Le président de l'audience a clôturé, hier, l'audition des témoins en appelant à la barre le vice-gouverneur de la Banque d'Algérie et des personnalités du monde sportif. Aujourd'hui, commenceront les plaidoiries des parties civiles. Le vice-gouverneur de la Banque d'Algérie a dressé un tableau accablant de la gestion de Khalifa Bank. Le témoin a commencé par rappeler les prérogatives de la Banque centrale et ses missions de contrôle. En janvier 2001, il demande une audience au gouverneur de la Banque d'Algérie, Keramane, et lui fait part de ses soupçons sur la gestion de Khalifa Bank. "J'ai été ébranlé par les dépenses ostentatoires en devises de Khalifa Bank. Je n'avais pas confiance en elle. Keramane a demandé un contrôle exhaustif de la banque. J'ai senti quelque chose mais je n'avais pas de preuves. D'ailleurs, par la suite, l'administrateur provisoire a réussi en deux mois à montrer la réalité de cette banque où tout était faux. J'ai noté des opérations de sponsoring notamment de clubs sportifs comme l'Olympique de Marseille dont je n'avais pas délivré d'autorisation". À l'époque où Keramane était gouverneur de la Banque d'Algérie, Ali Touati occupait le poste de directeur des changes. Après le départ de Keramane et son remplacement par Laksaci comme gouverneur de la Banque d'Algérie, Touati devient vice-gouverneur. Le rapport réclamé par Keramane n'a été achevé qu'après son départ. "Laksaci m'a appelé pour me le montrer. Ce que je voyais relevait du pénal. Alors j'ai écrit à mon homologue, le SG du ministère des Finances". Il dira, à propos, de l'achat des stations de dessalement que "des millions de dollars ont été dépensés pour de la quincaillerie. C'était de l'évasion de capitaux. Cela dépassait la Banque centrale et relevait du pénal".
"L'absence d'inspecteurs assermentés est un faux problème" Le juge veut comprendre pourquoi la Banque d'Algérie n'avait pas d'inspecteurs assermentés. "Cette procédure était nouvelle pour tout le monde. J'ai fait la proposition au ministère des Finances. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais il n'y a eu des inspecteurs assermentés qu'en 2002. À l'époque, je vous le dis en toute franchise, on est sorti de l'enfer. On était en cessation de paiement après un rééchelonnement. Nos préoccupations étaient ailleurs. On devait sortir de la crise d'endettement et créer un système bancaire moderne". "Quand tu as envoyé le rapport contenant des infractions commises par Khalifa Bank au ministre des Finances, Mourad Medelci, c'était dans le but qu'il porte plainte ?". Le témoin estime que l'absence d'inspecteurs assermentés était un problème secondaire par rapport à la gravité des faits. "C'est un faux problème. Ce rapport ne devait pas être bloqué pour ce motif. Il y avait des agents assermentés de la gendarmerie et de l'Inspection générale des finances qui pouvaient s'occuper de cette tâche." Le vice-gouverneur de la Banque d'Algérie enfonce ainsi l'ex-ministre des Finances, Mourad Medelci, qui avait déclaré devant le juge d'instruction qu'il n'avait pas été informé directement et légalement des violations de procédures par Khalifa Bank. Selon Mourad Medelci, "ce rapport contenait des généralités et des infractions sans être dûment consignées dans des PV établis par des inspecteurs assermentés". Le successeur de Mourad Medelci, Mohamed Terbèche reçoit, à son installation, un coup de fil de la chefferie du gouvernement pour réactiver ce rapport. Il le cherche mais ne le trouve pas. Il demande une copie au gouverneur de la Banque d'Algérie, Laksaci. Terbèche instruit, ensuite, les inspecteurs de l'IGF, d'établir des PV répertoriant les infractions relevées dans la gestion de la banque Khalifa. "Khelifa m'a dit : ‘Je ne suis pas un banquier, aidez-moi'" Le juge veut savoir pourquoi dans ce rapport, Ali Touati a parlé de Khalifa Airways. "À l'époque la loi obligeait les compagnies aériennes à rapatrier les devises tous les trois mois. Ce que ne faisait pas Khalifa Airways". Ali Touati déclare que Laksaci lui a demandé de recevoir Moumen Khelifa qui voulait demander une autorisation pour l'ouverture d'une représentation à Paris et acheter une banque en Allemagne. "Je ne voulais pas, au début, lui accorder d'entrevue, car je n'avais pas de temps à perdre. Je ne pouvais pas donner une autorisation à l'aveugle au cas où cet achat cacherait une malversation. L'ouverture d'une représentation de la banque Khalifa à Paris est illégale si l'on se réfère aux lois algériennes. Quand j'ai fini par le recevoir durant 30 minutes. Je lui ait dit clairement que sa banque était sur la trajectoire de l'audience disciplinaire, des procédures judiciaires et retrait d'agrément. Khelifa m'a répondu : ‘je ne suis pas un banquier, aidez-moi'". "Quelle impression vous a laissé Khelifa pendant cette entrevue ?" questionne le magistrat. La réponse du témoin est cinglante : "De l'incompétence intégrale. Il ne comprenait pas ce que je disais." Il ajoute : "Quand il y a eu l'emballement des tranferts non cohérents avec les autres agrégats, j'ai pris la décision de la suspension des opérations de commerce extérieur de Khalifa Bank. Décision qui a été validée par la commission bancaire." Le vice-gouverneur de la Banque d'Algérie va joindre à cette déclaration un commentaire qui provoquera la colère du collectif de la défense. Ali Touati lâche : "Dire que la suspension des opérations de commerce extérieur a coulé Khalifa Bank est une bêtise." "Les rapports de Djellab étaient effrayants" Me Lezzar, avocat de Moumen Khelifa, se lève pour protester : "Oui je le dis et je le répète procéder au gel du commerce extérieur de Khalifa Bank était une bêtise. Mais le témoin n'a pas le droit de traiter les avocats et les journalistes de cette façon-là." Le juge tente de calmer les esprits en signifiant au témoin qu'il ne peut pas "considérer ce que disent les avocats ou les journalistes comme des futilités". Antar Menouar lui ordonne de retirer le mot "bêtise" devant le tribunal. Après une suspension d'audience de dix minutes, le témoin revient à de meilleurs sentiments et présente ses excuses. Interrogé sur la base légale de cette mesure de gel, il répond que "c'était en application du règlement de la Banque d'Algérie qui donne toute la latitude au directeur général des changes de procéder de cette manière. On ne connaissait pas l'ampleur des dégâts. On ne pouvait pas non plus préjuger de l'avenir, ni faire un procès d'intention", dit-il en sous-entendant que cette mesure n'était pas définitive. "Du point de vue juridique, la commission bancaire devait appuyer cette décision ?". À cette question du magistrat, Ali Touati réplique : "Il fallait consolider la décision du directeur des changes car on n'était pas à l'abri d'un recours formulé par la banque Khalifa. Après cette décision de gel des opérations de commerce extérieur de Khalifa Bank, l'inspection générale n'a constaté aucun redressement de la banque. Alors la décision de désigner un administrateur provisoire a été prise. Khalifa Bank s'est constitué un véritable butin de guerre à travers le système Swift. C'est de cette façon que le groupe a pu faire des achats qui n'ont rien à voir avec l'argent domicilié en Algérie. L'administrateur provisoire a travaillé sur la base des données de l'Inspection générale transmises à la commission bancaire. Khalifa Bank ne respectait aucune règle bancaire." "Monétiser une banque frauduleuse aurait été un grand scandale" Aux questions, relatives au choix porté sur Djellab comme administrateur et sur la durée de sa mission, Ali Touati indique que la mission de l'administrateur s'achève quand la banque est remise sur pied. "Je ne me suis jamais posé la question relative au choix porté sur Djellab. C'était le DG de la banque la mieux gérée sur la place. Les premiers rapports qu'il a transmis à la commission bancaire étaient effrayants. Dans les comptes divers, il y avait l'argent des épargnants qui était distribué aux filiales de Khalifa Bank. Ces comptes divers représentaient 90% des transferts aux filiales". Le recours à l'administrateur provisoire signifie que les commissaires aux comptes n'ont pas fait leur travail, commente le juge. Selon le vice-gouverneur de la Banque d'Algérie, les commissaires aux comptes auraient dû déclencher la procédure d'alerte sur certaines infractions aux règles de change qui relevaient du pénal. "La liquidation de la banque Khalifa était-elle inévitable ?" interroge le magistrat. "L'administration a établi le constat que c'était une banque ingérable parce que insolvable. Le problème qui s'est posé aux autorités financières, c'est de refinancer la banque ou pas. Les actifs de la banque ne pouvant pas couvrir le refinancement et les actionnaires ont été sollicités pour une recapitalisation. Certains ont évoqué la possibilité d'un refinancement émanant de la Banque d'Algérie. Monétiser une banque frauduleuse aurait été un grand scandale. Je rends hommage à Laksaci qui a dit je ne monétiserai jamais une banque frauduleuse, cela sera une tache noire dans l'histoire. C'était un devoir de liquider Khalifa Bank". Il a été procédé par la suite au retrait de l'agrément à Khalifa Banque. Le témoin explique dans quelles circonstances : "Il y a eu l'audience disciplinaire de la commission bancaire que j'ai présidée. La commission bancaire a procédé au retrait de l'agrément à la banque Khalifa. Si on ne l'avait pas fait, on aurait commis une lourde faute. Khelifa Moumen a bien demandé de recapitaliser la banque mais avec les avions de Khalifa Airways qui n'étaient même pas payés. C'était l'escroquerie du siècle." Me Benitaouine : "Au début, les tranferts à l'étranger n'étaient pas conséquents. Est-ce que le témoin peut le confirmer ?". Le témoin atteste que durant les premières années de l'exercice de Khalifa Bank, le volume du commerce extérieur était conforme aux agrégats de la banque. Il ajoute que les commissaires aux comptes n'ont pas relevé le non-respect des normes prudentielles, en l'occurrence, le non-respect du ratio de solvabilité et le financement des activités au-delà de certains seuils. L'avocat Benitaouine lui exhibe six rapports de commissaires aux comptes envoyés à la Banque d'Algérie. Le témoin : "Je n'ai pas été destinataire de ces rapports." Me Medjhouda, avocat de Khelifa, ne comprend pas pourquoi la décision du retrait d'agrément s'est basée sur le rapport de l'administrateur dont le travail n'a pas été validé par des commissaires aux comptes. "Le jour de la réunion de la commission bancaire, la banque Khalifa était insolvable. Ce n'était plus un être vivant en termes professionnels bancaires. Le processus a été déclenché grâce au travail de Djellab qui a rétabli les agrégats de la banque. Ce qui a constitué un motif nécessaire pour le retrait de l'agrément". Selon Me Lezzar, la situation d'insolvabilité de Khalifa Bank pouvait être temporaire. "C'est une question pertinente. Même la puissante BEA peut connaître des moments de difficulté. Seulement la situation de Khalifa Bank ne lui permettait pas un redémarrage, les confrères banquiers refusaient de lui apporter leur solidarité et ses actionnaires n'ont pas pu la recapitaliser", témoigne Ali Touati. Me Lezzar revient à la charge : "Sur quelle base, le vice-gouverneur a affirmé que Khalifa Airways ne rapatriait pas les devises ?". Le vice-gouverneur de la Banque d'Algérie lui rappelle que le DG de Khalifa Airways lui-même, l'a reconnu. "Il nous demandait tout le temps de patienter en attendant la régularisation de cette situation. On a attendu sans rien voir venir". N. H.