Un projet de loi relative à la dépénalisation des actes de gestion est annoncé par le gouvernement depuis le mois d'octobre dernier. Cette mesure salutaire ne peut, à elle seule, décongestionner la législation répressive qui a atteint, dans notre pays, un stade d'inflation démesurée. Rares sont les textes de loi en vigueur qui ne contiennent pas de dispositions pénales. Les raisons de cette prolifération extravagante sont diverses et multiples, parmi lesquelles à citer l'idée incontestablement profonde dans la pensée juridique en ce que la loi ne peut être que de caractère coercitif, condition sine qua non pour garantir le respect des dispositions légales. Une loi sans sanction est une contradiction in se, un feu qui ne brûle pas, une lumière qui n'éclaire pas, dit-on. L'expérience socialiste post-indépendance avait poussé le jeune Etat algérien à développer un corpus répressif important ayant pour tâche de sauvegarder sévèrement les acquis de la révolution socialiste. Par l'effet conjugué de tous les facteurs, la masse des textes pénaux en vigueur a atteint un stade de développement quantitatif pour le moins incompatible avec l'ouverture politique et économique projetée depuis la révision constitutionnelle de 1989. Le libéralisme économique escompté s'oppose incontestablement à l'intervention directe de l'Etat dans la sphère économique et ne convient pas avec la répression découlant de l'adoption de politique économique fondée beaucoup plus sur des interdictions répréhensibles que sur le laisser-faire et l'épanouissement des initiatives constructives. Dès le début des années 90, plusieurs approches ont été appréhendées en vue de permettre le désengagement de l'Etat de la sphère économique et tout particulièrement de la gestion des entreprises publiques économiques qui, jadis, étaient considérées comme une véritable fierté nationale datant de l'époque où les pouvoirs publics dirigeaient l'économie dans l'intérêt de la nation. La création des fonds de participation, la restructuration et l'apparition des holdings, la privatisation et la liquidation de certaines entreprises publiques, ont été des réformes bouleversantes pour l'économie nationale sans pour autant concrétiser leur raison d'être, à savoir substituer l'Etat défaillant dans la régulation des activités économico-financières et instaurer une réforme économique fiable affranchie du joug des autorités publiques. Notre pays ne peut adhérer à l'OMC sans satisfaire les conditions qui lui sont imposées, à savoir en premier lieu la libéralisation des moyens de production et le désengagement de l'Etat de la sphère économique, en général, et de la gestion des EPE, en particulier. Pour arriver à ces fins, une nouvelle catégorie d'autorités administratives dites indépendantes a vu le jour. Ce qui caractérise ces nouvelles autorités de régulation, c'est le fait qu'elles soient dotées du pouvoir de réprimer les infractions économiques relevant de leur champ de compétence. Cette innovation marque, en Algérie comme ailleurs, le passage de la répression pénale à une répression de régulation exercée par des autorités administratives indépendantes. Cela permet à la justice pénale de n'intervenir que pour réprimer les actes représentant un péril d'une certaine gravité. Cette réforme, aussi importante soit-telle, ne dessaisit le juge pénal que pour certaines infractions à caractère économico-commercial. Normalement, pour purifier la législation pénale en vigueur, il faut dépénaliser deux grandes catégories d'infractions, celle des contraventions et celle des délits mineurs. Beaucoup de pays ont procédé à des réformes législatives tendant à soustraire au juge pénal la condamnation de ce genre d'infractions en octroyant ce pouvoir aux autorités administratives. L'édification d'un droit administratif pénal est devenue, en droit comparé, un choix incontournable en raison des bienfaits engendrés par ce type de dépénalisation. En Algérie, l'idée de dépénaliser lesdites infractions est en état de gestation. Il faut rappeler que la Conférence nationale sur la réforme de la justice avait recommandé de rendre la transaction obligatoire en matière de contravention et de délit mineur et de soumettre les poursuites judiciaires en ces matières à un dépôt de plainte préalable et que son retrait devrait entraîner l'arrêt des poursuites. Mieux encore, ladite conférence avait suggéré l'introduction du principe selon lequel l'acceptation ou le renoncement de la victime à la réparation des préjudices subis mets fin à l'action pénale. En réalité, ces recommandations ne proposaient pas la soustraction au juge pénal du pouvoir de sanctionner lesdites infractions, elles présentaient des solutions jugées nécessaires pour alléger le lourd fardeau qu'est devenu malheureusement le propre des juridictions pénales, asphyxiées sous le volume des affaires à traiter. L'ex-ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, avait reconnu l'improductivité des sanctions pénales applicables aux contraventions et aux délits mineurs. Ces sanctions sont devenues selon l'ancien garde des Sceaux inopérantes pour la rééducation des contrevenants. Effectivement, les peines privatives de liberté de courte durée sont infructueuses, raison pour laquelle il faut rechercher des modes alternatifs à l'action pénale autres que ceux déjà existants. Il existe déjà des exemples de ces modes alternatifs à l'instar de la transaction en matière douanière et de change. Le code de procédure pénale prévoyait déjà, lors de sa promulgation, une amande de conciliation qui est restée malheureusement lettre morte à ce jour. Le projet de loi relative à la médiation en matière pénale ne va pas, sans doute, déboucher sur une quelconque dépénalisation des contraventions et des délits mineurs puisque le juge pénal n'est en aucun cas dessaisi de sa compétence de juger ces infractions. La dépénalisation des contraventions et des délits mineurs aura pour mérite d'engendrer beaucoup d'effets positifs. D'abord, le corpus pénal reprendrait des dimensions raisonnables aussi bien en quantité que humainement. Il ne sera plus un obstacle pour l'ouverture sur l'économie du marché consacrée depuis la réforme constitutionnelle de 1989. La justice pénale gagnerait en qualité de travail et par conséquent regagnerait la confiance du justiciable. G. R. Avocat près la Cour suprême