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"Pour un plan Marshall des énergies renouvelables"
Chemseddine Chitour, professeur émérite à l'école polytechnique d'Alger, spécialiste en énergie
Publié dans Liberté le 14 - 04 - 2015

Pour ce chercheur, l'économie d'énergie est le plus grand gisement de l'Algérie. Elle permet d'économiser 8 millions de tonnes de pétrole. Il souligne qu'on perd chaque année le quart de notre énergie en gaspillage.
Liberté : À l'occasion du 16 avril Youm el Ilm , l'Ecole polytechnique d'Alger organise annuellement une rencontre importante sur l'énergie. Quelle est la portée de l'évènement prévue aujourd'hui 14 avril pour l'édition 2015 ?
C. Chitour : C'est une tradition des élèves ingénieurs de l'Ecole polytechnique de célébrer chaque année le 16 avril Youm el ‘ilm depuis une vingtaine d'années. 2015 est aussi l'anniversaire de la première promotion d'ingénieurs de l'Algérie indépendante sortis de l'Ecole polytechnique. Cette "journée" qui se fait sous l'égide du Premier ministre a pour ambition de faire un plaidoyer pour une transition énergétique multidimentsionnelle qui ne peut réussir que si la société entière adhère à cette nouvelle vision du développement durable qui nous recommande une sobriété énergétique qui se traduirait par des économies d'énergie, une utilisation pondérée des énergies fossiles, un plan Marshall des énergies renouvelables, l'objectif étant en définitive de sortir de la rente d'une façon intelligente et du même coup laisser un viatique aux générations futures.
La polémique sur le gaz de schiste a au cours de ces derniers mois évacué le problème de fond : la nécessité de passer de façon plus rapide à un modèle de consommation énergétique moins carboné. Or, les programmes publics d'efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables tardent à atteindre leur vitesse de croisière. L'Algérie prépare-t-elle mal sa transition énergétique?
En fait nous n'avons pas encore mis en œuvre cette transtion énergétique. Tout au plus des opérations sont annoncées en vrac concernant la nécessité de faire des économies. L'Aprue fait un travail remarquable mais qui est mal connu. Elle a à titre d'exemple un budget publicité dérisoire comparativement aux bugets des opérateurs de téléphonies qui incitent les Algériens à bavarder comme le martèle leur publcité... Le gouvernement a annoncé en mars 2015 la réactualisation du plan énergie renouvelable de 2011, mais ce n'est qu'une partie du problème de la nécessité d'aller vers le développemetn durable en mettant en œuvre, justement cette transtion énergétique.
Dans ce cadre du bouquet énergétique, le gaz de schiste est une énergie comme une autre. Il faut savoir qu'elle n'est pas génératrice de rente. L'exploitation de cette richesse se fera quand la technologie sera mature, et respectueuse de l'environnement. On parle de l'heptafluoropropane qui pourrait remplacer l'injection d'énormes quantités d'eau avec des quantités importantes de produits chimiques (0,5%) tout en sachant que la nocivité de ces produits se mesure en ppm. Une autorité indépendante de l'environnement qui travaillerait avec un cahier des charges drastique concernant les précautions garantirait que la nappe phréatique ne serait pas polluée et qu'un traitement approprié serait dévolu aux rejets de boues et produits chimiques. Le gaz de schiste aura toute sa place dans un bouquet énergétique avec les autres énergies fossiles, renouvelables, si on sait y faire, si on prend les précautions nécessaires par la mise en place d'une réglementation drastique, si on forme les compétences dans ce domaine et si enfin, on développe une veille technologique à même de suivre les meilleures méthodes d'exploitation. L'exploration actuelle devra nous donner toutes les caractéristiques, débits, profondeurs, quantités et type de produits.
La transition énergétique est sous-tendue par uen vision globale de la consommation des prochaines quinzaines d'années à 2030. C'est une vision qui doit être supportée par tous les départements ministériels et surotut la société civile qui devrait y adhérer si on lui explique les enjeux dans le cadre d'états généraux sur la transition énergétique vers le développement durable. C'est justement l'ambition de l'Ecole polytechnique d'être un lanceur d'alerte et à travers sa production scientifique explicitée par les éèves ingénieurs de proposer une perspective pour cette transition qui tourne le dos à la rente, qui réhabilite le travail, qui crée la richesse par des dizaines de milliers de petites entreprises avec les diplomés unviersitaires ingénieurs et techniciens dont il faudra réhabiliter la formation qui a disparu des cursus de l'université algérienne.
Partagez-vous l'avis de spécialistes selon lequel le mix énergétique en Algérie sera encore une fois composé au cours des dix prochaines années pour une large part sur les energies fossiles?
Il ne tient qu'à nous de sortir par une politique volontariste du tout fossile. À titre d'exemple, les grands pays industrialisés et même les pays au même développement que le nôtre ont développé des modèles énergétiques qui aboutissent à la mise en place d'un bouquet énergétique avec la dizaine d'énergies possibles : les fossiles (charbon, gaz naturel conventionnel ou non avec le pétrole), le nucléaire, les énergies renouvelables (solaire, éolien, ; biomasse, hydraulique, géothermie). Sans oublier le plus grand gisement qui est celui des économies d'énergie qui nous fait perdre chaque année le quart de ntore énergie en gaspillage. À titre d'exemple dans les pays industrialisés des scénarios à 100% énergie renouvelable sont mis en œuvre. C'est le cas de l'étude proposée par l'Ademe en France en mars 2015.
On assiste à un grand gaspillage de produits énergétiques. Outre les hésitations des pouvoirs publics à rationaliser la consommation énergétique, le citoyen de manière générale est peu sensibilisé aux économies d'énergie.
Il y a un seul thème qui est celui de libérer l'Algérie de la rente. Cela veut dire que nous devons aller vers le développement durable en mettant à profit d'une façon rationnelle les ressources de la rente pétrolière et gazière pour mettre en œuvre une transition énergétique pouvant nous conduire à un développement durable. Tous les pays développés et certains pays en développement développent des modèles énergétiques qui permettent de prévoir à l'avance la consommation d'énergie en fonction des données actuelles et de l'évolution de plusieurs paramètres ; la population, les réserves en énergie fossiles, les potentialités en énergie renouvelable, l'évolution des changements climatiques mais aussi et surtout les habitudes et façon de consommer pour évaluer le taux de gaspillage de l'énergie.
à titre d'exemple, les prix dérisoires de l'énergie sous toutes ses formes mais aussi les prix de l'eau font qu'il est pratiquement impossible de continuer à ce rythme de consommation débridée. Les économies d'énergie ne peuvent être opérationnelles que si un juste prix est pratiqué. Sait-on par exemple que le gaz naturel que nous payons est facturé 20 fois moins cher que son prix international, que le prix du gasoil est facturé 7 fois moins cher que celui de nos voisins ? Que le prix de l'eau à 5 DA est dérisoire que le même mètre cube est facturé 20 fois plus ailleurs. L'Algérie est l'un des rares pays où le prix de l'essence est le plus bas.
La vérité graduelle des prix bien expliquée aux citoyens sera admise d'autant que les classes à faible pouvoir d'achat paieront proportionnellement à leurs revenus. Il est anormal que le soutien des prix profite à tout le monde. Même le FMI recommande de cibler les catégories à aider
Pensez-vous que le cap est mis aujourd'hui sur le développement durable du pays avec notamment la prise en compte des besoins énergétiques des générations futures dans notre consommation actuelle de produits énergétiques, une planification appropriée des actions tous azimuts pour développer les énergies renouvelables, les économies d'énergie et assurer la protection de l'environnement ainsi qu'un aménagement équilibré du territoire ?
La transition énergétique est une vision nouvelle qui fait qu'il faut faire la chasse au gaspillage, payer le juste prix en fonction des tranches de revenus de chacun. Cette transition énergétique vers le développement durable nous permettra aussi de tenir compte de plusieurs paramètres, la protection de l'environnement, la rationalité dans la consommation, le recours de plus en plus important aux énergies renouvelables à la fois d'une façon globale mais aussi d'une façon individuelle. Nous devons nous prendre en charge et être des citoyens responsables. Nos parents arrivaient à stocker l'eau de pluie. Nos parents faisaient des provisions de bois en été. Ce sont autant de réflexes qui existent dans les autres pays et que nous avons perdus. Nous menons un train de vie qui ne correspond à pas à la rationalité. Notre autonomie nous permettra de faire durer ce qui nous reste en réserve d'hydrocarbures plus longtemps, ce qui nous permettra d'assurer l'avenir des générations futures
Dans le modèle énergétique proposé par les élèves ingénieurs, pour 2030, l'accent est mis sur toutes les énergies fossiles et renouvelables (solaire, éolien, hydraulique), mais aussi géothermie qui n'est pas exploité.
Nous avons 250 sources d'énergie géothermiques qui peuvent contribuer valablement à remplacer les énergies fossiles (pétrole et gaz naturel) notamment dans le chauffage urbain, industriel mais aussi agricole : une excellente démonstration a été faite conjointement par le ministère des Ressources en eau et celui de l'Agriculure, à savoir le chauffage de serres pour les produits agricoles. Ce type d'initiative est à multiplier par centaines, notamment dans le sud de l'Algérie qui peut devenir grâce à notre déterminatiuion et notre volonté une seconde Californie.
La transition énergétique, c'est en partie le plan de développement des énergies renouvelables qui vient d'être adopté par le gouvernement en mars. Pour le réaliser, il faut justement un véritable plan Marshall en sachant bien que le modèle énergétique est plus large, car il englobe d'abord un modèle de consommation à différents horizons 2030, 2050.
à titre d'exemple, nous serons 55 millions d'habitants, nous consommerons peut-être 2000 kWh/hab./an, cela ferait 125 TWh, soit trois fois la puissance installée actuelle en électricité. C'est dire la quantité de panneaux solaires et d'éoliennes à mettre en place. Ceci ne concerne que l'électricité, il y a aussi les carburants mais surtout le plus grand gisement qui est celui des économies d'énergie évalué à 20%. En clair, on peut économiser l'équivalent de 8 millions de tonnes de pétrole par des gestes éco-citoyens.
La problématique globale est celle de passer d'un modèle de consommation où tout est gratuit et que personne n'est responsable vers un modèle de consommation vertueux, où chaque calorie épargnée grâce à des économies est une calorie disponible pour l'exportation ou pour les générations futures. Il ne faut pas oublier que notre banque est notre sous-sol.
De ce fait, cette transition énergétique devrait avoir le consensus du plus grand nombre, car au moment de l'application, ce sont les citoyens avec un comportement éco-citoyen qui feront que cette stratégie réussira. De plus, nous sommes convaincus que la transition énergétique est l'affaire de tous les départements ministériels, c'est l'école où l'apprentissage de l'écocitoyenneté se fera, c'est la formation professionnelle et l'enseignement supérieur qui auront à former les milliers de techniciens et d'ingénieurs dont la formation qui a disparu devrait en toute logique être réhabilitée. C'est aussi les affaires religieuses où les prêches porteraient sur les dégâts du gaspillage, c'est évidemment l'environnement, l'éco-tourisme mais aussi le commerce qui devrait contribuer avec l'industrie et l'énergie à l'interdiction des appareils électroménagers et véhicules énergivores en électricité ou en carburant.
Je suis convaincu que la transition énergétique nous impose un changement total de vision de consommation de l'énergie. L'apprentissage vers l'éco-citoyenneté est un combat de tous les jours. Il nous faut nous départir de la mentalité du beyleck en passant de la situation actuelle où personne n'est concerné à la situation où chacun assume sa part de responsabilité, si on veut qu'il y ait un avenir pour ce pays. La stratégie énergétique est une cause nationale, elle devrait faire quand elle est bien expliquée l'objet d'un consensus qui transcende les clivages, car les faits sont têtus les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
K. R


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