Comme je l'avais déjà écrit dans ces colonnes la dépréciation du dinar a toujours été la première mesure stratégique de riposte aux crises financières qu'a connues le pays. En attendant d'être accompagnée et ensuite relayée par les deux autres variables d'ajustement que sont la diminution de la dépense publique et l'augmentation des recettes de la fiscalité hors hydrocarbures. Cependant pour le moment, les effets conjoncturels et systémiques de cette dépréciation du dinar portent en eux-mêmes, dans la sphère économique et sociale, des éléments constitutifs d'un pari risqué. Dans cette période sensible, les pouvoirs publics sont donc tenus de gérer au plus près l'intervalle de variation de taux change du dinar. Nous allons voir que ce n'est pas facile. C'est un peu comme pour l'atterrissage d'un avion dont la portance est proportionnelle au carré de la vitesse ; si elle est trop élevée, il ne peut pas atterrir mais si elle diminue trop l'avion se crashe parce qu'il aura atteint sa vitesse de décrochage. Pour bien prendre la mesure de cette problématique complexe il faudra, me semble-t-il, répondre à trois questions. La première question est de savoir si le taux de change du dinar a atteint la zone critique sur le triple plan social, économique et monétaire. La seconde question est de déterminer si les objectifs attendus de cette dévaluation ont été atteints pour réduire la menace et préparer une alternative durable. La troisième est de voir si on a mis en place des amortisseurs efficaces, pour traiter les conséquences négatives de cette dévaluation, en direction des entreprises et des ménages. Examinons d'abord, pour éclairer le contexte, les chiffres relatifs aux prévisions de clôture 2015 pour un certain nombre d'indicateurs macroéconomiques. Ceux de l'inflation : un scénario optimiste à 5,7% et un scénario pessimiste à 6% à fin décembre 2015. Pour le déficit de la balance commerciale, nous pouvons afficher un scénario optimiste de 14 milliards de dollars et un scénario pessimiste de 15 milliards de dollars. Reste enfin le déficit budgétaire pour 2015 évalué à 2635 milliards DA par la LFC 2015. Si la dépréciation du dinar n'avait pas eu lieu, ces chiffres, sauf celui de l'inflation, auraient été beaucoup plus élevés avec une déplétion plus rapide et plus importante du Fonds de régulation des recettes et des réserves de change. Cela dit, la réponse à la première question peut être trouvée dans l'évolution indiquée plus haut du taux d'inflation qui pourrait atteindre 6% en fin d'année alors même que le système des subventions reste globalement invariant. Le fait est que les ménages et les entreprises ne pourront que difficilement absorber un différentiel plus élevé d'inflation sans tensions sociales et perte de la compétitivité des entreprises. C'est ce que traduisent les anticipations exagérées des acteurs du marché informel des devises (170 DA pour un euro). L'un expliquant l'autre, c'est probablement la raison pour laquelle l'ouverture du dossier des subventions a été reportée sine die. Sauf que pour maintenir, dans le meilleur des cas, le taux de change actuel du dinar, il faudra agir sur les deux autres variables dont j'ai parlé plus haut : baisse des dépenses budgétaires par la rationalisation et le recours au marché financier et l'augmentation de la fiscalité ordinaire par notamment l'élargissement de l'assiette de recouvrement. Il est encore prématuré de pouvoir répondre complètement à la seconde question. Néanmoins, les effets de la dépréciation, couplés à ceux du FRR et des réserves de change, sur la gestion de la crise ont contribué à la résilience de l'économie algérienne qui réalisera, malgré la crise, un taux de croissance appréciable en 2015 et en 2016. S'agissant de la réponse à la troisième question, elle aussi n'est pas identifiable pour le moment, car l'essai reste encore à être transformé. Vous savez, avec moi, que si l'inflation reste contenue à moins de 6%, c'est parce que le système des transferts sociaux n'a pas encore été touché. Il devra l'être en 2016 d'une façon ou d'une autre. Ensuite, le deuxième amortisseur prévu par les pouvoirs publics au profit des entreprises portent globalement sur l'amélioration significative du climat des affaires et le soutien à la production nationale. Mais les avancées dans ce domaine ne se sont pas encore concrétisées tant les inerties bureaucratiques sont fortes et les intérêts de l'import /import puissants. Troisième et dernier amortisseur, les crédits à la consommation pour les ménages et l'accès aux sources de financements alternatifs locaux et internationaux pour l'Etat et les entreprises. Là aussi les crédits à la consommation au profit des ménages ne sont pas encore mis en place. De même que les conditions d'obtention des financements intérieurs et extérieurs, au profit des grands projets publics d'infrastructures et d'habitat et aux profits des grands projets énergétiques et industriels, ne sont pas encore connus du fait que les opérations test n'ont pas encore été lancées. Attendons pour voir. Pour conclure, on peut noter que la résilience de la sphère réelle et de la sphère financière et monétaire ainsi que les équilibres sociaux peuvent encore être préservés pour deux ou trois ans. Au-delà, tout dépendra de notre capacité à emprunter un autre chemin de croissance, c'est-à-dire engager les réformes structurelles sans plus attendre. Le bilan qui sera produit lors de la prochaine tripartite, qui se tiendra avant la fin de l'année, en soulignera la nécessité. J'en prends le pari. M. M.