Tewfik Hasni, consultant en transition énergétique, qualifie l'accord de Paris de promesse politique qui a peu de chance d'être concrétisée sur le terrain. Selon lui, la situation mondiale caractérisée par les énormes besoins de financement de l'effort de guerre contre le terrorisme et la multiplication des conflits va peser sur les budgets des pays qui seront amenés à abandonner l'alternative des énergies renouvelables. Entretien. Liberté : Avant la Conférence internationale sur l'environnement, COP21, les 195 pays participants avaient envoyé leurs contributions. Comment évaluez-vous la contribution algérienne ? Tewfik Hasni : La contribution algérienne consiste à s'engager dans la transition énergétique et à développer un programme d'énergies renouvelables censé représenter 40% de la production électrique en 2030. Nous avons commencé, en 2011, par évaluer des capacités de production à partir d'énergies renouvelables de l'ordre de 12 000 MW où la part du solaire thermique était de 7 000 MW. Si les besoins électriques sont estimés à 250 TWh en 2030, cela correspond à une capacité en conventionnel de l'ordre de 40 000 MW. 40% correspondrait à une capacité de 16 000 MW en conventionnel, soit 30 000 MW en photovoltaïque. Le nouveau programme qui a été porté à 22 000 MW, dont 4 000 MW en solaire thermique seulement et à partir de 2020, ne pourra jamais répondre aux attentes. Le dernier programme révisé a porté la capacité de production, toujours à partir d'énergies renouvelables, à près de 22 000 MW, mais avec une part du photovoltaïque à plus de 50%. Le solaire thermique a été ramené à 2 000 MW et seulement à partir de 2020. Alors que le premier programme ne permettait pas d'atteindre les objectifs, ce dernier ne pourra, en aucun cas, le faire. Nous avons dit que la seule véritable alternative énergétique reste le solaire thermique hybridé avec du gaz torché. Nous pouvons constituer plus de 24 000 MW et sans recourir à des réserves de production électrique utilisant le gaz naturel. Le photovoltaïque de par l'intermittence nécessitera des réserves de génération électrique équivalente pour faire face à la demande la nuit. Ce n'est pas le cas pour le solaire thermique hybride. Nous espérons, avec la volonté politique affichée, pouvoir revenir à une approche plus rationnelle et moins chère. Il est possible, aujourd'hui, d'accepter les mêmes tarifs de rachat d'électricité accordés aux autres énergies renouvelables. L'Algérie a été classée 33e émetteur de carbone au monde en 2014 avec l'émission de 147 millions de tonnes (Mt) de CO2, soit 0,41% des émissions mondiales, indique un rapport mondial élaboré par l'organisme international Global Carbon Project. Ce rapport note une légère hausse, de l'ordre de 2,8%, des émissions globales de dioxyde de carbone de l'Algérie en 2014 par rapport à 2013 (143 Mt). Par habitant, les émissions du CO2 en 2014 ont atteint 3,8 tonnes contre 3,7 tonnes en 2013 dans le pays. Il faut savoir que l'objectif de moins 1,5°C ne peut être atteint, selon les spécialistes, que par l'abandon des énergies fossiles. Il faut donc réduire le gaspillage de gaz naturel constaté aujourd'hui dans la consommation nationale algérienne. L'accord est intervenu, quelles seraient ses implications pour l'Algérie à court, moyen et long termes ? Cet accord, malgré les qualificatifs positifs, ne reste qu'une promesse politique. L'objectif de financement de 100 milliards pour les pays pauvres a même été supprimé du texte, car le Congrès US aurait bloqué cet accord. Il ne peut avoir aucune implication à court terme. Dans 5 ans, on fera à nouveau le point pour vérifier le respect des engagements. D'ici là, il aura coulé de l'eau sous les ponts. Nous pensons qu'à moyen terme, soit en 2020, puisqu'on n'aura pas engagé le programme le plus rationnel d'énergie renouvelable (on ne prévoit pas de solaire thermique avant cette date), les moyens financiers ne seront plus disponibles, on abandonnera, alors, les énergies renouvelables. Le taux de réalisation aujourd'hui est inférieur à 1% de l'objectif. À long terme, les hydrocarbures connaîtront le sort du charbon et comme "l'âge de pierre ne s'est pas arrêté parce qu'il n'y avait plus de pierres", le marché énergétique aura achevé sa transition en éliminant les énergies fossiles. Nous vous laissons deviner l'impact sur notre pays. L'une des propositions de la COP21 est d'abandonner les énergies fossiles. L'Algérie peut-elle s'y mettre immédiatement sachant que 98% des exportations du pays sont dans le secteur des énergies fossiles ? Nous pensons que ce n'est pas un choix, le gouvernement l'a bien compris et les orientations de la loi des finances traduisent ce souci. Il faut à présent que la volonté politique reçoive l'adhésion voulue pour relever le défi qui s'impose à nous. Pensez-vous que cet accord a des chances d'être appliqué ? N'y a-t-il pas de raison d'en douter même si c'est l'avenir de la planète qui est en jeu, sachant que les effets du réchauffement climatique pèsent de plus en plus ? Nous avons tenu compte de l'interprétation de cet accord. Nous avons dit que c'est une promesse politique. Il ne vaut pas plus que n'importe quelle promesse politique dans une situation caractérisée par une crise économique et politique mondiale. Si, à Copenhague, nous n'avons pas pu obtenir de financement pour les pays pauvres, ce n'est certainement pas aujourd'hui que nous pourrons le faire. Les besoins de financement de l'effort de guerre contre le terrorisme et l'augmentation du budget de la défense auront vite fait déjà d'amener les pays européens, entre autres, à ne plus respecter le niveau limite de déficit budgétaire. Les experts l'ont bien énoncé, l'objectif ne peut être atteint que par l'élimination des énergies fossiles. Les pays du Golfe sont arrivés à enlever du texte final cette mention. Le pessimisme des ONG traduit la triste réalité. La seule certitude, hélas, reste la perspective de conflits plus nombreux dans le monde du fait de la rareté des ressources. La prise de conscience sur le sort de la planète ne semble pas encore évidente aujourd'hui.