pédagogique sacrifiée sur l'autel d'illusions égarées dans un essaim de paroles où l'absence le dispute à un déficit en matériels pédagogiques. Il serait malaisé de chercher de vraies salles de travail pour étudiants ou enseignants ou de trouver internet, ouvrages, encore moins des micro-ordinateurs, des imprimantes ou des photocopieuses dans ce capharnaüm où se mêlent bureaux interminables d'agents et vastes endroits de « travail » de responsables de la faculté et des départements occupant une partie importante du site. L'administration de la faculté, bien équipée et dotée d'une connexion internet, occupe à elle seule six étages, alors que les enseignants ne disposent ni de bureaux ni de salles sérieuses de travail. Ce qui les pousse à investir les murets et les bancs prenant la place des étudiants qui devraient faire du coude à coude pour ne pas être exclus de leur antre privilégié. Ne serait-il pas temps d'inverser la tendance en privilégiant la dimension pédagogique et scientifique en transformant les services administratifs en une machine au service des étudiants et des enseignants ? La pédagogie est le dernier des soucis de responsables qui semblent souvent ignorer les textes réglementaires, refusant ostensiblement de répondre au courrier des enseignants et des étudiants. L'absence de livres, de salles de travail pourvues d'équipements informatiques (micro-ordinateurs, imprimantes, photocopieuses et différents consommables), de salles de récréation (restaurant pour enseignants ou caféteria) et de revues et de la connexion internet généralisée aux enseignants et aux étudiants altère sérieusement la relation pédagogique. Les doctorants souffrent de l'absence dramatique de l'actualisation du fonds documentaire et de l'absence des ouvrages nécessaires à l'élaboration de leurs travaux. Ce qui altère sérieusement la communication scientifique. L'ouverture d'une vraie bibliothèque, avec des fonds renouvelés dont les horaires devraient être revus (8h-18h) est d'une nécessité absolue. Chaque enseignant confectionne, jusqu'à présent, son propre programme, provoquant d'indescriptibles chevauchements, engendrant de graves malentendus et desservant la fonction pédagogique. Une première dans le monde : les enseignants assurant le même module élaborent des programmes différents et organisent des examens distincts, les réunions des « équipes pédagogiques » relèvent du mythe et de l'absence. Cette réalité provoque et justifie l'absentéisme et révèle une sorte d'injustice à l'égard des étudiants. Jusqu'à présent, des cours ne sont pas encore assurés. Les emplois du temps restent approximatifs et sujets à réaménagement. Le nombre d'heures enseignées ne correspond pas, dans certains cas, au volume officiel. On a parfois recours à des séances de rattrapage dépassant largement les quatre heures. Ce qui altère la relation didactique. Les conditions actuelles de fonctionnement posent sérieusement la question des objectifs attendus de la formation de nos étudiants. Tout le monde sait que les amphis existants ne sont pas fonctionnels, mais on fait semblant de faire cours tout en étant convaincu de l'inefficience des outils acoustiques. N'est-il pas temps de procéder à leur fermeture en attendant leur mise en condition acoustique ? Les étudiants et les enseignants se plaignent régulièrement de cette misérable situation, mais les responsables semblent sourds à ces doléances qui posent un sérieux problème de gestion. La faculté est dominée par une inflation de chefs et de sous-chefs à tel point qu'on se croirait dans un service administratif, pas une structure scientifique. Une fois chef, l'enseignant sacrifie les espaces scientifiques tout en bénéficiant d'une bourse à l'étranger, d'une forte indemnité et une réduction de cours à assurer qui n'empêchent nullement certains à oublier ces séances et les surveillances aux examens, souvent peu égalitaires. Le doyen dont la gestion a été vigoureusement dénoncée dans la presse, est, ces derniers temps, aux abonnés absents. Il fait parfois de furtives apparitions. Il n'a pu, d'ailleurs, organisé son examen. Les lettres anonymes pullulent, posant sérieusement le problème de la communication et mettant en avant l'opacité de la gestion. Les espaces occupés par les équipes administratives des départements et de la faculté dépasseraient peut-être le nombre des salles disponibles. On exclut les enseignants qui sont, d'ailleurs sans bureaux, et les étudiants pour gonfler les espaces administratifs disposant d'un personnel pléthorique. Les bureaux des chefs de départements, des vice-doyens et du doyen laissent penser qu'on se trouve en dehors d'une structure scientifique. Aussi, ne serait-il pas temps d'accorder plus de place aux enseignants et de se mettre en tête que beaucoup d'entre eux voudraient trouver à l'université de bonnes conditions de travail leur permettant de faire leurs recherches. L'organisation actuelle engendre déjà des conflits latents et un profond malaise. Les services administratifs sont trop peu efficaces, occultant la spécificité de la gestion d'une institution universitaire. La réduction du personnel, la limitation de l'espace occupé par les responsables et la redéfinition des objectifs pourraient permettre une refondation d'une faculté appelée à limiter l'exercice des chefs de départements et des doyens à un seul mandat de trois ans, comme stipulé dans les textes réglementaires. Le mode électif est la seule façon d'en finir avec le carriérisme ambiant et l'illusion d'être au dessus des autres, rompant avec le statut d'enseignant-chercheur. Il faut en finir avec la distribution des « bourses » aux différents « chefs », ce qui est en contradiction avec l'esprit de la recherche scientifique. Le système des bourses actuel est à revoir. Est-il sérieux que les enseignants de rang magistral bénéficient de bourses qualifiées péjorativement de « recyclage » ou de « perfectionnement », alors qu'ils devraient être invités ès-qualités par des structures universitaires nationales ou étrangères? Un professeur et un maître de conférences sont censés produire des travaux publiés (articles et ouvrages) dans des revues de haut niveau ou dans de prestigieuses maisons d'édition. On ne peut parler sérieusement de recherche dans cette faculté où les projets existants et les laboratoires (ceux-ci se limitent souvent à exiger de leurs membres de virtuels bilans annuels élaborés très souvent en dehors de cette structure) ne sont pas réellement opérationnels. Les membres des équipes animant des projets de recherche ne disposent d'aucun équipement et se limitent souvent à remplir les formulaires et les fiches administratives. La plupart des laboratoires sont aux abonnés absents, sauf quand il s'agit de distribuer , dans des conditions parfois discutables, des micro-ordinateurs, des consommables et des billets d'avion, cherchant par tous les moyens à épuiser un budget, même pour acheter des gadgets parfois peu nécessaires à la recherche. La relation avec les fournisseurs devrait-être sérieusement redéfinie pour éviter certains dérapages. Il est triste de constater qu'aucune activité culturelle n'est organisée et qu'on ne fait rien dans ce sens. L'absence de productions scientifiques et de séminaires doctoraux se fait tragiquement sentir, pénalisant ainsi chercheurs et apprentis-chercheurs dont la relation devrait-être dynamique. Il serait peut-être utile de priver du bénéfice d'une bourse les professeurs ou les maîtres de conférences qui ne produisent pas d'ouvrages ou des articles dans des maisons d'édition et des revues de réputation internationale. Comme il serait temps de supprimer l'article accompagnant la soutenance de thèse de doctorat qui n'est nullement opératoire. Nos efforts pour organiser des rencontres culturelles et scientifiques sont restés vains. Aucun débat scientifique ou culturel n'est possible dans un contexte où l'administratif prend le dessus sur l'aspect scientifique, malmené et vidé de son sens. La revue de l'université, « Ettawasol », une fois radicalement refondée, et les articles devraient obéir à des règles de rigueur, de cohérence et d'actualité (au niveau des connaissances et des savoirs), évitant la reproduction de thèses déjà établies. Une suspension temporaire de la revue est souhaitable. La faculté gère un bulletin onéreux, intié pompeusement, En nour, d'ailleurs non lu, mal écrit et sans force, consommant de l'argent sans aucune contrepartie symbolique. Les colloques, quand ils sont organisés, fonctionnent comme des machines à distribuer cartables et attestations de participation. On parle ces derniers temps de l'organisation d'une rencontre (écritures d'exils) dont la préparation ne durerait que trois mois, ce qui est contraire à toute logique. Les responsables qui usant, de pratiques peu sérieuses, convoquent parfois des professeurs leur demandant d'élaborer un argumentaire du colloque dont l'intitulé est préalablement choisi. Etrange ! Trop peu opératoire. Il est nécessaire d'inviter des intervenants étrangers de haute tenue, européens, asiatiques ou américains, ayant un CV conséquent, à effectuer des séjours dans nos facultés. Cette réalité permet de poser la question de la présence de véritables instances scientifiques (CSD, CSF) au niveau des départements et de la faculté qui, au lieu, de fonctionner comme des moulins à paroles (plus de 8heures de réunion) qui pourraient se transformer en véritables espaces où on discuterait les vraies préoccupations de la faculté. La question de la qualification pose sérieusement problème, des enseignants assurent des cours ou dirigent des thèses en dehors de leurs spécialités d'origine. Un linguiste fait de la didactique et un didacticien se noie dans la littérature. Confusion des genres et discrédit du savoir. Les questions éthiques se posent avec une extraordinaire acuité. Le problème du plagiat, par exemple, est toujours d'actualité sans que les structures dites scientifiques ou les instances administratives ne se mobilisent pour enrayer ce fléau en sanctionnant sévèrement les auteurs de délits de reproduction malhonnête de textes et de travaux d'autrui. Ces dernières années la faculté, comme d'ailleurs les autres structures composant l'université, ont été otages de pratiques trop peu élégantes et normales effectuées par une structure extérieure, le CPA-Banque exigeant des éventuels boursiers une fiche d'apurement, un engagement signé et même, ce qui est fortement grave, dans certains cas, le rapport-bilan évaluant les résultats scientifiques, alors que tout ce « travail » aurait dû être du ressort de l'administration de l'université. Ce qui est étrange, c'est l'absence de réaction des instances syndicales qui devraient saisir la portée de ce type d'actes fragilisant dangereusement l'enceinte universitaire désormais marquée du sceau de la violation de son territoire. Existe-t-il un syndicat enseignant ? J'en doute. Une réforme sérieuse de l'université respectant les règles de la rigueur scientifique et du travail pédagogique est à même de contrebalancer les jeux de rente actuels. A.C * Dernier ouvrage paru :Le théâtre en Algérie, Jeux enjeux et pratiques, Editions universitaires européennes, Editions universitaires européennes, Sarrebruck, Allemagne, 2015 Professeur-Université de Annaba, Professeur invité dans plusieurs universités européennes, chercheur associé, Université Rennes 2, ancien chercheur associé IRMC, IFEAD (rattachés au CNRS, Paris)