À Skikda, le 19 janvier 2004, une défaillance technique dans une chaudière du complexe GNL3 a provoqué une explosion ressentie dans un rayon de 7 km. C'est la plus grande catastrophe industrielle que l'Algérie ait jamais connue ; 27 morts et 74 blessés parmi le personnel du complexe. Les années 2005 à 2009 ont été émaillées par plusieurs incidents industriels, de moindre gravité, qui ont eu lieu dans la même zone industrielle de Skikda, à Arzew dans le complexe pétrochimique, à Asmidal Annaba (engrais)... Depuis, le sujet a quelque peu quitté la scène médiatique. La gigantesque explosion de Tianjin en Chine, le 12 août, dans les entrepôts de l'entreprise Ruihai, spécialisée dans le transport et le stockage de produits chimiques, vient nous rappeler à la réalité des risques de l'industrialisation doublée d'une urbanisation non contrôlée. L'explosion de Tianjin a fait déjà 116 morts, des dizaines de personnes portées disparues et des centaines de blessés. Elle avait éventré le port de Tianjin en carbonisant des milliers de voitures avec des immeubles dévastés en proie aux flammes. Le bilan est provisoire, les risques de contamination de l'air et de l'eau par les substances chimiques, notamment le cyanure (déjà 350 fois supérieurs à la norme dans les eaux de pluie aux alentours du site), ne peuvent être évalués avec précision à ce stade. La cause de la déflagration, en tout cas sa puissance (l'équivalent de 21 t de TNT), étant le stockage de 700 kg de cyanure de sodium alors que l'entreprise n'est autorisée à stocker que 70 kg de ce produit dangereux. Plusieurs sources pointent du doigt les négligences dans la sécurité au profit d'une rapide croissance économique. La déflagration s'est produite dans une zone portuaire non loin d'habitations et de bâtiments abritant des bureaux et des commerces, alors que la manipulation de tels produits chimiques exige des normes strictes dans la localisation. Une chose est sûre, la Chine est passée en l'espace de quinze ans du statut de grand importateur de produits pétrochimiques à celui d'une industrie qui exporte les produits de toute la gamme de ce secteur. Est-ce le prix à payer ? Retour en Algérie En Algérie, l'industrialisation s'est concentrée dans les grandes villes du littoral avec les risques industriels sur les populations. Aujourd'hui, la menace est forte à cause d'une extension urbaine quasiment incontrôlée. Les habitants proches des zones industrielles (ZI) comme Alger, Skikda, Arzew, Béjaïa et Annaba sont les plus exposés. Phénomène aggravant, l'urbanisation incontrôlée a conduit à une "migration" des zones urbaines vers les zones industrielles ; cas flagrant de Rouiba et de Sidi Rzine dans la capitale. Le ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement (Mate) recense 4000 (6000 selon des sources universitaires) installations industrielles à hauts risques qui se trouvent dans le tissu urbain lequel ne représente que 1,7% du territoire algérien. Les risques sont de 43% pour la survenue d'une explosion, 42% pour un incendie et 16% pour des incidents pouvant entraîner des risques toxiques. Pour Dr Cherid-Tiliouine Samia, enseignante à l'Institut algérien du pétrole (IAP), beaucoup de ZI sont carrément positionnées au-dessus des nappes phréatiques, comme la plaine de la Mitidja. "Les zones industrielles ne sont pas bien gérées, tant qu'il n'y a pas une démarche globale de gestion des risques dans chaque zone", ajoute l'expert environnementaliste. Un autre scientifique, s'appuyant sur des sources de la Protection civile (1998), Boulkaibet Aïssa (la question du risque industriel et le développement durable en Algérie, université Mentouri, 2011), recense près de 9000 habitations construites sur des gazoducs. à Annaba par exemple, des lotissements, un marché, l'université, le stade, le cimetière, des CEM, 4 groupes d'habitation, des coopératives, 2 quartiers et un bidonville sont érigés sur des conduite de gaz ! à Constantine, c'est le marché hebdomadaire. Dans la même étude, on retiendra aussi le nombre de cités et d'habitations jouxtant des zones de danger.Beaucoup se souviennent qu'à la suite des actes de sabotage sur l'oléoduc Béjaïa - Sidi Rzine, en 1995 et 1998, d'importantes quantités d'hydrocarbures se sont déversées dans le barrage de Keddara qui alimentait une grande partie de la wilaya d'Alger. Réglementation et contrôle Le domaine de la gestion des risques n'échappe pas au mal qui ronge les autres secteurs d'activité dans le pays. Si la législation est souvent mise à niveau (décret 2006 après la catastrophe de Skikda), la mise en place de structures de contrôle et de suivi avec des compétences fait défaut. Pourtant, c'est le volet le plus important. Les lois de 2003 (protection de l'environnement), 2004 (prévention des risques majeurs et gestion des catastrophes) et 2005 (relative aux hydrocarbures), complétées par le décret de 2006 sur la réglementation applicable aux établissements classés (études de danger avant l'exploitation et études à l'intérieur pour les établissements existants) sont censées encadrer les activités à risques en termes de prévention et d'intervention. L'absence de stratégie pour une mise aux normes est flagrante. De plus, l'héritage d'un passif dominé par le volontarisme et une anarchie urbaine avec une hypercentralisation qui a viré en une bureaucratie qui procure "rente et confort" par ses prérogatives dans de nombreux cas compliquent la tâche. L'absence de transparence et la dilution des responsabilités, source d'impunité et l'insuffisance de contrôle et de suivi ainsi que les problèmes de compétence qui déteignent sur la vie nationale ne peuvent peser qu'avec une plus grande acuité dans un domaine aussi névralgique. La réhabilitation de la raffinerie de Sidi Rzine (voir échos) qui traîne en longueur depuis 5 ans est symptomatique. Il faut tout de même noter que les coûts des dommages enregistrés en 2002 représentaient 7% du PIB, soit 3,5 milliards de dollars. En 2007, ils étaient de 5,21%, soit 2,6 milliards de dollars (Atlas économique de l'Algérie, 2007).
Et l'avenir Pour de nombreux experts, l'Algérie subit l'absence d'une politique de gestion des territoires et du coup d'un zonage des risques majeurs (cyndinique) et l'implémentation d'une approche globale de leur gestion pour la prévention et l'élaboration de scénarios d'intervention quand les sinistres surviennent. Pr Benabdeli Kheloufi estime qu'il ne saurait y avoir de stratégies de prévention et de gestion des catastrophes naturelles et des risques majeurs sans un découpage écologique tenant compte des aspects tant physiques que biologiques, géographique permettant d'identifier des territoires homogènes. De ce point de vue, la frilosité du schéma national d'aménagement du territoire (Snat) dans l'affirmation des régions naturelles avec son corollaire de transfert de prérogatives et des moyens de contrôle démocratiques ne peut corriger une vie nationale où aucun secteur n'a échappé (et n'échappe) à cette hypercentralisation. R. S.