Faisant la sourde oreille aux avertissements de l'Union européenne, qui a de nouveau menacé hier de geler les négociations d'adhésion de la Turquie, le président turc élargit sa purge à tous les secteurs d'activité, notamment les médias et le monde des affaires. Au lendemain de mesures très sévères contre la presse, qui se sont traduites par la fermeture de trois agences de presse, 16 stations de télévision, 23 stations de radio, 45 journaux, 15 magazines et 29 maisons d'édition, en vertu de l'état d'urgence, Recep Tayyip Erdogan est passé hier au secteur de l'économie avec la mise en garde à vue de trois industriels de premier plan. Vingt-et-un journalistes en garde à vue comparaissaient hier devant un tribunal d'Istanbul, a annoncé Anadolu. Des confrères ont annoncé sur Twitter être rassemblés devant le tribunal pour les soutenir. Parmi eux figure Nazli Ilicak, ancienne députée, qui avait été licenciée du quotidien progouvernemental Sabah en 2013 après avoir critiqué des ministres empêtrés dans un scandale de corruption. Ces interpellations entrent dans le cadre des enquêtes tentaculaires sur les réseaux du prédicateur Fethullah Gülen, réfugié aux Etats-Unis, que le Président turc considère comme le principal instigateur du coup d'Etat raté du 15 juillet. Cela intervient après le remaniement radical de l'armée turque, dont près de la moitié de ses généraux ont été limogés, qui a été complété par l'annonce de changements au sein du haut commandement, à l'issue d'une réunion du Conseil militaire suprême à Ankara. Par ailleurs, l'université turque est en pleine tourmente au vu des démissions en série des doyens, des arrestations et des licenciements d'enseignants, dont certains ont été empêchés de quitter le pays. Rappelons que 15 universités privées ont été fermées et 1 577 doyens du public et du privé poussés à démissionner. La purge des "Gülenistes" présumés depuis le putsch raté, qui a massivement touché, jusque-là l'armée, les médias, la justice et l'éducation s'étend à tous les secteurs d'activité, malgré la multiplication des critiques internationales, et des avertissements de l'Union européenne sur l'ampleur et la "brutalité" de la riposte du régime de Recep Tayyip Erdogan. Hier encore, le commissaire européen à l'Elargissement, Johannes Hahn, a implicitement mis en garde la Turquie contre un gel des négociations d'adhésion du pays à l'UE si les poursuites contre les putschistes ne se font pas dans le respect de l'Etat de droit. "Même si je suis d'avis qu'après la tentative de putsch les mesures prises sont disproportionnées, j'ai besoin de voir comment ces gens sont traités", a déclaré M. Hahn au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. "Si le moindre doute demeure que leur traitement n'est pas correct, des conséquences seront inévitables", a-t-il mis en garde, allusion implicite au processus d'adhésion de la Turquie à l'UE, lancé en 2005, et qui avance depuis à la vitesse de l'escargot. Reste à savoir maintenant, quelles ont les limites de la patience des dirigeants de l'Union européenne, car Erdogan ne semble pas tenir compte de leurs avertissements ? Merzak Tigrine