C'est un lieu commun de rappeler que toutes les compagnies internationales d'hydrocarbures ajustent leurs stratégies opérationnelles et de développement en période de crise : retrait de certaines zones d'exploration et/ou de production, ventes d'actifs, report et/ou suppression de certains investissements de développement. En attendant de voir plus clair et de rebondir. C'est aussi le cas pour les sociétés nationales d'hydrocarbures, dont Sonatrach, mais forcément avec des marges de manœuvre plus réduites du fait que le curseur des variables d'ajustement est activé en double commande avec l'Etat propriétaire. Rappelons d'abord quelques éléments d'anticipation de court terme sur lesquels les groupes pétroliers basent en général leurs ajustements. Il s'agit notamment des projections pour la fin de l'année 2015 fournies dans la dernière publication de l'US Energy Information Administration qui n'incitent guère à l'optimisme. Les deux courbes probables d'évolution des prix du pétrole brut et du gaz naturel pour le dernier trimestre 2015 l'illustrent bien. La probabilité pour que le prix du baril de pétrole atteigne, au cours de cette période, 50 dollars n'est que d'un tiers alors que cette probabilité remonte à deux tiers pour 45 dollars. S'agissant du prix du gaz naturel sur le marché américain, la courbe de probabilité donne, à plus de deux tiers, un prix de 2,50 dollars le million de BTU alors qu'il était, pour rappel, de 4,50 dollars en novembre 2014. Ceci étant quels enseignements en ont été tirés pour infléchir les stratégies de Sonatrach ? Au préalable indiquons quelques ajustements significatifs opérés par un certain nombre de groupes pétroliers. Aux Etats-Unis, la production pétrolière, y compris la partie provenant des schistes, va décroître en 2016 pour se situer autour de 9,3 mb/j en 2016, production plafond qui descendra en 2020. La compagnie brésilienne Petrobras a baissé d'un tiers ses objectifs de production pour 2020 passant de 4,2 millions de barils/jour à 2,8 mb/j. En Irak l'objectif fixé par les autorités de passer de 3,5 mb/j en 2015 à 6 mb/j pour 2020 est abandonné, compte tenu des coupes drastiques d'investissements opérés par les opérateurs dans ce pays. Effet collatéral de cette baisse d'investissement dans l'amont hydrocarbures, les sociétés de services pétroliers réduisent leur voilure. C'est le cas pour Schlumberger, Baker Hughes et aussi Technip qui supprime 6000 postes. Dans ces conditions déprimées de l'évolution de l'offre internationale de pétrole, Amine Mazouzi, PDG de Sonatrach a annoncé quant à lui, en marge de la tenue des 10es Journées scientifiques et techniques (JST 2015), le maintien du plan d'investissement du groupe même s'il concède qu'il faut donner la priorité "aux projets les plus rentables". Alors il faut s'interroger pour savoir pourquoi Sonatrach, contrairement à la majorité des groupes pétroliers, maintient ses investissements dans une période contra-cyclique dont on ne sait pas encore combien de temps elle va durer ? Mon analyse est que ce n'est pas pour augmenter de façon significative les quantités d'hydrocarbures exportables pour tenter de compenser les pertes de recettes engendrées par la baisse du prix du baril. Il s'agit tout simplement de maintenir le niveau de production des gisements qui avaient commencé à décliner bien avant que ne commence en juin 2014 la chute des prix des hydrocarbures. C'est du reste ce qu'il faut comprendre lorsque Amine Mazouzi précise que "le nouveau contexte (est) doublement contraignant, caractérisé par d'une part une baisse des prix du pétrole et, d'autre part, par des ressources en hydrocarbures nécessitant des investissements de plus en plus importants, car plus complexes à développer et à exploiter". Dans ce cadre, trois types d'investissements inscrits dans le plan de développement à moyen terme (2015-2019) de Sonatrach gagneraient tout même à être réévalués en termes de pertinence quant à leur faisabilité. Les unités de liquéfaction capitalistiques au moment où nos gazoducs transcontinentaux sont sous-utilisés, le développement de nouvelles canalisations et la pétrochimie qu aspire trop de gaz naturel à des prix trop bas. Qu'elle le veuille ou non Sonatrach sera amenée à faire des arbitrages donc des coupes dans son plan d'investissement. Le débat est ouvert. M. M.