Par Zineddine Sekfali Il a beaucoup �t� question ces derniers temps de revendications tendant � la d�p�nalisation de l�acte de gestion, de l�acte m�dical et du d�lit de presse. Ces revendications, port�es par trois respectables cat�gories socioprofessionnelles, en l�occurrence celle des cadres gestionnaires, celle des m�decins et celle des journalistes, semblent avoir �t� entendues par les autorit�s comp�tentes. Un esprit lib�ral de bon augure s��tant instaur� dans les hautes sph�res du pouvoir depuis quelques semaines, il semble � pr�sent possible d�aborder ces probl�matiques selon une approche plus souple et probablement avec quelques chances de les solutionner de fa�on convenable. Examinons d�un peu plus pr�s et sans parti-pris ces revendications dans leurs contenus respectifs, essayons de comprendre de quoi il s�agit au juste, et voyons de quelle d�p�nalisation on parle exactement. La d�p�nalisation de l�acte de gestion Par �acte de gestion�, on entend les actes d�administration et de gestion �conomique et financi�re qu�effectuent, dans l�exercice de leurs fonctions, les dirigeants et plus g�n�ralement les cadres des entreprises publiques, semi-publiques ou priv�es, qu�elles soient sous forme de soci�t�s de capitaux, de soci�t�s de personnes ou de Sarl, et qu�il s�agisse d�entreprises de production ou d�entreprises de services. Si l�on en croit certaines informations de presse et d�clarations faites au cours d�un r�cent colloque consacr� � cette question, l�Alg�rie serait en voie de d�p�naliser lesdits actes de gestion. En fait, cette d�p�nalisation est une revendication ancienne, m�me si elle n�a pas toujours �t� publiquement et fortement exprim�e. Elle ne se manifestait que de mani�re discr�te et l�on devine ais�ment les raisons de cette discr�tion. Car on sait que la gestion de nos entreprises, sauf rares exceptions, laisse globalement � d�sirer ou, pour utiliser une expression moins n�gative, que nos entrepreneurs et gestionnaires �peuvent mieux faire� ! On �value en Alg�rie, comme ailleurs, l�efficacit� et l�efficience d�une gestion �conomique et financi�re, � l�aune de ses performances. Or, ceux-ci ne sont nullement � la hauteur des investissements r�alis�s au prix fort. Les restructurations sur fonds publics, qui se suivent et se ressemblent depuis le d�but des ann�es 1980, n�aboutissent, ce n�est un secret pour personne, qu�� de faibles r�sultats. Les bilans p�riodiques produits par nos entreprises publiques d�sesp�rent les �tutelles� quand il en existe encore, les ministres des Finances parce que qu�il leur incombe de d�gager les cr�dits n�cessaires � ces restructurations � r�p�tition, et enfin les services des statistiques nationales qui guettent le moindre fr�missement d�am�lioration au niveau des indicateurs �conomiques et sociaux. En toute modestie, je pense, comme du reste beaucoup de gens, que si nos entreprises �taient cr�atrices de richesses et d�emplois, si elles exportaient plus qu�elles n�importaient et si leurs r�sultats �taient en progression constante, cela se saurait et se verrait. Ce n�est sans doute pas, il faut le souligner, � cause des enqu�tes et poursuites judiciaires qui sont parfois d�clench�es, que nos entreprises font de mauvais r�sultats. Force est d�observer du reste, que cette revendication pour la d�p�nalisation de l�acte de gestion r�appara�t chaque fois que les services de s�curit� s�int�ressent de plus pr�s � la gestion de quelques entreprises, ou que les autorit�s judiciaires sont saisies de dossiers �conomiques ou financiers. Quand une infraction � je dis bien une infraction et non pas un acte de gestion � appara�t, il est du devoir des services de police de proc�der � une enqu�te, c�est-�dire constater cette infraction, rassembler les preuves, rechercher le ou les auteurs et leurs complices � fussent-ils en cols blancs � et proc�der � des auditions, ce qui donne n�cessairement lieu � toute une s�rie d�op�rations indispensables � la mise en �uvre de l�action publique par le parquet, puis � l�ouverture d�une information par un juge d�instruction et, en fin de parcours, � un proc�s devant un tribunal. Ce que l�on reproche au gestionnaire mis en cause, ce n�est pas d�avoir accompli �un acte de gestion �, mais d�avoir commis �une infraction� c�est-�-dire un d�lit ou un crime. Que je sache, il n�existe aucun texte de loi incriminant et sanctionnant �l�acte de gestion en soi� ! On semble en effet confondre deux choses pourtant totalement diff�rentes : l�acte de gestion est une chose, l�infraction en est une autre. Conclure un contrat de vente, ou d�achat, ou de travaux, ou de transport par exemple, c�est accomplir un acte de gestion. Tous les contrats sont pass�s dans certaines formes (n�gociations, concurrence, avis, soumissions, etc.), et � certaines conditions de fond (prix, d�lais, quantit�s, modes de payement, etc). L�acte de gestion est soumis � des r�gles de forme et de fond. Il n�est possible d�y d�roger � et prendre un risque, ce fameux risque �entrepreneurial� ! � que dans des circonstances exceptionnelles, telles que l�urgence, l�inexistence d�autres fournisseurs, l�absence d�alternative, par exemple. Mais le gestionnaire ne peut en aucune fa�on agir � sa guise, car cela peut porter pr�judice aux propri�taires de l�entreprise, aux actionnaires, aux associ�s. N�oublions pas non plus les travailleurs que la gestion d�sastreuse de l�entreprise risque d�envoyer au ch�mage de longue dur�e ! C�est pourquoi il est universellement admis que le gestionnaire qui sort d�lib�r�ment du cadre l�gal et r�glementaire met en jeu sa responsabilit� administrative et civile vis-�-vis des organes de la soci�t� (conseil d�administration, directoire, conseil de surveillance..) lesquels ont le droit de lui demander des comptes et de le cong�dier. Si en plus, il est �tabli que le gestionnaire a pris un int�r�t personnel, a favoris� un proche, a per�u un dessous de table, a b�n�fici� d�un avantage en nature ou en esp�ces, a utilis� abusivement des biens sociaux, alors on change de registre : l�affaire devient p�nale ; on est en effet l� dans la corruption, le trafic d�influence, l�abus de confiance, le d�lit d�initi�, l�abus de biens sociaux, etc. Rappelons qu�il existe dans le droit p�nal une branche dite �Droit p�nal des affaires� qui est enseign�e dans les facult�s et les �coles de droit, et qui est l�objet d�une abondante litt�rature juridique, en doctrine comme en jurisprudence. J�ose esp�rer que cette mati�re est �galement enseign�e dans nos �coles de commerce et instituts de management� En r�sum� donc, l�acte de gestion n�est jamais �en soi� une infraction et dire qu�on va le d�p�naliser n�a en cons�quence strictement aucun sens ! Mais on sait que l�acte de gestion est susceptible d��tre l�occasion ou le moyen pour un gestionnaire ind�licat et malhonn�te de tirer pour lui ou pour un tiers un profit ill�gal et ill�gitime. Va-t-on d�p�naliser les infractions multiples et vari�es qui peuvent �tre commises � l�occasion d�actes de gestion ? Cela me para�t totalement inconcevable, car d�p�naliser signifierait alors instaurer au profit des gestionnaires, non pas seulement �une immunit�, mais pire l�galiser �l�impunit�. Notre secteur �conomique d�j� bien mal en point deviendrait alors une inextricable jungle o� la seule loi qui vaille sera celle du �tag aala men tag� ! C�est faire preuve de beaucoup de na�vet� que de croire que le pouvoir va emprunter cette voie si p�rilleuse ! Enfin, il serait sage de cesser d�agiter le spectre de la pers�cution, car ce n�est pas pers�cuter la corporation des cadres gestionnaires que de r�primer les crimes et d�lits commis par quelques gestionnaires malhonn�tes et ind�licats. Il faut savoir raison garder, au moment pr�cis�ment o� de grosses affaires, mises au jour avec beaucoup de patience et non sans difficult�s, sont en cours d�instruction judiciaire ! La d�p�nalisation de l�acte m�dical Cette confusion entre les concepts d�acte et d�infraction est �galement faite � propos des poursuites p�nales engag�es contre les m�decins, sur plaintes avec constitution de parties civiles et parfois directement � l�initiative du parquet. Les m�decins aussi veulent que l�on �d�p�nalise l�acte m�dical� ! Or, o� est le texte de loi qui �p�nalise� les actes m�dicaux que sont, par exemple, une op�ration chirurgicale b�nigne ou lourde, un examen endoscopique, une palpation, une injection, un pr�l�vement. Je n�en connais aucun que la loi incrimine. Par contre, je sais que des poursuites p�nales sont possibles contre le m�decin qui oublie dans le corps de son patient une paire de ciseaux ou un scalpel ou un morceau de gaze ou de coton. Ce qui est p�nalement sanctionn� en pareille circonstance, ce n�est pas l�acte m�dical ; laisser par n�gligence ou oubli des instruments ou d�autres objets dans le ventre d�un malade n�est pas un acte m�dical, c�est un d�lit qui s�appelle �coups et blessures involontaires� lequel est pr�vu et puni par la loi. Je conc�de cependant que la responsabilit� p�nale du m�decin est parfois aussi engag�e en cas d��erreur de diagnostic� ou d��erreur de th�rapie�. Il est vrai que l� on est dans des hypoth�ses o� la fronti�re entre l�acte m�dical et le d�lit est tr�s t�nue. Je crois savoir n�anmoins, que les poursuites p�nales pour erreur de diagnostic ou de th�rapie n�aboutissent que rarement sinon jamais, car l�erreur m�dicale n�est pas facile � prouver et � �tablir, surtout lorsque la bonne foi du m�decin est patente. Il est utile de rappeler � cet �gard un aspect de la jurisprudence en mati�re de responsabilit� p�nale des m�decins, jurisprudence aujourd�hui bien �tablie, selon laquelle le m�decin n�est pas tenu � une obligation de r�sultat, mais � une obligation de moyens. Autrement dit, le m�decin a pour obligation de prodiguer � ses patients des soins pour soulager leur mal, de le faire consciencieusement, dans les r�gles de l�art et dans le respect des prescriptions de la science m�dicale. La gu�rison ne peut �tre garantie ; elle est en r�gle g�n�rale al�atoire ; elle est totalement exclue, en l��tat actuel de la science m�dicale, pour certaines maladies. Dire que le m�decin est tenu � une obligation de moyens signifie aussi qu�il n�y a pas pour le m�decin de responsabilit� �sans faute�, ni de pr�somption de faute. Au contraire, la responsabilit� du m�decin ne peut �tre engag�e qu�en cas de faute prouv�e. La charge de la preuve de la faute incombe au demandeur, c�est-�-dire � la personne qui se pr�tend victime et au minist�re public qui prend la responsabilit� d�engager des poursuites. Donc, l� aussi l�expression �d�p�naliser l�acte m�dical� est ambigu� et pr�te � confusion. Cependant, il est souhaitable que notre l�gislation fixe de la mani�re la plus claire et pr�cise le cadre dans lequel la responsabilit� p�nale du m�decin est susceptible d��tre engag�e. La meilleure des l�gislations serait celle qui, tout en prot�geant le m�decin contre les actions p�nales infond�es et intempestives, ne prive pas le malade, victime d�un pr�judice r�sultant de fautes ou d�erreurs m�dicales lourdes, d�en demander r�paration. La d�p�nalisation du d�lit de presse Qu�est-ce enfin que la d�p�nalisation du d�lit de presse ? Pour r�pondre � cette question, il faut au pr�alable s�entendre sur le sens � donner au concept de �d�lit de presse�. Pourquoi utilise-t-on ce mot au singulier et non pas au pluriel, alors que tout le monde sait que les d�lits de presse sont multiples et vari�s ? Pourquoi de plus, ne parler que du d�lit de presse, alors qu�il existe dans la loi �on va le d�montrer ci-dessous � des crimes de presse ? En fait, le concept �d�lit de presse� doit �tre compris dans un sens g�n�rique, il �quivaut � �infractions commises par voie de presse�. On sait par ailleurs que le terme �infraction� couvre les contraventions, les d�lits et les crimes. Ainsi dites, les choses deviennent mieux compr�hensibles. Ces infractions par voie de presse se trouvent �num�r�es d�une part, dans la loi 90-07 du 03/04/1990 relative � l�information (JORADP n�14 du 04/04/1990) qui comporte un chapitre intitul� �Dispositions p�nales� lequel contient pas moins de 21 articles (articles 77 � 98) et d�autre part, dans le code p�nal (articles 144 � 146). En lisant ces diff�rents articles, on se rend compte que les infractions par voie de presse sont tr�s nombreuses ; elles vont de l�injure, � l�outrage, � la diffamation, � l�offense, � l�incitation � la haine raciale et � la discrimination, � l�apologie du crime, � la violation du secret des enqu�tes, des informations judiciaires et d�lib�r�s des juridictions, � la publication de photographies montrant des crimes et d�lits, � la publication et diffusion de l�identit� de mineurs, � la divulgation des secrets militaires (qui est un crime car la peine pr�vue dans ce cas est la r�clusion criminelle), � l�incitation aux crimes et d�lits contre la s�ret� de l�Etat et l�unit� nationale (qui est �galement punie de la r�clusion criminelle), � la publication d�informations erron�es ou tendancieuses portant atteinte � la s�ret� de l�Etat et � l�unit� nationale, etc. Alors que va-t-on d�p�naliser ? En r�alit�, il y a deux mani�res de comprendre le terme �d�p�naliser�. On peut comprendre qu�il signifie �enlever le caract�re d�infraction � un fait�, ou plus simplement dit : �supprimer une infraction�. C�est ce que l�on entend par d�p�nalisation dans les pays occidentaux o� on a d�cid� de ne plus sanctionner par exemple l�usage du cannabis (chanvre), l�avortement et l�homosexualit�. Ces faits qui �taient des d�lits pr�vus et punis par la loi ont ainsi disparu du code p�nal de certains Etats ; on dit qu�on les a d�p�nalis�s. Ailleurs, on entend par d�p�naliser une infraction : �supprimer la peine privative de libert� pr�vue dans le texte originel et ne laisser que l�amende. A en croire certains comptes rendus r�cemment parus dans notre presse, notre gouvernement a opt� pour la seconde d�finition du terme d�p�naliser, puisqu�il a d�cid� de supprimer la peine d�emprisonnement dans deux d�lits de presse : 1� dans l�article 144bis du code p�nal (offense au chef de l�Etat), 2� dans l�article 146 du m�me code (outrage, injure ou diffamation envers les corps constitu�s). Notons aussi que ce qu�on appelle �la responsabilit� en cascade�, pr�vue dans l�article 144 bis 1, va dispara�tre du code, en ce sens qu�� l�avenir seuls les auteurs d�offense au chef de l�Etat et les auteurs d�outrage, d�injure ou de diffamation aux corps constitu�s seront poursuivis ; les poursuites ne devront plus �tre �tendues aux responsables de la publication et de la r�daction, ni � la publication elle-m�me. Indiquons au passage que l�auteur de telles infractions peut ne pas �tre journaliste ; en effet, toute personne, quelle que soit sa qualit�, qui publie dans un m�dia, un �crit, un point de vue, une opinion, un article, une caricature, jug�s offensants ou outrageants, s�expose � des poursuites p�nales de ces deux d�lits. Ces modifications au code p�nal seront prochainement approuv�es par le Parlement. Il reste � savoir jusqu�o� iront les modifications qu�on pr�voit d�apporter au code de l�information, c�est-�-dire la loi du 03/04/1990 relative � l�information, dans laquelle on trouve, comme indiqu� ci-dessus, l�essentiel des infractions par voie de presse. Il serait souhaitable enfin que le l�gislateur saisisse cette occasion pour mettre l�intitul� de la section �Des outrages et violences � fonctionnaires et institutions de l�Etat�, en coh�rence avec les articles qui la composent et plus particuli�rement avec l�article 144 bis 2 qui traite de l�offense �au Proph�te et aux envoy�s de Dieu et du d�nigrement du dogme et des pr�ceptes de l�islam�, soit en compl�tant, cet intitul� soit en transf�rant le contenu de l�article 142 bis 2 dans une section consacr�e aux infractions de nature religieuse. On remarquera pour terminer avec les infractions par voie de presse, que l�article 77 de la loi du 03/04/1990 relative � l�information, incrimine et punit �l�offense � l�islam et aux religions c�lestes� ; il y aurait donc quelque part, un double emploi et un regroupement de ces articles dans un m�me texte l�gislatif serait, me semble-t-il, judicieux du point de vue de ce qu�on nomme aujourd�hui, �la l�gistique �. Conclusion : On conclura ces r�flexions g�n�rales en disant que les d�bats sur la responsabilit� p�nale des cadres gestionnaires et le risque �entrepreneurial�, de m�me que les d�bats sur la libert� de la presse, ses limites et la d�ontologie du journaliste, et enfin ceux sur la responsabilit� p�nale du m�decin et les conditions de sa mise en �uvre, n�ont jamais �t� autant actuels qu�en cette p�riode de r�formes tous azimuts. Tous ces d�bats, ouverts � vrai dire depuis plusieurs ann�es, sont loin d��tre �puis�s et pas pr�s d��tre clos ; la raison en est qu�ils portent sur des de probl�matiques complexes et, malgr� les apparences, pas ais�es � r�soudre.