Ayant raté l'opportunité historique d'aisance financière de la première décennie 2000 et des premières années de la seconde pour réindustrialiser le pays, l'Algérie en a-t-elle à présent les capacités et la vision pour le faire dans les nouvelles conditions de crise financière ? Certains économistes, et moi-même, pensons que ce ratage était finalement consubstantiel à cette aisance financière elle-même qui rendait les importations infiniment plus compétitives que les produits nationaux. Y compris d'ailleurs dans les filières où les avantages concurrentiels étaient évidents comme celles des matériaux de construction et de l'agroalimentaire par exemple. C'est pendant cette période d'ailleurs que les lobbies de l'importation et leurs relais internationaux ont initié puis ont consolidé leur emprise économique et financière sur le pays. Alors, au lieu d'assister à l'émergence de champions industriels, on a vu l'arrivée des grosses pointures de l'import-import dont la partie invisible baigne largement dans le secteur informel. Il s'agit là d'un dommage collatéral du syndrome hollandais. À l'inverse, cela veut dire que maintenant plus que jamais, sous certaines conditions à réunir, la réindustrialisation du pays est encore possible. Eléments d'éclairage. Commençons d'abord par revisiter et modifier les approches et les architectures ayant structuré à la fois la stratégie industrielle et le plan quinquennal 2015-20159 en vigueur. Cela parce que l'approbation de ces deux textes avait été opérée dans un contexte antérieur différent sans contrainte financière et budgétaire. Pour être plus clair, les investissements projetés dans le plan quinquennal 2015-2019 et dans le programme de réindustrialisation étaient supposés être largement financés par la dépense publique. Dorénavant, ce ne sera plus le cas. Dans ce contexte, on peut tirer profit de l'expérience de la Pologne qui, dans son histoire, n'avait jamais été un pays exportateur et qui l'est devenu en quelques années, alors même que l'Europe est en crise. Elle est à présent l'un des premiers pays européens fabricant et exportant des pièces de rechange automobiles, des produits électroménagers, électroniques et agroalimentaires. La Pologne s'est appuyée, pour ce faire, sur deux avantages compétitifs classiques : la faiblesse du taux de change du zloty et celui du coût de sa main-d'œuvre (7,5 euros/heure en 2013). Mais ce que les observateurs oublient souvent de signaler c'est l'indépendance énergétique de la Pologne qui a produit en 2013 près de 80 millions de tonnes de charbon. Ce qui lui permet de produire 92% de son électricité à partir de cette ressource carbonée. Il convient enfin de rappeler l'appui financier de l'Union européenne qui s'est élevé à 69 milliards d'euros de 2007 à 2013. L'Algérie affiche des caractéristiques similaires pouvant la rendre éligible à ce modèle vertueux de réindustrialisation. Dévaluation du dinar (30% entre août 2014 et août 2015), faiblesse du coût de la main-d'œuvre, disponibilité à coût peu élevé de l'énergie, existence de filières industrielles dont les marchés sont en émergence, qualité des ressources humaines quand nous savons que des groupes internationaux recrutent et emploient dans leurs sites étrangers des Algériens qui résident en Algérie. Alors que nous manque-t-il pour pouvoir émarger à ce cercle vertueux de forte croissance industrielle ? Commencer par fermer les multiples robinets de rente et les sources de gains faciles sans effort et travail productif. Cette situation consolidée par les divers clientélismes et qui a survécu à toutes les réformes a un effet d'éviction sur les entrepreneurs et sur l'ensemble de la société. D'ailleurs, la couverture de ces captations indues ne peut plus être assurée par une rente en voie d'extinction sous l'effet ciseaux de la faiblesse des prix et de la diminution des quantités d'hydrocarbures exportables. Sachant que la contrainte majeure du foncier industriel est "définitivement réglée" si l'on s'en tient au discours prononcé, la semaine dernière à Bethioua, par le ministre de l'Industrie, le champ de l'entrepreneuriat est libéré pour tous les promoteurs. Dans ce cadre, l'émergence d'entrepreneurs algériens ayant vocation à devenir des champions est au cœur de la réussite de notre développement industriel, car seuls ces derniers, de par leur taille critique, pourront exporter et tirer vers le haut les PME. À ceux de mes lecteurs qui peuvent en douter, je propose ces deux extraits du discours inaugural à la chaire "Economie des institutions, de l'innovation et de la croissance" du Collège de France, prononcé par Philippe Aghion, professeur à Harvard et à l'Ecole d'économie de Paris. Il y établit une corrélation forte entre la croissance d'un pays et la taille de ses entreprises. Il illustre cela en soulignant que "la croissance limitée de la taille des firmes indiennes avec l'âge apparaît liée au fait que la plupart des firmes demeurent familiales, ce qui limite la croissance". Il poursuit en soulignant que "c'est en fait l'inaptitude des firmes, même les plus productives et les plus innovantes, à croître au-delà d'une certaine taille en Inde, qui permet à des firmes peu productives de survivre dans ce pays". Nos institutions en charge de la régulation et des politiques industrielles devront agir vite. Le temps est compté. M. M.