Dès le début de l'audience, le magistrat en charge de l'affaire et le représentant du ministère public ont affiché leur détermination à tenir le procès, en dépit de la demande de la défense de le reporter à une date ultérieure. Etonnant, il a fallu une journée entière, ponctuée de nombreuses suspensions d'audiences, pour constituer le tribunal criminel. La défection de 39 témoins a obligé finalement le juge à céder aux pressions du collectif d'avocats et à ajourner le procès qui aura lieu dans les faits le temps d'un jour, sans vraiment amorcer un déroulement effectif. Coup de théâtre, hier, au tribunal criminel près la cour d'Alger. Le procureur a annoncé la constitution du Trésor public en tant que partie civile. C'est sur convocation du parquet, lui-même, que l'agent judiciaire du Trésor public s'est présenté à l'audience. Cette décision du représentant du ministère public a pris la défense au dépourvu. Cette dernière n'a pas manqué de l'assimiler à une grave violation de la procédure. Les avocats se sont relayés à la barre pour rappeler au magistrat que le procès ne doit pas sortir du cadre de l'arrêt de renvoi, lequel ne mentionne pas la constitution du Trésor public en tant que partie civile. Tout en faisant remarquer que c'est l'arrêt de renvoi qui détermine les parties, le bâtonnier d'Alger, Me Sellini, souligne que tous les marchés, objet de poursuites, ont été contractés par Sonatrach. Le deuxième argument a été apporté par Me Bouchachi qui qualifie cette mesure d'illégale. Selon lui, le Trésor public ne représente que les institutions à caractère administratif. Or, Sonatrach est une entité économique et commerciale régie par le code du commerce. Me Bourayou ajoute que "dans tous les cas, le parquet aurait dû informer de ce fait nouveau la défense au moins trois jours avant la tenue du procès". Après plus d'une heure de plaidoirie dans ce sens, l'agent judiciaire du Trésor public réplique : "Nous ne nous sommes pas constitués par effraction. Nous avons reçu une convocation du parquet pour nous présenter à l'audience et représenter l'Etat qui est le principal actionnaire de Sonatrach." Le procureur renchérit : "L'article 242 du code de procédure pénal autorise la constitution d'une partie civile dans ces conditions, dans la forme. Pour ce qui est du fond, cette question doit être tranchée dans le cadre de l'action civile." La polémique s'enclenche par la suite sur un autre sujet. Celui de la nécessité du report ou pas de ce procès. Six avocats ont formulé le souhait de voir ce procès ajourné, estimant que le contexte n'est pas favorable à sa tenue. Me Ouali argumente : "Les conditions ne sont pas réunies. L'opinion nationale et internationale a été faussée par les médias privés. L'affaire a déjà été tranchée." "À cause de ce tapage médiatique, nous n'avons pu joindre aucun témoin que nous comptions présenter à la barre. Ils ont tous fermé leur téléphone", soutient son collègue. Me Chaïb étaye : "La défense veut donner une autre tournure à ce procès en convoquant des experts pour avoir un avis technique sur les procédures bancaires, les passations de marchés et leur version sur les chefs d'inculpation." Le représentant du ministère public et le président de l'audience pensent que l'excuse présentée pour reporter le procès ne repose sur aucun argument objectif. Contre toute attente, le procureur prend même la défense de la corporation en disant que "les médias ont le droit d'aborder de telles affaires comme cela se passe partout dans le monde". Le magistrat Régag fait remarquer que la loi oblige les avocats de présenter la liste de leurs témoins dix jours avant le procès au parquet, afin de lui donner le temps de les convoquer. Ce qui n'a pas été fait. En fait, la défense était partagée entre ceux qui pensent que le contexte ne permet pas la tenue d'un procès équitable et ceux qui sont d'avis qu'il ne faut pas prolonger davantage des détentions préventives qui durent depuis cinq ans. La séance est suspendue, le temps de trancher ces deux questions. À sa reprise, l'avocat de Meziane Bachir Fawzi, le fils de l'ex-PDG de Sonatrach, prend la parole pour demander l'annulation des poursuites contre son client du fait qu'elles n'ont été engagées que trois ans après les faits. Un autre relève que le groupe allemand Funkwerk n'est pas clairement incriminé dans cette affaire, à l'instar de son associé Contel Algérie Funkwerk, et ne doit donc pas être concerné par ce procès. Il faut relever que ces plaidoiries préalables ont eu lieu avant même la constitution du tribunal criminel qui doit procéder à l'arrêt de la liste des membres du jury et à l'appel des témoins. Cette entorse aux règles de procédure a déteint sur le déroulement du procès. Le ton est vite monté entre le juge et les avocats qui ont revendiqué l'appel des témoins. Ils ont même menacé de quitter la salle en cas de refus. Me Sellini, avocat constitué pour le compte de Sonatrach, a affirmé ne pas comprendre pourquoi ne pas commencer par la vérification de la présence des témoins. L'appel effectué sous pression de la défense, il s'avère qu'effectivement 39 témoins sur 118 dont les plus importants sont absents. Le juge veut tenir ce procès coûte que coûte et demande de ramener les témoins par la force publique. Me Chaïb annonce, au nom du collectif des avocats, la décision de retrait de la défense. Deux minutes plus tard, le magistrat cède et reporte le procès à la prochaine session criminelle sans accéder à la demande de libération des détenus en attendant cette échéance. Enfin, il faut relever que l'entame de l'audience a été perturbée par Mohcene Amara qui s'est présenté comme l'avocat de l'un des fils de l'ex-P-DG de Sonatrach. Il a été empêché d'accéder à la salle par les policiers fortement déployés. Le bâtonnier d'Alger intervient pour expliquer au juge que l'avocat en question est suspendu et ne représente plus la famille Meziane. Ce que confirme l'ex-P-DG de Sonatrach. Après une longue délibération, le magistrat interdit à Amara l'accès à l'audience. N. H.