Titulaire d'une licence en droit et d'un magister en relations internationales, Ismaïl Maaref travaille également comme consultant auprès des médias. Liberté : Le référendum d'autodétermination au Sahara occidental est reporté d'année en année. Nous constatons que depuis 2003, l'ONU a adopté un nouveau plan. Qu'est-ce qui a changé ? Ismaïl Maaref : Le plan de paix pour l'autodétermination du peuple du Sahara occidental a été conçu pendant l'année 1997, l'année des accords de Houston. Il représente une alternative importante pour régler un conflit qui n'a que trop duré. Il donne la possibilité aux deux parties en conflit, le Maroc et le Front Polisario, d'opter pour une solution pacifique, qui va libérer certaines voies, jugées peut-être nocives auparavant, non seulement pour les deux parties, mais aussi pour toute la région maghrébine. Je ferais remarquer que l'ONU a reconnu que le droit à l'autodétermination est indéniable pour le peuple sahraoui. Autrement dit, le report du référendum pose un problème très grave : l'organisation mondiale n'a pas tenu ses engagements vis-à-vis d'un problème de décolonisation. Le plan Baker prévoit une période d'autonomie avant la tenue du référendum. Cela a fait réagir l'ex-ministre marocain de l'Intérieur, qui pense que la troisième voie a été “soufflée” par certaines puissances. Quel est votre commentaire ? À travers ses déclarations, Driss Basri soulève des questions. Il ne faut pas nier que ce ministre est à l'origine de l'affaire sahraouie, qu'il a été partie prenante du conflit, en poussant le roi Hassan II à demander l'intégration des Sahraouis au royaume chérifien. Le plan Baker reste un plan américain qui vise à sécuriser les intérêts des Etats-Unis dans la région du Maghreb. Mais certaines propositions, comme par exemple l'autonomie, puis après l'organisation du référendum, découlent de la position française. Les Français ne veulent pas que les Sahraouis recouvrent leur indépendance, ils ne veulent pas d'un référendum libre. Il y a donc des manœuvres françaises pour contrecarrer la présence américaine au Maghreb. Les Américains poussent au règlement du conflit et cherchent à aider des parties non intéressées par le problème, comme l'Algérie, par exemple, pour montrer aux Français qu'ils se cachent derrière la revendication marocaine, alors qu'ils utilisent, à des moments précis, ce conflit au détriment du Maghreb, en particulier des deux pays forts de la région, l'Algérie et le Maroc. Selon Baker, le plan onusien reflète les propositions du Maroc. Comment expliquez-vous alors son rejet par le même Maroc ? Depuis 1991, le Maroc essaye de jouer avec le temps. Il a utilisé, par exemple, les convoitises des sociétés étrangères, françaises, espagnoles et américaines, pour les attirer vers le territoire du Sahara occidental, pour l'exploitation des richesses du territoire sahraoui. Aujourd'hui, le Maroc est devant un dilemme… Il était pour l'organisation d'un référendum et avait accepté le plan de règlement de 1991 de l'ONU et les accords de Houston de 1997. Mais, en 2000, lors de la rencontre de Berlin, le Maroc a refusé carrément le scrutin référendaire, craignant a priori que les Sahraouis rejettent l'intégration et votent pour l'indépendance. Pourtant, le plan Baker se veut être une solution médiane. Il pose des questions très directes aux votants, en les invitant à choisir entre l'intégration au royaume chérifien, l'autonomie du territoire et l'indépendance. Des analystes pensent que le Maroc veut, à présent, se débarrasser du dossier du Sahara occidental. Partagez-vous cet avis ? Le roi Mohamed VI ne veut nullement se débarrasser du Sahara occidental. Ce qui est peut-être nouveau dans l'affaire, c'est que le Maroc n'a pas pu riposter contre la pression de certains pôles actifs dans les relations internationales. Je veux parler par exemple des Etats-Unis… Je crois même que le Maroc a essayé de jouer la carte juive, sans parvenir à convaincre les Américains. Le Maroc a, en outre, essuyé des coups avec la reconnaissance de la République sahraouie par l'Afrique du Sud. Il y a aussi le changement des positions espagnoles et l'intérêt que porte le gouvernement socialiste à l'organisation du référendum au Sahara occidental… Le Maroc cherche, comme je l'ai déjà dit, à gagner du temps et pousse même l'opinion internationale à croire que le conflit qui l'oppose au Polisario est en quelque sorte un conflit avec l'Algérie. Le royaume chérifien a un problème avec la légalité internationale et non pas avec l'Algérie, qui n'a ménagé aucun effort pour le règlement de la question sahraouie, en venant en aide y compris au Maroc. Cela a été reconnu par Driss Basri dans l'interview qu'il a accordée à un journal espagnol. M. Maaref, comment expliquez-vous la détérioration des relations entre Rabat et Alger ? Il faut parler le langage pragmatique et dire que l'Algérie cherche ses intérêts comme tout autre pays et, donc, comme le Maroc. Si les Marocains étaient un peu plus pragmatiques, ils accepteraient d'aller au référendum, en négociant l'après-référendum. On remarque une certaine ténacité chez les diplomates marocains ; les médias marocains ne veulent pas changer et ne participent pas à faire évoluer les positions concernant le dossier sahraoui… Le rapport dans les territoires sahraouis occupés est, je le crois, de 1 Sahraoui pour 6 ou 7 Marocains. Le nombre des Sahraouis est de près de 600 000, soit à peu près 2,5% de la population de la région maghrébine. Ils ne représentent pas un danger pour le Maroc. Dans les années 1990, des responsables marocains avaient accepté d'aller vers un référendum et avaient même exercé des pressions sur le roi Hassan II, pour qu'il accepte l'organisation du vote. Si Hassan II était vivant, il aurait sûrement facilité la tâche à l'ONU et organisé le scrutin, qui reste à mes yeux la seule voie pour résoudre ce problème. L'affaire du Sahara occidental constitue-t-elle, selon vous, un facteur de blocage à l'intégration économique et un élément d'instabilité dans la région ? Le dossier sahraoui représente à la fois un blocage à l'intégration économique et un facteur d'instabilité. Pourtant, il pourrait ne pas constituer un handicap. Si les pays du Maghreb, notamment l'Algérie et le Maroc, n'arrivent pas à résoudre ce problème, on ne pourra parler ni de partenariat avec l'Europe, ni d'intégration maghrébine dans l'économie mondiale, ni même de la cohabitation avec certaines valeurs imposées par la globalisation. La question sahraouie déstabilise la région, politiquement, économiquement et sur le plan de la sécurité. Si les pays du Maghreb n'arrivent pas à se mettre autour d'une table pour débattre de ce problème, nous n'aurons pas beaucoup de chances de parler d'une “autre” intégration au sein de l'économie mondiale et nous resterons alors un simple marché pour les autres. Insinuez-vous que dans le contexte de globalisation, le maintien de l'occupation du Sahara occidental par le Maroc profite aux grandes puissances occidentales ? Absolument ! La question du Sahara occidental a été maltraitée par les pays de la région. J'estime qu'on ne peut pas édifier le Maghreb sans se préoccuper de ce problème. Il est temps pour les pays du Maghreb d'opter pour la résolution de ce problème. Il est préférable de le régler avant de parler d'intégration économique, en tenant compte de cette “sensibilité” existant entre les deux pôles de la région, c'est-à-dire l'Algérie et le Maroc. Il faut être pragmatique et mettre fin aux pressions exercées par certains groupes internationaux au nom de l'intégration. Le Maroc va essayer d'utiliser la France pour faire des pressions sur l'ONU, pour amender le plan Baker ou imposer d'autres alternatives. D'autres parties essaieront, par exemple, de faire intervenir les Américains... L'indifférence des pays du Maghreb ne servira que les intérêts de la France et des Etats-Unis dans la région. On a l'impression que la Mauritanie, la Tunisie et la Libye ne sont pas concernées par le conflit ; ce qui laisse croire que le problème sahraoui est un problème opposant Alger et Rabat. Les pays de la région doivent s'y impliquer pour accélérer le règlement du conflit. Je suis personnellement pour la tenue d'une conférence maghrébine, qui vise à trouver une solution et qui poussera le Maroc à organiser le référendum. quel rôle réserveriez-vous alors à l'ONU, qui est en charge du dossier de décolonisation depuis les années 1960 ? Il n'y a pas de contradiction dans ce que je dis. Les pays du Maghreb auront à jouer un rôle auxiliaire et aideront au règlement du problème. Je rappelle qu'avant de partir, James Baker a, lui-même, reconnu la difficulté du problème, non sans avoir désigné le Maroc comme la partie qui bloque le processus. Baker a donné les raisons qui retardent le règlement du dossier : d'une part, l'ONU a d'autres priorités et, de l'autre, elle ne veut pas exercer les pressions nécessaires pour contraindre le Maroc à accepter la tenue du référendum. Qu'arrivera-t-il, selon vous, si le dossier du Sahara ne trouve pas de solution au cours de l'année 2005 ? Si le problème du Sahara occidental n'est pas réglé en 2005, cela pourrait retarder l'intégration tant attendue de la région. Mais le risque est le suivant : on n'aura pas l'occasion de parler, en 2005, d'une solution pacifique. Il y aura une escalade militaire au niveau de la région entre les pays de la région ou entre les Marocains et les Sahraouis ; ces derniers savent que dorénavant ni la pression de l'ONU ni celle de la communauté internationale en général n'ont suffi à faire changer d'avis au Maroc et à le pousser à respecter la légalité internationale. Un tel scénario pourrait nuire à la stabilité dans la région. H. A.