Au-delà de cette précaution, toute recommandée, prise par les autorités algériennes de soigner le président de la République en Suisse, l'évacuation pose, plus que jamais, la question de sa capacité à assumer l'intégralité et ses charges à la tête de l'Etat. Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, qui est apparu extrêmement fatigué ces derniers jours, notamment au moment où il recevait en audience le Premier ministre français, Manuel Valls, s'est rendu, hier, à Genève, en Suisse, pour "une visite privée", durant laquelle il effectuera des "contrôles médicaux périodiques", a annoncé la présidence de la République dans un communiqué transmis, comme d'habitude, à l'agence de presse officielle, APS. Court, en une seule phrase, le communiqué ne précise pas la durée du séjour privé dans la capitale helvétique du chef de l'Etat. Mais en soulignant qu'il a "quitté le pays", d'abord, pour une "visite privée" dont il profitera, ensuite, pour effectuer des "contrôles médicaux périodiques", la communication officielle laisse comprendre que le président Bouteflika a besoin de repos, loin du tumulte politico-diplomatique ambiant. Un tumulte provoqué par le retour énigmatique de Chakib Khelil au pays, la révélation sur l'implication d'Abdeslam Bouchouareb dans une affaire de société offshore au Panama et, donc, d'évasion fiscale et, enfin, le malaise qui s'est installé dans la relation algéro-française après la fameuse Une du journal Le Monde qui a suscité l'ire officielle d'Alger et le geste considéré pour le moins inamical de Manuel Valls qui a twitté la photo de Bouteflika physiquement diminué. Un tweet qui n'a, certes, pas soulevé de vagues, officiellement, mais qui semble avoir vraiment irrité au plus haut point le pouvoir. Tellement, d'ailleurs, que, pour ses contrôles médicaux périodiques, le chef de l'Etat a choisi la Suisse plutôt que la France où il avait pour habitude de les effectuer. À l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, puis au groupe hospitalier mutualiste de Grenoble, après la fermeture du service médical de l'hôpital des Armées français. C'est, en effet, dans la clinique grenobloise d'Alembert que le président de la République a séjourné du 13 au 15 novembre 2014 pour son second contrôle médical, post-accident vasculaire cérébral (AVC), le premier ayant eu lieu en janvier de la même année au Val-de-Grâce. Et, contrairement au contrôle subi au Val-de-Grâce, qui a fait l'objet d'un communiqué de la présidence de la République, dans lequel il était dit que l'état de santé de Bouteflika s'améliorait "sûrement" et de "façon progressive", la visite médicale à Grenoble s'était voulue la plus discrète possible. Sauf qu'il fallait compter sans la publication régionale, Le Dauphiné Libéré, qui a ébruité la présence de Bouteflika dans l'établissement hospitalier. Il aura fallu attendre plusieurs semaines avant qu'une voix autorisée algérienne confirme l'information du Dauphiné, celle du Premier ministre Abdelmalek Sellal, en l'occurrence. Se trouvant en France, début décembre 2015, pour coprésider la 2e réunion du comité intergouvernemental algéro-français de haut niveau (CIHN), Abdelmalek Sellal, interrogé par la presse française, répondait ainsi : "Le président Bouteflika a, récemment, vous le savez, fait une visite de contrôle. Il se porte correctement, il dirige." Dans l'intervalle, les rumeurs les plus folles sur la santé du chef de l'Etat ont circulé à Alger. Doutes sur les capacités de Bouteflika à gouverner La présidence de la République s'est rendue, cette fois-ci, à l'effort de communiquer promptement sur "la visite privée" et "les contrôles médicaux périodiques" du Président en Suisse. Autant, pour elle, d'ailleurs, d'en informer diligemment l'opinion publique, tant est que ce séjour helvétique de Bouteflika n'aurait pas, en tout cas, échappé aux médias occidentaux, français notamment, qui pourraient, pour les raisons que l'on sait, en rajouter. Cela, à supposer que ce ne soit pas une dégradation de son état de santé qui a recommandé ce départ vers la Suisse. La presse de l'Hexagone, solidaire du journal Le Monde, qui a reçu la mise au point d'Alger suite à la publication de la photo de Bouteflika pour illustrer des papiers sur les Panama Papers, impliquant des personnes de son entourage, a montré son penchant à oser l'extrapolation s'agissant de la santé du chef de l'Etat, après le tweet de Manuel Valls. Mais, au-delà de cette précaution, toute recommandée, prise par les autorités algériennes de soigner le président de la République en Suisse, l'évacuation pose, plus que jamais, la question de sa capacité à assumer l'intégralité et ses charges à la tête de l'Etat. Une interrogation qui n'est pas nouvelle, faut-il le dire, puisqu'elle a été soulevée dès avril 2013, suite à l'AVC, qui l'a obligé à de longs soins, près de trois mois (80 jours), au Val-de-Grâce, puis aux Invalides à Paris, et les séquelles qui en ont découlé. Motricité et capacité de locution réduites, Bouteflika, qui a couru et obtenu un 4e mandat, ne s'est pas impliqué physiquement dans la campagne électorale et a dû se présenter dans un bureau de vote en fauteuil roulant. Depuis, il n'a ni effectué de visite sur le terrain, ni participer à un forum international, ni effectuer une visite d'Etat à l'étranger. Les Algériens ne l'ont pas entendu leur parler directement depuis 2012. Une situation qui a interpellé d'abord les partis de l'opposition politique qui, estimant qu'il y a de fait vacance du pouvoir, ont appelé à l'application de l'article 88 de la Constitution (l'article 102, dans la nouvelle Constitution). Une revendication que le pouvoir a considéré être une surenchère et lui a conséquemment opposé une sourde oreille. La diffusion des séquences filmées d'audiences accordées à des hôtes étrangers de passage à Alger devaient entretenir l'image d'un Président qui travaille - avec sa tête, pour paraphraser un ancien ministre -, même s'il ne quitte la résidence de Zéralda pour le siège de la présidence de la République qu'en de très rares occasions, la présidence de Conseils des ministres, en somme. Mais cette façon de faire, ajoutait plus qu'elle ne dissipait le doute quant à l'état de santé véritable de Bouteflika. Preuve en est que même ceux qui faisaient partie de ses proches, du moins qui ne lui étaient aucunement hostiles, à l'image de Zohra Drif Bitat et Khalida Toumi, l'ex-ministre de la Culture ou, encore, Louisa Hanoune, la secrétaire générale du Parti des travailleurs, ont sollicité une audience pour vérifier que c'était vraiment lui qui gouvernait. Portée à la connaissance de l'opinion, la demande d'audience du groupe des "dix-neuf" a fait l'effet d'une secousse qui a ébranlé le sérail dont la réaction a été violente. Des procès en sorcellerie ont été instruits notamment contre Louisa Hanoune. Mme Zohra Drif Bitat se verra éjectée du Sénat. Le pouvoir, déjà mal à l'aise du fait que ce n'est pas uniquement l'opposition qui se pose la question sur la capacité de Bouteflika à gouverner mais aussi des proches, s'est retrouvé davantage embarrassé après les ratés de l'entrevue avec le Premier ministre français. Une entrevue au cours de laquelle le président Bouteflika est apparu affaibli, hagard et l'air de quelqu'un qui n'avait pas la lucidité lui permettant de gérer les affaires de la République. S. A. I.